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Burkina: le Parlement européen préoccupé face au coup d’État

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Le président du MPSR qui fait office de chef suprême des Armées s'adressant aux troupe, lors d'une sortie de terrain (Ph. AIB)

Le Parlement européen, dans une résolution, exprime «sa préoccupation face au coup d’État perpétré par les forces armées contre le gouvernement démocratiquement élu du Burkina Faso» et «souligne qu’un retour urgent à l’ordre constitutionnel est impératif, y compris un retour immédiat à un gouvernement civil».

Résolution du Parlement européen sur la crise politique au Burkina Faso ( 2022/2542(RSP)

Le Parlement européen,

– vu ses précédentes résolutions, et notamment celles du 19 décembre 2019 sur les violations des droits de l’homme dont les libertés religieuses au Burkina Faso[1] et du 16 septembre 2020 sur la coopération UE-Afrique en matière de sécurité dans la région du Sahel, de l’Afrique de l’Ouest et de la Corne de l’Afrique[2] ,

– vu la déclaration du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité au nom de l’UE du 26 janvier 2022 sur les derniers développements au Burkina Faso,

– vu la déclaration du porte-parole du secrétaire général des Nations unies du 24 janvier 2022 sur le Burkina Faso,

– vu la déclaration du Conseil de sécurité des Nations unies du 9 février 2022 sur la situation au Burkina Faso,

– vu le communiqué final issu du sommet extraordinaire de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sur la situation politique au Burkina Faso du 28 janvier 2022,

– vu le protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance,

– vu le communiqué final adopté par le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine (UA) lors de sa 1 062e réunion du 31 janvier 2022 sur la situation au Burkina Faso,

– vu la communication conjointe de la Commission et du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité du 9 mars 2020 intitulée « Vers une stratégie globale avec l’Afrique » (JOIN(2020)0004),

– vu la résolution du 11 mars 2021 de l’Assemblée parlementaire paritaire du groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) et de l’UE sur la démocratie et le respect des constitutions dans l’UE et les pays ACP,

– vu la déclaration commune des membres du Conseil européen avec les États membres du groupe des cinq pour le Sahel (G5 Sahel) du 28 avril 2020,

– vu les objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies, et en particulier l’ODD 16 sur la promotion de sociétés justes, pacifiques et inclusives pour le développement durable,

– vu la déclaration universelle des droits de l’homme,

– vu la Constitution de la République du Burkina Faso,

– vu l’accord de Cotonou,

– vu la charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance,

– vu la convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique,

– vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966,

– vu la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes de 1979,

– vu l’article 144, paragraphes 5, et 132, paragraphe 4, de son règlement intérieur,

UNE. considérant que le 24 janvier 2022, les militaires du Burkina Faso, dirigés par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba et le Mouvement patriotique autoproclamé pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), ont renversé le gouvernement élu dirigé par le président Roch Marc Christian Kaboré; considérant que la Cour constitutionnelle burkinabè a ultérieurement déclaré le lieutenant-colonel Damiba nouveau chef de l’État de facto;

B considérant que peu de temps avant le coup d’État, le président Kaboré a remporté un second mandat lors d’élections démocratiques tenues en 2020; considérant qu’il a été contraint d’annoncer son départ en tant que président et de démissionner; considérant que depuis le coup d’État, il est détenu par les forces armées, avec des contacts limités avec des étrangers; considérant que le Mouvement populaire pour le progrès (MPP), le parti du président Kaboré, a assuré le 26 janvier 2022 que Kaboré se trouvait dans une villa présidentielle en résidence surveillée et disposait d’un médecin;

C considérant qu’à son arrivée au pouvoir, la junte militaire a annoncé la suspension de la constitution et la dissolution du gouvernement et de l’assemblée nationale; considérant que la constitution a été rétablie le 31 janvier 2022; considérant que le lieutenant-colonel Damiba a annoncé dans une déclaration télévisée que le Burkina Faso respecterait ses engagements internationaux;

RÉ. considérant que la prise du pouvoir par les militaires a été accueillie avec beaucoup de circonspection et une relative indulgence par la société civile au Burkina Faso;

