Accueil Editorial Mali: après le coup de force, on fait quoi maintenant?

Mali: après le coup de force, on fait quoi maintenant?

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La junte militaire au pouvoir au Mali doit oeuvrer au retour à un régime constitutionnel

Ce mercredi 19 août 2020, premier jour sans Ibrahim Boubacar Keïta comme président de la république, est sans doute arrivé plus vite que prévu pour les Maliens qui comptaient sur la désobéissance civile et les rassemblements à la place de l’Indépendance de Bamako, où ils se donnaient rendez-vous depuis le 5 juin, soufflant dans leurs vuvuzélas et brandissant leurs pancartes «IBK, dégage». Les hommes en kaki, habitués à faire partir les chefs de l’Etat maliens, en fin ou presque fin de mandat, ont réitéré leur coup, ce mardi 18 août, alors que le désormais homme fort de Bamako, voyait l’avenir autrement, ragaillardi par la détermination de ses pairs de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO), à le maintenir dans son fauteuil. Mais, la CEDEAO qui se réunit ce mercredi 20 en visioconférence, sous la présidence du Nigérien Mahamadou Issoufou, a proposé, et l’armée malienne a disposé!

L’armée a arraché à Ibrahim Boubacar Keïta, ce que celui-ci a refusé à la rue. Le président malien a même donné plus, car à un certain moment, le Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), dans un souci de lâcher du lest et d’apaisement, se contentait de la démission du Premier ministre et de la dissolution de l’Assemblée national et de la Cour constitutionnelle, abandonnant sa revendication des premières heures, la démission sans condition de IBK. De Kati où il est retenu de force par la junte militaire qui l’a «dégagé», IBK, dans un sursaut de sagesse, a donné sa démission, pensant sans doute, tout de même, à la fable selon laquelle «l’avarice perd tout en voulant tout gagner». Et voilà IBK aux mains des mutins. Otage comme le chef de l’opposition malien, Soumaïla Cissé, l’est, dans les mains de ses ravisseurs, depuis le 25 mars 2020, sans que la CEDEAO ne s’en émeuve outre mesure. Destin presque commun pour les deux premières personnalités politiques maliennes!

Et maintenant? Il faut passer à une étape que les Maliens attendent pour leur mieux-être, et oublier les menaces et les déclarations hypocrites de la communauté internationale qui vient en médecin après la mort. Du reste, a démission «volontaire» et publique de IBK bat en brèche cette hargne des dirigeants ouest-africains et des dépositaires, à l’international, de la démocratie qui ne condamnent jamais la mauvaise gouvernance des chefs de l’Etat, qui règnent, pour la plupart, sur des peuples qu’ils laissent croupir dans la misère et l’obscurantisme. Mais, autant, les présidents ont découvert l’astuce du tripatouillage et du charcutage des constitutions pour rester à vie au pouvoir, autant les peuples ont compris que la même Loi fondamentale leur donne le droit de la désobéissance civile pour s’échapper des goulags à ciel ouvert où ils sont contraints à la survie.

C’est dans la même logique que les hommes en kaki, ont découvert, comme en Algérie et au Zimbabwe, qu’ils peuvent tomber le «chef» et lui proposer de démissionner. Le scénario a, pour le moment en tout cas, bien fonctionné au Mali, pour le plus grand bonheur de populations qui ont manifesté une liesse, par moment trop débordante, car ayant débouché sur le pillage et le saccage des résidences de certains dignitaires du régime IBK.

Il urge maintenant pour le président du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), le colonel Assimi Goïta et les siens, de remettre sur les rails, la machine démocratique, en remettant le pouvoir aux civils, comme ils l’ont promis. Ils doivent penser à effectuer une sortie pour rester ces héros portés par tout un peuple qui s’est senti libéré d’un poids. Ils ont, pour cela, une voie toute tracée. Celle ouverte en 2012 par Amadou Toumani Touré, qui, après son coup d’Etat en 1991, son passage en tant que chef de l’Etat de la transition démocratique, a organisé une conférence nationale et des élections législatives et présidentielle en 1992, ce qui lui a permis de transmettre le pouvoir au président élu, Alpha Oumar Konaré. Certes, l’homme, a cédé aux vertiges du trône, en revenant aux affaires en juin 2002, avant d’en être chassé, alors qu’il était à son deuxième mandat, comme IBK, par un certain Amadou Haya Sanogo, en 2012.

Le CNSP a également le choix de marcher dans les pas des rangers du général Robert Guéï, qui a pris le pouvoir, à la tête du Comité national de salut public, mêmes sigles que le CNSP malien, suite au coup d’Etat du 24 décembre 1999 qui a mis hors-jeu, le président Henri Konan Bédié.  Mais, le «père Noël en treillis», qui n’a pas voulu reconnaître les résultats de la présidentielle d’octobre 2000, qui le donnaient vaincu face à Laurent Gbagbo, a dû fuir le pouvoir suite à des manifestations qui ont fait autour de 300 morts, avant d’être assassiné, le 19 septembre 2002, de même que son épouse et des proches à lui. Et le «balayeur» fut «balayé».

Si la CEDEAO, qui est certes dans son rôle en condamnant toute prise de pouvoir anticonstitutionnelle, arrête de faire du zèle inutile qui ne portera préjudice d’abord qu’au peuple malien meurtri par les attaques terroristes, la vie chère et les ravages du Covid-19, elle donnerait sans doute une autre chance au Mali de transformer l’essai du changement. Le CNSP, avec qui le M5-RFP est prête à coopérer pour un Mali nouveau, est donc au pied du mur, et n’aura droit à aucun état de grâce. Les attentes sont énormes sur les bords du Djoliba, où la soif de justice est très intense et chronique. En attendant, c’est la guerre entre les pour et contre le coup de force du CNSP, acte applaudi par les Maliens mais indigeste pour la CEDEAO.

Par Wakat Séra