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Francis Kéré, architecte burkinabè: ce prix «Nobel de l’art» est un grand encouragement

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C’est une nouvelle distinction de prestige qui vient récompenser l’architecte burkinabé Francis Kéré. On a appris hier mardi 12 septembre, qu’il faisait partie des lauréats du 34e Praemium Imperiale, un prix considéré comme le « Nobel des arts ». Voici donc sa toute première réaction. Une interview dans laquelle l’architecte dit son émotion après le tremblement de terre qui vient de frapper le Maroc.

RFI : Vous accumulez les récompenses : le BSI Swiss Architectural Award en 2010, la médaille d’architecture de la fondation Jefferson en 2021, le prix d’architecture Pritzker en 2022 et aujourd’hui, le Praemium Imperiale dans la catégorie architecture. Qu’est-ce qui, selon vous, fédère à ce point les architectes autour de votre travail ?

Francis Kéré : Le travail que j’ai démarré au Burkina Faso a toujours été considéré comme la tentative d’apporter ma petite pierre au développement de mon village. Et du coup, je suis toujours surpris de voir que je suis récompensé. Mais je crois que c’est peut-être par la simplicité du travail, le choix des matériaux, le courage d’aller fouiller dans un endroit où souvent, on dit que c’est impossible, c’est ça qui pousse d’autres architectes à me pousser vers ces prix. Je crois que c’est peut-être ça.

On a le sentiment d’ailleurs que l’une de vos forces, c’est d’avoir su inventer une architecture qui est pleinement africaine, tout en intégrant les apports du reste du monde…

Oui, parce que j’ai développé ce travail-là au cœur même de l’Afrique. Mais l’architecture étant un métier universel. Je m’enrichis beaucoup en apprenant à travers le monde, en découvrant ce qui a été fait en Europe avant l’ère industrielle. Je puise dans cette expérience-là pour essayer d’adapter une architecture aux conditions du Burkina Faso, où il fait très chaud, mais on a beaucoup de ressources : on a des matières, par exemple, la terre, on a aussi du bois, et on a une main d’œuvre qui a du talent si on sait guider cette main d’œuvre. Et j’essaie de combiner tout cela pour créer des espaces qui offrent un confort pour tous les usages que vous pouvez imaginer.

Quel regard est-ce que vous portez sur les leçons à tirer de la catastrophe qui vient de se produire au Maroc ? Est-ce qu’après un tremblement de terre comme celui-là, il y a une réflexion à mener sur la façon dont les populations peuvent intégrer certaines normes à des constructions qui resteraient traditionnelles ? Comment est-ce qu’on peut réinventer ces traditions architecturales ?

En tout cas, toute ma pensée va vers le Maroc, vers les communautés qui ont trouvé leur habitat détruit. Vous savez, le cœur s’arrête presque quand vous entendez ça. Je me suis assis, j’ai dit : « bon, tiens, si je pouvais vite approcher les responsables pour essayer d’aller avec ma modeste contribution voir ce qu’on pouvait faire. » D’abord vite, pour créer un toit, pour que les gens puissent se retrouver, se retirer, mais aussi étudier ce qui a failli dans l’habitat traditionnel, et ce qu’on peut tous ensemble améliorer. Il faut apprendre ensemble à trouver des solutions qui permettent d’éviter dans le futur de telles catastrophes.

Est-ce que, d’ailleurs, c’est quelque chose de très complexe d’avoir des constructions adaptées au risque sismique ?

Il y a des concepts élaborés dans toutes les écoles pour réduire les dégâts, pour empêcher que les bâtiments ne s’écroulent complètement, si vous prenez une nation comme le Japon, nous parlons du high tech. Je crois qu’il faudra qu’on pousse aussi à élaborer des solutions pour des nations qui ne vivent pas avec le high tech. L’ingénierie et la recherche ont prouvé que c’est possible de le faire, on peut combiner en ajoutant un poinçon à une structure qui combine bois et matériaux de remplissage, c’est possible.

Vous-même, vous seriez prêt à participer à cette réflexion ?

Ah oui, tout de suite ! Sans hésiter ! Toute la nuit, j’ai peu dormi, et honnêtement, vous m’avez pris à chaud, mais j’étais en train de réfléchir à ça avec mes plus proches collaborateurs, et on était en train de parler. Vous voyez que je suis toujours dans l’émotion. Non non, je participerai très vite, sans hésiter.

Sur le continent africain, comme partout dans le monde, l’un des défis auxquels devront faire face tous ceux qui bâtissent, c’est celui du changement climatique. Quelles sont les grandes solutions qu’il faudra suivre, selon vous, en termes de matériaux, de dessins de bâtiments, de façons de construire ?

Vous avez souligné la nécessité de se rendre compte qu’on ne peut pas continuer comme ça, on ne peut pas continuer à bâtir comme ça. La population en Afrique, selon beaucoup d’études, s’accroit très vite, et en même temps, nous avons des ressources qui sont limitées. Nous ne pouvons pas continuer à utiliser des matériaux qui contribuent au réchauffement climatique. La nécessité du temps, c’est à l’économie, c’est à l’élaboration de solutions qui permettent de loger des masses sans consommer trop et sans causer de tort à l’environnement. Les décideurs et les concepteurs doivent prendre conscience qu’on ne peut pas continuer à faire comme on est habitués à le faire.

Un mot enfin sur les grands projets sur lesquels vous travaillez actuellement. Parlez-nous, par exemple, de la façon dont vous avez dessiné la future assemblée béninoise ?

Pour l’Assemblée nationale du Bénin, l’idée principale, c’est de créer un gigantesque arbre à palabres, comme un symbole du lieu de rencontres, de débats, de disputes.

L’ensemble de l’Assemblée nationale ressemblera à un grand arbre ?

Oui, c’est ça l’idée qu’il y avait autour. Et d’ailleurs, il est intégré dans une forêt botanique, qui existait depuis très longtemps, qui a été préservée, et cet arbre, l’arbre à palabres qui sera l’Assemblée nationale, sera le plus grand arbre dans cette forêt botanique. Mais autour de cette idée symbolique, il y a des idées réelles qui vont permettre de réduire la consommation en énergie. Par exemple, au sein de l’Assemblée nationale, il y a une cour où les députés, où tous ceux qui travailleront dans cette Assemblée nationale, se rencontreront. Mais, pour l’enveloppe du bâtiment, j’ai choisi de prendre du béton, c’est quand même une bâtisse qui est censée durer, je l’espère, des siècles, donc j’ai choisi de corréler le béton en fond, dans la masse, j’ai essayé de créer un bâtiment qui va perdurer dans le temps, qui consommera moins d’énergie, mais qui est un symbole même du débat dans la tradition africaine.

Source: RFI

Francis Kéré a été interrogé par Laurent Correau.