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Mali: la détention de Issa Kaou N’Djim, « d’une violation de la loi de procédure vers une forfaiture… »

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A travers cet écrit publié sur son blog, Me Mamadou I. Konaté ne passe pas par quatre chemins pour dénoncer la détention du conseiller national de la Transition au Mali, Issa Kaou N’Djim, détention qui selon lui va « d’une violation de la loi de procédure vers une forfaiture… ». Avocat, Associé aux Barreaux du Mali et de Paris, Me Konaté est ancien ministre de la Justice, sous Ibrahim Boubacar Keïta, poste duquel il a démissionné au bout de seize mois. 

Jerry John Rawlings est celui qui, par deux fois, s’est emparé du pouvoir d’État au Ghana par les armes. Un record d’ailleurs égalé depuis. S’exprimant au sujet des difficultés de la construction de l’État de droit, il dit en des termes on ne peut plus clairs : « Nous devons mettre en place des institutions, des procédures et des pratiques si fortes que, même si le diable en personne arrivait au pouvoir au Ghana, il lui serait impossible de faire tout ce qu’il veut ».

I- LE DÉFI DE LA CONSTRUCTION DE L’ÉTAT DE DROIT

2. Le concept d’État de droit s’oppose à la notion de pouvoir arbitraire. L’arbitraire est l’application de la subjectivité d’un homme ou d’un groupe d’hommes détenant le pouvoir aux dépens d’autres. Le pouvoir arbitraire, c’est la mise en pratique de l’absolutisme, de l’injustice ou de la tyrannie… L’État de droit désigne un État dans lequel la puissance publique ou l’autorité est soumise aux règles de droit. L’État de droit implique une hiérarchie des règles de droit, l’égalité devant la loi et la séparation des pouvoirs.

