Accueil Editorial Acquittement de Gbagbo: enfin la justice des vaincus!

Acquittement de Gbagbo: enfin la justice des vaincus!

0
Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé (costume cravate) au temps où ils galvanisaient la foule (Ph. actuconakry.com)

Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé sont acquittés et doivent être remis en liberté immédiatement. La sentence est venue des juges de la Cour pénale internationale ce mardi 15 janvier 2019. Jusqu’à présent, la décision est vécue par nombre de personnes comme un rêve. Mais elle est bel et bien réelle et du reste plus réaliste que le contraire, compte tenu de la quasi absence de preuve pour continuer à détenir le célèbre prisonnier de Scheveningen et son ancien ministre. Aucun document matériel, encore moins les témoins, la plupart fabriqués de toutes pièces, n’étaient en mesure de confondre l’ancien président ivoirien et son bras droit accusés, entre autres, de crimes contre l’humanité. Certes, des massacres de civils et bien des exactions violentes et sanglantes ont été constatées en Côte d’Ivoire. Certes, des représailles mortelles ont été menées contre des Ivoiriens dans la période postélectorale de 2010-2011. Certes, des personnes ont été brûlées vivantes et de nombreux charniers découverts suite à cette élection présidentielle de 2010 dont les résultats, du second tour ont officiellement donné Alassane Ouattara vainqueur contre Laurent Gbagbo qui a refusé de céder son fauteuil. Le chapelet d’évidences peut être égrené à satiété, mais aucune preuve judiciaire palpable ne détermine la culpabilité du «Christ de Mama» qui aura porté sa croix pendant plus de 8 ans, d’Abidjan à La Haye, en passant par Korogho.

Plus qu’un soulagement, cet acquittement de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé constitue un autre revers pour la CPI après la libération du Congolais Jean-Pierre Bemba Gombo, qui avait lui aussi été incarcéré pendant près de dix ans pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Il est surtout la énième illustration du manque criard d’objectivité de cette juridiction qui semble être taillée sur mesure pour les Africains et mise en place pour garder des opposants à certains dirigeants qui sont considérés comme des «chouchous» des Occidentaux dont ils préservent les intérêts. Le cas du «Woody», un autre surnom de l’ancien président ivoirien, est d’autant plus flagrant que le seul bénéficiaire de cet embastillement sans raison valable n’était autre que Alassane Ouattara, qui n’avait pas besoin d’un empêcheur de gouverner en rond comme le truculent historien et écrivain panafricaniste. C’est ainsi que Gbagbo, après avoir goûté aux geôles nationales a été déferré devant la CPI, le 30 novembre 2011. Et pendant que celui qui avait été surnommé également «le boulanger d’Abidjan», du fait de ses fréquents changements d’opinion, est ses proches sont harcelés devant la justice et incarcérés souvent sans autre forme de procès. Pourtant, il faut toujours au moins deux camps en présence pour faire une guerre. Pourquoi donc les adversaires du système Gbagbo n’ont-ils pas été inquiétés? Au nom de la traditionnelle justice des vainqueurs, seuls le téméraire ancien chef de l’Etat et les siens vivront l’enfer des cachots.

S’il faut bien regretter le sort des nombreuses victimes de cette guerre fratricide, il faut reconnaître que cet acquittement de Laurent Gbagbo redessinera totalement la carte politique d’une Côte d’Ivoire actuellement écartelée entre les anciens bourreaux de l’époux de Simone Gbagbo. Les ex alliés du Rassemblement des houphouëtistes  pour la démocratie et la paix étant déchirés aujourd’hui autour de l’avènement d’un RHDP, parti unique, que rejettent Henri Konan Bédié et son Parti démocratique de Côte d’Ivoire, le PDCI dont les rangs pourraient bien être renforcés par l’actuel président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, Guillaume Kigbafori Soro. La Côte d’Ivoire qui a plus besoin de réconciliation que de tout autre chose, se donnera-t-elle les moyens de s’éviter de nouveaux affrontements dans lesquels réussissent toujours à l’entraîner les politiciens en manque d’argument? Vivement ce sursaut de patriotisme et de tolérance pour ramener ce pays à la case havre de paix où l’avait laissée son premier président Félix Houphouët Boigny! Pourtant tous se réclament de cet homme qui a su cultiver et fait de la paix une valeur partagée de son vivant. Et que vive la réconciliation en Côte d’Ivoire, car vainqueurs ou vaincus, tout le monde sentira, comme dirait l’autre.

Par Wakat Séra