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L’illusion de la « putsch-thérapie » en Afrique

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Alors que de nombreux dirigeants africains s’accrochent au pouvoir désespérément, on a parfois l’impression que seul un putsch peut libérer les populations de la prison qu’est leur pays enserré dans la mauvaise gouvernance. Dans son article publié en collaboration avec Libre Afrique Alexe Kitio Kenfack, Doctorant en Relations internationales et études stratégiques, Université de Gazi-Ankara, Turquie, explique que les putschistes sont très rarement animés d’une mission en faveur du bien commun. Le pouvoir arraché, ils en font ce que les prédécesseurs en avaient fait, et souvent en pire. L’auteur propose de donner plus de pouvoirs aux Parlements de manière à contrebalancer le pouvoir absolu d’un Président.

La dernière tentative de coup d’état en date du 7 janvier 2019 au Gabon a ramené le débat sur une pratique qui pendant toute la seconde moitié du XXe siècle s’était presque imposée comme « mode normal » d’accession au pouvoir en Afrique. Dans un environnement africain où la démocratie et l’alternance peinent encore à s’imposer comme règles du jeu politique, l’Afrique serait-elle toujours en proie à l’illusion de la « putsch-thérapie » ? Quelles transformations politiques vertueuses seraient à même de pacifier la vie politique en Afrique ?

Le putsch comme arbitre institutionnel du jeu politique africain

De manière générale le coup d’état ou putsch s’entend par l’usage de la force dans l’accession au pouvoir politique au sein d’un Etat, soit par action militaire, soit par une action populaire civile, entrainant le renversement illégal des dirigeants en place. Les études des auteurs Jonathan Powell et Clayton Thyne recensent 475 coups d’état dans le monde, dont un plus grand nombre en Afrique. Depuis 1950 l’Afrique aura été le théâtre d’un total de 204 putschs, dont 104 échoués, 100 réussis, et 139 complots en vue de coups d’état. Entre 1960 et 1982 près de 90% des 45 Etats indépendants d’Afrique noire a connu l’expérience d’un coup d’Etat, en faisant un véritable mécanisme « institutionnel » d’alternance politique. De 1960 à 1999 il y a eu entre 39 et 42 coups d’état par décennie, alors que pour la décade 2010 seuls 16 sont enregistrés.

Le putsch comme « thérapie politique » s’est imposé comme un mode « quasi normal » d’alternance. Le cas de la République Centrafricaine est suffisamment éloquent à ce propos. Ce pays indépendant depuis le 14 août 1960 a connu pas moins de 5 coups d’état. Alors que l’élection libre peine à s’imposer comme dans bon nombre d’Etats africains à la même époque, le coup d’état devient l’ultime arbitre d’un jeu politique sclérosé où les acteurs ne veulent ni attendre leur tour, ni passer la main. La putsch-thérapie s’est imposée malheureusement comme régulateur politique paradoxal. Une dynamique quasi identique est observable au Burkina Faso entre 1966 et 2015. Le Burkina étant d’ailleurs le pays africain avec le plus grand nombre de putsch réussis, soit sept, tandis que le Soudan détient le record du plus grand nombre cumulé de coups d’état, soit 14 au total.

Putsch-thérapie ou le mythe de la « démocratie bottée »

L’idée d’une transition politique « vertueuse » imposée de force par le duo « treillis-bottes » a fait son chemin. Alain Antil notait à ce sujet qu’on ne peut pas dire que tous les putschs sont mauvais. Dans l’histoire, certains ont été opportuns. Les exemples du Ghana sous Jerry Rawlings ou d’un Mali réinventé sous Amadou Toumani Touré sont forts révélateurs. Cependant, le mythe de « l’Etat garnison » ou « Etat caserne » va vite se heurter à ses propres limites, les exemples précédents s’avérant très souvent n’être que l’arbre qui cache la forêt. Même la Déclaration d’Alger de 1999 par laquelle les Chefs d’Etat et l’Union Africaine se sont inscrits contre cette pratique des putschs n’y aura rien changé, vu que même le président en exercice de l’Union Africaine en 2019, l’Egyptien Al Sissi, est lui-même issu d’un coup d’état de 2013.

Impact des putschs

Traditionnellement, les coups d’état n’ont conduit qu’à une appropriation privée (famille, clan, ethnie, parti unique) et rentière du pouvoir. Les promesses révolutionnaires de transformation et de rupture ayant motivé l’action initiale s’effondrent rapidement. C’est la théorisation de « l’Etat butin de guerre » dont l’avenir s’articule entre dépeçage et déliquescence. De manière générale, le sous-développement de l’Afrique, l’absence de diversification des économies, sont dus aux coups d’Etat. La spécialisation rentière dans les matières premières ou les ressources extractives a rapidement été érigé en modèle entre les mains de seigneurs de guerre au Libéria, en Sierra Leone, au Nigeria sous Sani Abacha, au Burkina Faso, en Guinée, en Lybie, en Somalie et en RDC.

Pour un renforcement du rôle du Parlement dans la vie politique africaine

Pour sa part, Raymond Carré de Malberg rappelait qu’il n’y a pas de place dans le droit constitutionnel pour une théorie juridique des coups d’Etat. Aussi pour sortir de cette pratique, l’urgence est au dialogue et à une augmentation du rôle des Parlements pour un minimum de consensus. L’impact des Parlements varie certes d’un pays à un autre mais l’une des forces du continent réside dans l’organisation communautaire forte qui demeure un socle solide de résilience et de développement à ne pas négliger.

La poignée de main historique au Kenya entre les « frères » ennemis (Uhuru Kenyatta et Odinga), la diplomatie de paix du premier ministre éthiopien Abiy Ahmed dans la Corne de l’Afrique, ou encore la transition observée en République Démocratique du Congo entre les présidents Kabila et Tshisekedi, sont autant de révélateurs du pouvoir du dialogue, pour taire à jamais le pouvoir des armes et de la violence dans les dynamiques politiques africaines. La putsch-thérapie ne peut se substituer à une concurrence saine afin de promouvoir une alternance pacifique et in fine consolider la démocratie en Afrique.