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Bénin-Niger: attention à la guerre du pipeline!

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L'oléoduc de la discorde (Ph. d'illustration)

«Ouvrez les frontières, ouvrez les frontières!». Le titre est du célèbre reggae-maker ivoirien Tiken Jah Fakoly dans sa campagne contre les visas qui font, de plus en plus, de l’Europe, une citadelle imprenable. Du coup, le désert puis l’océan, les seuls passages possibles suicidaires, mais encore possibles, sont devenus des cimetières à ciel ouvert pour les candidats à l’immigration, fuyant les atrocités de régimes de fer et en quête du pain quotidien devenu pain hebdomadaire, pour ne pas dire denrée rare voire inexistante.

Désormais, les Béninois et les Nigériens sont doublement frappés par ce phénomène déplorable de barrières levées et infranchissables. Tout est parti des sanctions draconiennes prises par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) contre le général Abderahamane Tiani et ses hommes qui ont pris le pouvoir par les armes, au Niger, le 26 juillet 2023. De ces mesures appliquées par des voisins du Niger, figurait la fermeture des frontières. La pratique est loin d’être inédite car faisant partie de l’arsenal des représailles mis en place par les pays membres de l’organisation sous-régionale, dont faisait partie le Niger.

Trouvant cette fatwa davantage préjudiciable pour les populations que pour les auteurs du putsch militaire, la CEDEAO s’est logiquement vue contrainte de les lever. Sauf qu’entre temps, l’avènement de l’Alliance des Etats du Sahel est passée par là! L’AES, formée par les trois Etats nigérien, burkinabè et malien, qui ont claqué la porte de la CEDEAO, a désormais ses règles de coopération et de fonctionnement qui ont donné la latitude à ses membres de prendre leurs distances de l’institution qui n’est pas non plus à l’abri de critiques fondées ou non. D’où le refus unilatéral du Niger de rouvrir sa frontière avec le Bénin, qui, considérant que le temps des sanctions improductives et d’ailleurs inopportunes était derrière, a rouvert, de son côté, la frontière.

Les autorités béninoises en rouvrant la frontière, avaient, certainement en vue des intérêts commerciaux, du fait de la fréquentation assidue de leur port par les transporteurs nigériens, mais, sans doute également, comptaient rétablir la libre circulation des biens et des personnes, principe noble et cher à la CEDEAO. Mais, le Niger, lui a préféré garder sa frontière, officiellement et hermétiquement, fermée avec le Bénin. Raisons sécuritaires comme l’affirment les autorités de la transition nigérienne, ou simple alibi pour faire payer au Bénin sa témérité de s’être logiquement alignée sur la position regrettable de la CEDEAO qui avait annoncé, à la suite de la prise de pouvoir par la force, un rétablissement de la démocratie au Niger, par la force s’il le fallait?

En tout cas, le Bénin a, lui aussi bandé les muscles. «Le 8 mai, le président béninois Patrice Talon a confirmé la décision d’interdire l’embarquement du pétrole nigérien via la plateforme de Sèmè-Podji. L’oléoduc géant de 2 000 kilomètres qui part d’Agadem au Niger jusqu’à ce port béninois doit permettre à Niamey d’écouler pour la première fois son pétrole brut sur le marché international. L’objectif à terme est d’acheminer 90 000 barils par jour, ce qui pourrait représenter jusqu’à 12,36 milliards d’euros pour Niamey selon les estimations de la Banque mondilale.» Constat de la revue de géoplolitique Conflits.

Bien qu’ayant autorisé un premier embarquement, grâce à la médiation de la Chine dont des entreprises comme la China National Petroleum Corporation (CNPC), ou du transport comme la West African Oil Pipeline Company (Wapco), filiale de la CNPC sont en charge de l’extraction, le Bénin, a, de nouveau, interdit toute activité d’embarquement du pétrole à partir de son territoire, tant que la frontière reste fermée côté nigérien. Du reste, le feuilleton connaît d’autres rebondissements dont le dernier en date est l’arrestation, le 5 juin, de cinq ressortissants nigériens par la police béninoise, au niveau de la plate-forme de Sémè-Podji. Ceux-ci se sont présentés comme des travailleurs de Wapco, mais selon le Bénin, au moins deux d’entre eux ont été identifiés comme des agents du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), la junte au pouvoir au Niger.

Alors que le Niger dénonce cette interpellation et lance un ultimatum assorti de menaces au Bénin, et que les positions se radicalisent, faisant payer le plus lourd tribut à des populations qui ne demandent qu’à vivre et commercer en paix des deux côtés de la frontière, il est à craindre le pire. La guerre du pipeline aura-t-elle lieu? Il faut espérer que non, dans une sous-région et une Afrique emballée dans les conflits et où le vivre ensemble et la stabilité tombent en lambeaux du fait d’intérêts d’anciens ou de nouveaux colonisateurs cachés sous le manteau de partenaires économiques et militaires.

Par Wakat Séra