  1. Le concept a été initialement formulé par le philosophe anglais John Locke à la fin du XVIIe siècle. Mais c’est Montesquieu qui a par la suite théorisé le principe de la séparation des pouvoirs comme socle de l’État de droit. Il a affirmé qu’« il n’y a point encore de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice ». Il dit ensuite que « pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses le pouvoir arrête le pouvoir ». De telles affirmations ne peuvent être disloquées ou contingentées dans aucune référence géographique, culturelle, voire communautaire ou raciale.
    La démocratie est un concept universel que les peuples doivent pouvoir mettre en œuvre, au-delà de leurs différences. II- L’IMMUNITÉ PARLEMENTAIRE VUE DANS LE CAS DU CONSEILLER NATIONAL DE LA TRANSITION ISSA KAOU N’DJIM (CNT-IKN) 4. Face à la virulence du membre du Conseil National de la Transition, quoi de plus normal que de lui procurer une immunité ? Cette même immunité dont se sont prévalus ceux qui comme lui, déjà en 1991 mais plus récemment encore, sont ou ont été les auteurs des lois nationales en même temps qu’ils ont été chargés de contrôler l’action du gouvernement : les députés élus quelques mois avant le renversement du régime « IBK ». Cette activité est susceptible d’exposer la personne du membre CNT/IKN, dont les prises de parole, les mots qu’ils prononcent, les gestes qu’il accomplit et les expressions à l’emporte-pièce qui sortent de sa tête par sa bouche peuvent mettre mal à l’aise certaines personnes. Or, même si ses propos sont ceux qui sont proférés tous les jours par des politiques, ils ne peuvent choquer que les puceaux en politique. Des propos plus virulents ont été jadis prononcés par des non-politiques, des activistes qui s’étaient érigés en donneurs de leçons face au vide : « choquer pour éduquer » était leur trajectoire… alors même que ce slogan n’avait de pertinence que lorsque son auteur était lui-même en mal d’éducation, à la fois de base et citoyenne tout court.
    L’immunité que confère la loi au membre CNT/IKN se justifie au regard de ses prises de positions et à bien d’autres égards d’ailleurs. 5. D’aucuns prennent prétexte d’un arrêt rendu par la Cour constitutionnelle du Mali3 pour lui contester le titre de député. Il est clair que le député est un parlementaire issu du suffrage universel et non d’un décret. Le député n’est pas nommé, il est élu ! À défaut de sa mère, il faut bien téter les seins de sa grand-mère ! Puisqu’il est le législateur par essence et le contrôleur des actions gouvernementales, bien qu’il ne soit pas la résultante du suffrage universel, la personne du membre CNT/IKN bénéficie de toutes les prérogatives du député. 6. En tant que tel, les dispositions de l’article 624 de la Constitution du Mali lui sont accessibles et c’est ce que la Commission ad hoc du CNT a appliqué dans son cas. Les constitutionnalistes semblent s’en offusquer puisqu’ils interprètent la démarche de la Commission ad hoc comme étant une anomalie, oubliant d’ailleurs que cette prérogative n’incombe qu’au CNT et à lui seul dans le cas du Mali.
  2. Bien d’autres qui ne sont pas juristes, et encore moins constitutionnalistes, perçoivent cette intervention du CNT comme une démarche qui est le signe de la mauvaise solidarité corporatiste. Non ! Il n’en est rien, absolument rien ! 8. L’article 62 de la Constitution pose le principe de l’immunité qui couvre le membre CNT/IKN durant son mandat. Ce texte affirme que le membre CNT/IKN, durant les sessions du CNT, ne peut être ni poursuivi ni détenu sans l’autorisation préalable du bureau du CNT.
    Cette contrainte n’est pas un obstacle dans la mesure où le magistrat poursuivant a la latitude de solliciter la levée de l’immunité du membre CNT/IKN ou même de demander l’autorisation de l’arrêter et/ou de le poursuivre. 9. Le texte prévoit enfin qu’il n’y a pas lieu de demander une autorisation au bureau du CNT ou de lui demander la levée de l’immunité lorsqu’il s’agit d’un flagrant délit ou délit flagrant.
    En termes non juridiques, « le flagrant délit ou délit flagrant est une situation dans laquelle une infraction est en train d’être commise, ou vient d’être commise. Souvent, une personne est prise sur le fait au moment de son infraction ou immédiatement après et en possession d’indices laissant supposer sa participation à cette infraction ». 10. Dans l’esprit des gens qui sont les tenants du respect strict de la séparation des pouvoirs, il ne revient pas à la Commission ad hoc du CNT d’apprécier le caractère de flagrance lors de la commission de l’infraction d’« atteinte au crédit de l’État » et de « trouble à l’ordre ». Pour eux, cette prérogative appartient tantôt au procureur, tantôt au juge. 11. Il est également fait reproche aux membres de la Commission ad hoc du CNT de s’être pris pour des juges occasionnels en ce qu’ils se sont également permis d’apprécier, outre la nature des infractions ayant servi de base au mandat de dépôt du membre CNT/IKN, sa flagrance. Du coup, ils en ont déduit une violation de la règle de droit tenant à la séparation stricte des pouvoirs, érigée en principe général du droit.

    12. Il n’en est rien ! La Commission est restée dans son rôle strict de contrôleur des actions du gouvernement. Aussi bien sa démarche que le texte de sa résolution sont des exemples types de comportements institutionnels dans un État de droit. C’est bien ce que j’ai voulu rappeler dans un tweet en m’exprimant ainsi : « En contexte d’exception et de transition, le droit peut se rappeler au bon sens et anéantir son viol… ».

    13. L’on feint de découvrir, à travers la disposition de l’article 62 de la Constitution du Mali, un caractère exorbitant. Or, il est l’équivalent de l’article 26 de la Constitution française5, de l’article 59 de la Constitution Belge6, de l’article 61 de la Constitution du Sénégal7 et de l’article 38 de la Constitution du Gabon8, etc… Ces pays disposent tous de la même règle qui, mise en œuvre dans les mêmes conditions que celles de la Commission ad hoc du CNT (cas qui nous préoccupe) donnerait le même résultat. En fait, cela ne gênerait personne d’autre que les experts savants de l’interprétation et de l’application toutes deux erronées du droit…