  1. considérant que l’UA, la CEDEAO et le Conseil permanent de la Francophonie ont suspendu le Burkina Faso à la suite du coup d’État militaire; considérant que la CEDEAO et l’ONU ont envoyé une délégation interministérielle demandant une courte transition et la libération du président Kaboré; considérant que le 3 février 2022, la CEDEAO a décidé de ne pas imposer de nouvelles sanctions au Burkina Faso, mais a demandé aux nouvelles autorités du pays de présenter un « calendrier raisonnable pour le retour à l’ordre constitutionnel » ;
  1. considérant que le 8 février 2022, un comité technique avec des acteurs non militaires a été créé pour définir les paramètres de la transition; considérant que la commission dispose de deux semaines pour proposer un projet de charte de transition; considérant que les travaux du comité technique doivent s’articuler autour de la restauration de l’intégrité territoriale, de la consolidation de la paix par le retour progressif des déplacés internes, de la bonne gouvernance et du retour à l’ordre constitutionnel;
  1. considérant que le MPSR a affirmé que le coup d’État était une réponse à la détérioration de la situation sécuritaire dans le pays; considérant que le gouvernement du Burkina Faso a entamé un processus de réforme du secteur de la sécurité en 2017 avec la création d’un conseil national de défense et de sécurité, dans le but de moderniser le secteur de la sécurité et d’y lutter contre la corruption; considérant que le mécontentement et les critiques des civils, de l’opposition et des militaires se sont accrus face à l’incapacité du président Kaboré à lutter contre la corruption et à mettre en œuvre efficacement des solutions aux énormes défis sécuritaires, sociaux et économiques dans le pays causés par la propagation d’attaques violentes par des groupes terroristes;

H considérant que la situation sécuritaire au Sahel est une conséquence directe de la déstabilisation de la région et de la prolifération des armes suite à l’intervention en Libye en 2011;

  1. considérant qu’entre 2016 et 2021, le budget national pour la défense et la sécurité est passé de 240 millions d’euros à 650 millions d’euros, soit une augmentation de plus de 170 %; considérant que ces dépenses n’ont pas permis d’améliorer les conditions de vie ou la capacité opérationnelle des soldats, en partie à cause d’une mauvaise gestion financière endémique;

J considérant qu’au cours des six dernières années, des milliers de personnes ont perdu la vie dans des attaques djihadistes et insurgées; considérant qu’en deux ans, plus de 1 000 écoles ont été fermées et que de nombreuses personnes ont fui leur domicile pour échapper à la violence; considérant qu’en juin 2021, 174 personnes sont mortes dans les villages de Solhan et Tadaryat lors de l’attaque la plus meurtrière depuis 2015; considérant que le 4 novembre 2021, une attaque djihadiste contre la garnison de gendarmerie d’Inata, dans le nord du Burkina Faso, a tué 53 des 120 soldats qui attendaient des fournitures et un soutien logistiques, y compris des rations alimentaires; considérant que Human Rights Watch a fait état d’exécutions sommaires de centaines de suspects par les forces de sécurité et les milices pro-gouvernementales, et que pratiquement aucune de ces attaques n’a fait l’objet d’enquêtes et que personne n’a été poursuivi;

K considérant que l’insécurité croissante a poussé un grand nombre de personnes à manifester dans la rue en novembre 2021; considérant que le gouvernement a fermé Internet, ce qui a accru le mécontentement de la population et attiré les critiques des organisations de défense des droits de l’homme et des mouvements citoyens du pays;

L considérant que le 22 janvier 2022, alors que des citoyens protestaient contre la détérioration de la sécurité dans le pays, de violentes manifestations ont éclaté à Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, les deux plus grandes villes du Burkina Faso; considérant que la prise du pouvoir par l’armée est intervenue deux jours après que la police anti-émeute a affronté des manifestants antigouvernementaux dans la capitale, Ouagadougou;

