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Afrique: «Un nouveau Kenya est né»

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Ph. data.bnf.fr

«Un nouveau Kenya est né». Tel a été le cri de victoire lancé par Raila Odinga, vendredi 1er septembre, après la décision de la Cour suprême du Kenya invalidant le résultat de la présidentielle du 8 août et appelant à un nouveau scrutin le 17 octobre. Odinga a obtenu 44,74 % des suffrages, le président, Uhuru Kenyatta, 54,27 %.  Cette invalidation est une première en Afrique.

Une première, précédée par un autre cas tout aussi exceptionnel, en Gambie, où un des pires dictateurs, Yahya Jammeh, a officiellement perdu les élections. C’était en décembre dernier.

Après avoir accepté sa défaite, il s’était rétracté par la suite au point qu’il fallait le résoudre à quitter le pouvoir sous la menace de l’intervention armée de la CEDEAO (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest).

S’il n’y a pas de similitude entre les deux cas, il y a sans doute à y voir la naissance d’une dynamique qui pousse vers l’éclosion de la démocratie. Plus ou moins entachée en Gambie par l’attitude versatile du dictateur, la situation au Kenya s’est présentée sous le signe de la sagesse. Certes, le «vainqueur déchu» a cédé à la violence verbale, allant jusqu’à traiter les juges de cette instance d’«escrocs», sans toutefois rejeter la décision judiciaire. Une posture responsable qui a évité de donner lieu à une empoignade sanglante entre les partisans chauffés à blanc des deux camps. Après une campagne folle.

La prise de position de la justice kényane d’invalider la présidentielle du 8 août a été saluée avec enthousiasme partout en Afrique. Outre le débordement de la presse locale, qui a épuisé tous les termes de louange pour qualifier la circonstance, les médias africains en ont fait également leur affaire. La plupart d’entre eux ont exprimé l’espoir de voir, enfin, tout le continent emboîter le pas des juges kényans.

Tel aussi a été le sentiment de plusieurs observateurs indépendants, à l’instar de Crisis Group, qui estimait que «la démocratie non seulement au Kenya, mais également en Afrique, est en train de mûrir».

De tous côtés, le satisfecit est donc total, mais ce n’est là que la partie visible de l’iceberg. Car, derrière cette décision judiciaire se cachent nombre d’interrogations, par rapport à la réalité sur le terrain. Le pays dispose-t-il de moyens financiers nécessaires pour organiser, en soixante jours, deux présidentielles sortables? Trouvera-t-on une solution qui satisfasse toutes les parties, quant à la restructuration de la Commission électorale indépendante (IEBC) que l’opposition appelle de tous ses vœux, alors que le parti au pouvoir s’y refuse net? La sagesse observée aujourd’hui de la part des deux candidats sera-t-elle toujours de mise, lors de la proclamation des résultats du scrutin remis en jeu?

Sur un autre plan, quelle serait la place des observateurs internationaux, clairement décrédibilisés par la décision de la Cour suprême, alors qu’ils avaient déclaré «crédible» l’ensemble des opérations du vote? La question restera longtemps posée…

Enfin, au Kenya, comme c’est le cas partout en Afrique subsaharienne, se pose avec acuité la question ethnique. Les Luo, d’un côté, et les Kikuyu, de l’autre, ne continuent pas moins de se regarder en chiens de faïence. Tout peut donc arriver, lors du second scrutin prévu pour le 11 octobre. En attendant, la Cour suprême constitue le point de mire.

Par Jean-Jules Lema Landu, journaliste congolais, réfugié en France