    14. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’un Parlement est saisi d’un tel sujet au Mali. En 2014, une rixe a éclaté entre un juge et un député dans le bureau du juge. Des poursuites avaient été lancées contre le député, suivies d’un mandat. Le député en question avait été déféré et mis sous mandat de dépôt. Il avait été gardé en prison avant qu’une résolution de l’Assembléenationale ne vienne à suspendre la détention. Après notification de la résolution, le premier juge saisi de la demande de remise en liberté du député incarcéré s’était déclaré incompétent avant que le député ne fasse appel. La Cour d’appel avait fait exécuter les termes de la résolution de l’Assemblée nationale9. Le député avait recouvré sa liberté sans peine ni soin. Sur ce plan, il ne faut aucune formalité, qui serait d’ailleurs de trop et forcément superfétatoire !

    III- LA POURSUITE ET LA DÉTENTION DU MEMBRE CNT DURANT LA SESSION ET LES PRÉROGATIVES DU CNT

    15. Issa Kaou N’DJIM est membre du CNT.

    15-1 À ce titre, il bénéficie de l’immunité au même titre que tous les autres membres. La loi ne précise aucunement, en matière de mesure de suspension de la détention, si le CNT est saisi par une personne ou s’il a la possibilité de se saisir directement. Peu importe la manière dont il a été saisi ou s’est saisi. Le CNT a mis en place une Commission ad hoc sur la base des dispositions du Règlement intérieur10 par une décision N°0064/P-CNT en date du 1er novembre
    202111. Le mandat de cette Commission ad hoc a été défini par cette décision. Il comprend, entre autres missions, celles de :
    – Entendre le membre CNT/IKN ;
    – Examiner tous les contours de l’interpellation puis de l’arrestation du membre CNT/IKN ;
    – Dresser un rapport ;
    – Proposer un projet de résolution à soumettre à la plénière du CNT.

    15-2 LE FALACIEUX ARGUMENT DU FLAGRANT DÉLIT OU DU DÉLIT FLAGRANT

    15-2-1 En présence d’un flagrant délit, aucune autorisation ne doit donc être demandée au CNT pour le membre qui en fait partie. Cela est valable à tout stade de la procédure, c’est-à-dire ni pour son arrestation, ni pour son éventuel renvoi devant une juridiction de fond.

    15-2-2 L’exception de flagrance est justifiée par la circonstance que le danger de poursuites irrégulières ou inspirées par des motifs politiques est minime en cas de flagrant délit et que le respect de l’ordre moral exige que la justice agisse sans attendre. Une intervention prompte est également de nature à réduire le risque d’une disparition des preuves, ou même de fuite du membre CNT.

    15-2-3 Plus concrètement, cela signifie qu’un membre du CNT, auquel il est reproché d’avoir attenté au crédit de l’État et troublé l’ordre public, ce en flagrant délit, peut être arrêté, renvoyé ou cité directement à comparaître par-devant une juridiction sans qu’il soit besoin d’obtenir la levée préalable de son immunité. De même, les garanties particulières qui encadrent les mesures d’instruction dirigées contre un membre du CNT ne trouvent pas à s’appliquer. Cela étant, les autorités judiciaires de poursuite veilleront à informer le CNT (en référence à la courtoisie administrative et institutionnelle) que l’un de ses membres fait l’objet de poursuites dans le cadre d’une procédure de flagrant délit.

15-2-4 En présence d’un flagrant délit, le système est donc inversé : il n’appartient pas au CNT d’émettre une autorisation préalable, mais il dispose de la possibilité de suspendre la procédure entamée à l’encontre du membre CNT et/ou la détention, comme c’est le cas du membre CNT/IKN.

15-2-5 La prudence commande même, dans l’hypothèse d’un flagrant délit, que les autorités judiciaires, en l’occurrence le parquet, sollicitent une autorisation du CNT pour éviter tout imbroglio.