M considérant que l’escalade de la violence a fait de la situation au Burkina Faso l’une des crises de déplacement et de protection dont la croissance est la plus rapide au monde, avec au moins 1,6 million de personnes déplacées; considérant que plus de 19 000 Burkinabé ont fui vers la Côte d’Ivoire, le Mali, le Niger et le Bénin; considérant que le nombre de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays est passé à plus de 1,5 million l’an dernier, ce qui représente une augmentation de 50 %; considérant que la région du Sahel connaît un exode rural sans précédent, puisque les personnes déplacées de force se déplacent vers les zones urbaines où elles rencontrent de nouveaux risques; considérant que parmi les personnes déplacées à l’intérieur du pays, les menaces pesant sur les femmes et les jeunes sont particulièrement graves, notamment l’exploitation sexuelle et le travail, la violence sexiste, le recrutement forcé et la traite; considérant que les femmes burkinabè, qui ont deux fois moins de possibilités d’accéder à l’éducation que les hommes, sont les plus touchées par l’extrême pauvreté dans le pays;

N considérant que l’urgence climatique a un effet visible et profondément dommageable sur la région du Sahel, entraînant sécheresse, mauvaises récoltes, déplacements, conflits liés aux terres et aux ressources, insécurité alimentaire et pauvreté; considérant que le manque d’accès à l’éducation, aux possibilités d’emploi et aux revenus favorise le recrutement dans les organisations extrémistes et les mouvements djihadistes et alimente ainsi l’instabilité régionale;

  1. considérant que le récent coup d’État et la détérioration de la situation au Mali en particulier ont eu un impact sur la situation au Burkina Faso; considérant que le récent coup d’État est également le quatrième coup d’État en Afrique de l’Ouest en moins de deux ans; considérant que le nombre croissant de coups d’État reflète une crise majeure dans les systèmes politiques de l’Afrique de l’Ouest;

P considérant que le G5 Sahel, effort collaboratif de défense du Burkina Faso, du Tchad, du Mali, de la Mauritanie et du Niger, soutenu notamment par l’UE et l’UA, coordonne l’action en matière de développement régional et de sécurité afin de lutter contre le terrorisme et de stabiliser la région, mais n’a pas réussi à convaincre les populations locales de son efficacité ;

Q considérant qu’un groupe d’entrepreneurs militaires russes a écrit aux putschistes du Burkina Faso pour leur proposer de former l’armée du pays dans sa lutte contre les djihadistes;

