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Togo: virage dangereux pour Faure

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Le Togo va-t-il renouer avec les heures de braise? (Ph. rsf.org)

Décidément, la peur a changé de camp au pays de Faure Gnassingbé, le président togolais au pouvoir depuis février 2005. Jadis tenues en respect par des Forces de défense et de sécurité sans pitié, les populations togolaises semblent avoir, enfin, compris que «seule la lutte paie». Pour les deuxièmes manifestations publiques visant à exiger des «réformes politiques» au régime du président, les données ont évoluées. Malgré les menaces de la police qui a poussé le bouchon jusqu’à étouffer Internet, ils ont été des milliers à sortir dans les rues de la capitale pour défier les Forces de l’ordre. Cette fois-ci, l’exigence de plus de liberté et de démocratie n’est plus taboue dans ce pays où règne le même clan depuis pratiquement cinquante ans. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce nouveau virage est dangereux pour le pouvoir togolais. La répression à tout prix n’est plus la panacée. Les  nombreux morts qui ont jalonné le règne du père ont atteint leurs limites sous celui du fils, dans un environnement social désormais marqué par les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Les crimes politiques qui se commettaient en vase clos peuvent désormais se savoir au grand jour. Plus question d’envoyer la soldatesque massacrer sans témoin. Les gens ont appris à user des réseaux sociaux. Et surtout à se filer des informations pour maintenir la pression sur le régime. Et ça ce n’est pas rien.

Faure Gnassingbé qui après sa prise de fonction dans des conditions rocambolesques pour ne pas dire ubuesques, le président de l’Assemblée nationale, Fambaré Natchaba qui était le dauphin constitutionnel ayant été bloqué au Bénin voisin donc empêché de venir au Togo, avaient pourtant suscité de l’espoir. L’homme avait opéré une ouverture à toutes les forces politiques du pays et avait même réussi un véritable parricide en tuant le Rassemblement du peuple togolais, le puissant RPT, véritable parti unique dans une parodie de multipartisme qui ne disait pas son nom, et sur les cendres chaudes duquel est né l’Unir. Mais très vite, le naturel a repris le dessus et toutes les réformes politiques prévues pour aller vers la vraie alternance et un processus démocratique non plus de façade ont été des leurres. Certes, le Togo, qui avait fini par perdre son qualificatif de «Suisse de l’Afrique de l’ouest», à cause de son économie florissante basée sur l’exploitation du phosphore et du dynamisme de son port, avait commencé à reprendre des couleurs. La construction de routes importantes, la rénovation de grandes infrastructures dont les hôtels, fleurons de l’activité touristique, etc., sont à mettre au profit du pouvoir de Faure Gnassingbé qui avait également permis au Togo de renouer avec la confiance de bailleurs de fonds internationaux d’envergure comme l’Union Européenne qui avaient plié bagage sous le règne sans partage du Général Gnassingbé Eyadéma.

Comme tout humain, Faure ne peut être éternellement fort. Il l’apprend depuis lors à ses dépens. Même l’adoption, la veille, par le conseil des ministres de l’avant-projet de réforme sur la limitation du nombre des mandats présidentiels et le scrutin à deux tours au lieu du «un coup KO», n’a pas réussi à refroidir l’ardeur des opposants dont la revendication force est le retour à la Constitution de 1992. C’est dire que la crise de confiance est très profonde, vu que le pouvoir de Faure a toujours rusé avec le temps pour ne jamais respecter les modus vivendi trouvés avec l’opposition pour faire baisser le mercure des crises socio-politiques itératives. L’Accord politique global, le fameux APG signé en son temps sous l’égide de l’ancien président du Burkina Faso, Blaise Commpaoré, n’a pas d’ailleurs échappé à la règle. La mauvaise foi de Faure et de ses séides ont eu raison de lui.

En tout cas, Faure est prévenu et les milliers de manifestants l’ont scandé sans cesse: «Trop c’est trop». Et il doit considérer ce carton jaune comme le moindre mal, la rue pouvant faire monter les enchères très rapidement, comme ce fut le cas au Burkina Faso en octobre 2014, lors de la chute du président burkinabè, Blaise Compaoré. Et les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. Le souvenir des plus de 500 morts enregistrés en 2005, suite aux violences qui ont émaillé la prises de pouvoir sanglante de Faure Gnassingbé, sont encore vivaces dans les esprits.

 Par Wakat Séra