IV- LA MARGE DE MANŒUVRE DE LA COMMISSION AD HOC DU CNT ET SES COMPÉTENCES ÉVENTUELLES EN MATIÈRE « JUDICIAIRE »

16. Il ne fait aucun doute que cette compétence appartient, successivement, selon les cas, au ministère public, au juge d’instruction et aux juridictions d’instruction. Il revient à ces instances, et non au CNT dont le concerné est membre, de déterminer s’il convient ou non de solliciter du CNT la levée de l’immunité de l’un de ses membres. Cette solution, qui est respectueuse de la séparation des pouvoirs, est aussi celle qui a été adoptée par le CNT dans le cadre de l’affaire dite « Issa Kaou N’DJIM ». Le pouvoir judiciaire est seul à même d’apprécier l’existence d’un flagrant délit.

16-1 Saisi dans les mêmes conditions, un Parlement belge a indiqué qu’il ne lui revenait pas « de dire s’il y a eu ou non flagrant délit, ni le présent rapport, ni la décision du Parlement ne pouvant être interprétés comme une reconnaissance ou non des éléments constitutifs du flagrant délit, un tel pouvoir n’appartenant qu’au pouvoir judiciaire ».

V- LES CRITÈRES D’APPRÉCIATION EN VUE DE LA DÉCISION DE SUSPENSION PAR LE CNT DE LA DÉTENTION DU MEMBRE CNT/IKN

17. C’est en application du dernier alinéa de l’article 62 de la Constitution ainsi conçu que le CNT a agi : « La détention ou la poursuite d’un membre de… est suspendue si… le requiert ». Ainsi, le dernier alinéa de l’article 62 de la Constitution permet au CNT de suspendre toutes les poursuites et détentions.

17-1 Le CNT qui est saisi d’une demande de suspension fondée sur le dernier alinéa de l’article 62 de la Constitution doit apprécier l’opportunité d’y déférer en tenant compte de divers éléments.

17-2 En application du dernier alinéa de l’article 62, lorsque le CNT est amené à se prononcer sur une demande de suspension de la détention ou des poursuites engagées contre le membre CNT/IKN, il lui revient de vérifier deux points essentiels :

– Le premier point doit l’amener à se demander si la détention du membre CNT/IKN ou les poursuites engagées à son encontre sont ou non susceptibles de perturber le bon fonctionnement des activités du CNT qui est en session ;

– Le second point doit lui permettre de vérifier que les poursuites sont sérieuses, c’est-à-dire, si elles manquent de sincérité de la part des autorités judiciaires, de nature par exemple à accréditer l’idée d’une collusion, d’un stratagème, voire d’un complot à l’égard du membre CNT/IKN concerné, juste pour l’anéantir, l’intimider ou l’apeurer.

  1. Cette démarche qui a été celle de la Commission CNT est la meilleure puisqu’elle a visé à éviter tout conflit de compétence et d’attribution éventuel entre les pouvoirs législatif et judiciaire. C’est ce que d’aucuns ont malencontreusement assimilé à une violation de la séparation des pouvoirs, oubliant qu’en l’occurrence, il revient aux parlementaires eux-mêmes et eux seuls d’apprécier toutes les questions relatives à leur immunité. 19. Dans une circonstance analogue, un Parlement belge, le même cité plus haut, saisi d’une demande de suspension d’une détention d’un parlementaire, s’est tout d’abord interrogé pour savoir si la procédure judiciaire diligentée contre l’un de ses membres était de nature à perturber ou à entraver son bon fonctionnement. 19-1 Il a été indiqué à ce sujet que la réponse que l’assemblée parlementaire donnera à cette question constitue l’expression de l’une de ses prérogatives souveraines. Pour statuer, elle peut utilement se laisser guider par la démarche suivante : – Le Parlement cherchera en premier lieu à savoir quelle serait la situation d’un individu non parlementaire auquel seraient reprochés des faits de nature identique. – Le Parlement se demandera ensuite dans quelle mesure il se recommande de déroger à la situation qui serait celle d’un citoyen ordinaire – et donc au principe d’égalité – pour faire bénéficier le parlementaire poursuivi pour les mêmes faits d’un traitement différent, plus favorable (c’est-à-dire, en l’occurrence, sa remise en liberté).