  1. condamne et exprime sa préoccupation face au coup d’État perpétré par les forces armées contre le gouvernement démocratiquement élu du Burkina Faso; souligne qu’un retour urgent à l’ordre constitutionnel est impératif, y compris un retour immédiat à un gouvernement civil;
  1. demande la libération immédiate et inconditionnelle du président Kaboré et de tous les autres responsables gouvernementaux;
  1. se félicite de l’annonce de la création du comité technique chargé de définir les prochaines étapes du processus de transition; prend note des déclarations publiques du lieutenant-colonel Damiba, dans lesquelles il s’est engagé à un retour à la vie constitutionnelle normale dès que possible et que le pays continuerait à respecter les engagements internationaux; demande aux dirigeants militaires de respecter les engagements internationaux du Burkina Faso, notamment le plein respect des droits de l’homme et la lutte contre les organisations terroristes en partenariat étroit avec la communauté internationale;
  1. Réitère son soutien à la CEDEAO et à l’UA dans leurs efforts de médiation dans cette crise ; invite la communauté internationale, y compris le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) et la Commission, à poursuivre le dialogue avec les autorités burkinabé afin d’assurer une transition opportune et démocratique vers un gouvernement dirigé par des civils; demande aux autorités du Burkina Faso et au comité technique d’identifier des délais et des processus clairs afin de mener des élections inclusives et transparentes dans les meilleurs délais;
  1. souligne qu’un dialogue national véritable et honnête, impliquant tous les secteurs de la société civile, est nécessaire afin de définir une vision future claire pour la démocratie burkinabé;
  1. Exhorte toutes les parties au Burkina Faso à respecter la liberté de la presse afin de garantir que les médias nationaux et internationaux puissent mener à bien leur travail, notamment en documentant la situation des personnes déplacées à l’intérieur du pays et les opérations des forces de sécurité ;
  1. encourage la Coordination nationale pour une transition réussie (CNRT) à surveiller les autorités et à exiger qu’elles assurent la protection des défenseurs des droits de l’homme et des organisations de la société civile dans l’exercice de leur mandat, notamment en dénonçant les violations des droits de l’homme, les violences policières et l’usage excessif des Obliger; demande à l’Union et à ses États membres d’accroître leur protection et leur soutien aux défenseurs des droits de l’homme au Burkina Faso et, le cas échéant, de faciliter la délivrance de visas d’urgence et de fournir un abri temporaire dans les États membres de l’Union;
  1. rappelle que le fait de ne pas lutter contre l’impunité pour les atrocités commises dans le passé par les services de sécurité et les milices entrave les efforts de paix au Burkina Faso; demande aux autorités du Burkina Faso de protéger les droits des suspects arrêtés dans le cadre d’opérations antiterroristes et de veiller à ce que les auteurs d’atteintes aux droits de l’homme répondent de leurs actes; note qu’un gouvernement autoproclamé sans mandat démocratique compromet les efforts visant à renforcer l’état de droit et la responsabilité;
  1. rappelle que la protection et la sécurité des civils sont l’une des tâches essentielles de tout gouvernement et souligne que des mesures supplémentaires doivent être prises au Burkina Faso pour améliorer la protection des civils;
  1. prie instamment la Commission, le SEAE et les États membres de continuer à donner la priorité au soutien à la réforme du secteur judiciaire et de la sécurité au Burkina Faso afin de garantir que des ressources et une assistance technique suffisantes soient fournies pour une réforme de fond en comble du secteur de la sécurité, une coopération transparente et constructive entre un gouvernement civil et l’armée, et des efforts renouvelés pour lutter contre la corruption ;
  1. demande à l’Union et à ses États membres d’accroître leur soutien financier et leur aide humanitaire afin de répondre aux besoins urgents de la population du Burkina Faso, et en particulier ceux des personnes déplacées et des réfugiés dans les pays voisins;
  1. demande aux autorités du Burkina Faso de réviser la clause d’immunité dans le statut des forces spéciales, une nouvelle unité militaire créée en mai 2021, qui stipule que les membres des forces spéciales ne peuvent être traduits devant les tribunaux pour tout acte commis au cours de leurs opérations et viole ainsi les droits des victimes à la justice et à réparation ;
  1. invite les États membres de l’UE à respecter leurs obligations internationales d’appliquer un système de contrôle et de traçage approfondi à leurs exportations d’armes vers des pays tiers, comme le stipule le traité sur le commerce des armes, afin d’éviter leur utilisation abusive et l’alimentation de violations des droits humains;
  1. Exprime sa préoccupation quant à l’état général de la démocratie dans la région et appelle tous les acteurs, tant nationaux qu’internationaux, à réfléchir aux enseignements tirés des différents coups d’État et à la manière de mieux soutenir et encourager les processus démocratiques dans la région ;
  1. continue de croire fermement que l’implication du groupe Wagner en Afrique de l’Ouest va à l’encontre de l’objectif d’apporter la paix, la sécurité et la stabilité au Burkina Faso et d’assurer la protection de son peuple; demande que les activités du groupe Wagner et d’autres entreprises militaires privées en Afrique fassent l’objet d’un débat approfondi lors du prochain sommet UE-Afrique;
  1. souligne que le terrorisme et l’instabilité dans la région du Sahel remettent en cause et compromettent la consolidation démocratique et l’État de droit; rappelle que la lutte contre les causes sous-jacentes de l’extrémisme et les efforts militaires visant à rétablir le contrôle gouvernemental dans la région sont essentiels pour renforcer la légitimité populaire des gouvernements démocratiquement élus;
  1. se déclare particulièrement préoccupé par l’impact des menaces à la sécurité sur l’efficacité de l’aide humanitaire et de la coopération au développement; demande instamment aux États membres et à la communauté internationale d’accroître leur aide humanitaire au Burkina Faso, notamment par la fourniture de vivres, d’eau et de services médicaux; demande aux autorités de soutenir et de faciliter le travail des organisations humanitaires au Burkina Faso afin de garantir un accès humanitaire sans entrave et de leur permettre de répondre aux besoins des personnes déplacées;
  1. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, à la vice-présidente de la Commission/haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, aux autorités de la République du Burkina Faso, au secrétariat du G5 Sahel, les coprésidents de l’Assemblée parlementaire paritaire ACP-UE et du Parlement panafricain, de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, de l’Union africaine et de ses institutions.