    19-2 Dans ce contexte, il ne peut être fait abstraction de ce que l’immunité parlementaire ne constitue ni une règle d’impunité, ni un privilège personnel du parlementaire poursuivi, mais qu’elle est avant tout une garantie que la Constitution accorde à l’assemblée parlementaire en tant qu’institution démocratique représentative.

    19-3 D’ailleurs, le juge judiciaire a de plus en plus tendance à faire une interprétation plutôt restrictive des textes de loi instituant les immunités ou les irresponsabilités en faveur des membres non seulement du gouvernement mais aussi des parlements dont le CNT.

    19-3 Dans l’affaire du Médiator12, le tribunal correctionnel de Paris juge que les activités des parlementaires au sein d’une mission d’information parlementaire ne sont couvertes par aucune immunité. Pour arriver à une telle solution, le tribunal opère une distinction entre « commission d’enquête » et « mission d’information » parlementaires. Cette distinction est totalement artificielle au regard des dispositions du premier alinéa de l’article 26 de la Constitution française13, qui prévoient, de façon générale et claire, qu’« aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ». Cette tendance des juges et procureurs est totalement négative pour le bien-être de la démocratie puisqu’elle porte atteinte au système représentatif, qui postule que le mandat participe de l’expression de la volonté générale.

19-4 L’opinion publique malienne comprend souvent mal les immunités parlementaires, et les confusions qu’elle fait entre leur but, leur objet et leurs effets n’épargnent plus les juges eux-mêmes.
19-5 L’objet des immunités est de préserver l’indépendance du mandat parlementaire à l’égard de toute contrainte de nature à en altérer ou à en menacer l’exercice. Elles visent à ce que le parlementaire, parce qu’il est investi, en tant que membre de son assemblée, du pouvoir souverain d’exprimer la volonté générale, par le vote de la loi notamment, puisse exercer librement ce pouvoir – dans le respect de la Constitution. Il importe peu ici que cette expression de la volonté générale soit parfois jugée imparfaite au regard de l’idée qu’en attend l’opinion.
19-6 C’est l’Association professionnelle des magistrats (APM) qui a engagé des poursuites contre le député Raymond Forni, estimant que ses propos avaient jeté le discrédit sur une décision de justice ou que des commentaires publiés avaient été de nature à exercer des pressions sur les juridictions d’instruction ou de jugement.

19-7 Cette affaire s’est déroulée le 24 mai 1985, lorsque, interrogé par un journaliste d’Europe 1, M. Raymond Forni, député PS et à l’époque président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, avait donné son sentiment sur la condamnation de M. Jean-Marie TJIBAOU, leader ùdu FLNKS14, à un an de prison pour avoir porté atteinte à l’intégrité du territoire national, en considérant qu’il s’agissait d’une décision « absurde et imbécile ». Le syndicat APM avait fait citer M. Forni devant le tribunal correctionnel qui, dans un jugement rendu le 16 janvier 1986, avait déclaré l’action irrecevable. Les juges estimaient qu’un syndicat « ne pouvait se substituer au ministère public, seul habilité à pratiquer la justice en tant qu’institution ». Mais la 11e chambre de la cour d’appel devait en décider autrement le 29 octobre 1986.

19-8 La Cour de cassation française revient à l’appréciation des premiers juges en relevant dans son arrêt que les infractions jugées « ne sont punissables que lorsqu’il est porté atteinte à l’intérêt de la justice comme institution fondamentale de l’État, et non aux magistrats qui concourent à la justice ». Les juges suprêmes en déduisent : « Dès lors, le dommage qui peut en résulter est subi par la collectivité entière et seul le ministère public est habilité à poursuivre la répression de telles infractions ».
Cette décision devrait priver l’APM d’une série de poursuites que l’arrêt de la cour d’appel l’avait encouragée à engager. Ainsi, M. Edmond Maire était cité par elle devant la 17e chambre correctionnelle de Paris pour avoir déclaré à Lille, le 21 novembre 1987, à propos d’un jugement du tribunal de grande instance de Bobigny concernant les mouvements de grève des pilotes d’Air Inter : « Nous sommes dans une dérive totalitaire contraire aux droits fondamentaux de la Constitution ». De même, M. Maurice Duverger, professeur de droit, était poursuivi pour des propos relatifs à l’arrêt de la Cour de cassation dessaisissant le juge Grellier, dans lesquels il estimait que la haute juridiction « accentue le glissement de la magistrature assise à la magistrature couchée ». Enfin, Bertrand Le Gendre, journaliste au Monde, était lui aussi cité en correctionnelle par l’APM qui lui reprochait d’avoir écrit, dans le numéro daté 8-9 novembre 1987 à propos du même dessaisissement : « Il suffit de paraphraser le procureur général de la Cour de cassation, M. Pierre Arpaillange, qui a dit à demi-mot que la suspension du juge Grellier, à la requête de M. Droit, serait, si la chambre criminelle la prononçait, une décision partisane et qu’elle minerait l’autorité de la justice ».

VI- LA SUSPENSION DE LA DÉTENTION DU MEMBRE DU CNT/IKN ET LE TROUBLE DES ACTIVITÉS DU CNT EN SESSION

20. Dans le cadre de cette appréciation, le Parlement peut légitimement prendre en compte la gravité des faits qui sont reprochés au parlementaire détenu et se demander si les motifs tirés du bon fonctionnement des activités parlementaires sont à ce point importants qu’ils peuvent justifier qu’un membre d’une assemblée législative poursuivi pour des faits pénaux graves soit laissé en liberté, alors qu’un citoyen ordinaire poursuivi pour des faits analogues serait, avec un haut degré de probabilité, placé en détention préventive. C’est précisément ce test que le CNT a pratiqué dans le cas du membre CNT/IKN.

21. La Commission ad hoc CNT a, pour le cas du membre CNT/IKN, apprécié que les poursuites reposaient sur des bases futiles et que le flagrant délit, fallacieux, n’était guère fondé. Pas faux !

21-1 Le membre CNT/IKN est mis en cause pour atteinte au crédit de l’État et trouble à l’ordre
public.

21-1-1 L’atteinte au crédit de l’État :

21-1-1-1 Nonobstant le fait qu’il s’agit d’une infraction désuète, quasiment jamais mise en œuvre sur le plan judiciaire au Mali, cette infraction ne peut être engagée que sur la plainte du ministre des Finances en personne. Or, une telle plainte, fondement et base de la poursuite pour atteinte au crédit de l’État, n’a jamais été portée dans le cas du membre CNT/IKN. Du coup, la démarche solitaire du parquet est appréciée de façon peu sérieuse et peu fiable par la Commission ad hoc du CNT. L’appréciation d’une violation de la loi, en l’occurrence la disposition de l’article 172 du Code pénal ainsi conçu : « Dans les cas prévus aux articles 167, 168 et 169, les poursuites ne peuvent être engagées par le ministère public que sur la plainte du ministre des Finances… » ne doit pas rester sans suites.

21-1-1-2 Il revient à chaque citoyen de dénoncer la violation de la loi, à fortiori lorsqu’il s’agit de membres du parlement, auteurs de la loi qu’ils sont par ailleurs chargés de suivre au plan de la mise en œuvre, vis-à-vis d’un pouvoir exécutif dont le contrôle lui incombe, tout comme le parquet qui est placé sous le joug du pouvoir exécutif.

21-2 Le trouble à l’ordre public

21-2-1 Cette infraction n’a d’ailleurs pas été visée initialement dans la poursuite du parquet.

21-2-2 Elle ne l’a été qu’à l’audience.

21-2-3 Sans doute le parquet, ayant senti une certaine légèreté dans sa démarche, tant sur le plan juridique que judiciaire, voire de l’opportunité, s’est-il empressé de faire du rajout et du rafistolage. Cela n’est guère une violation.

21-2-4 Parlant de trouble à l’ordre public, il n’apparait guère dans les propos du membre CNT/IKN. Ils sont restés sans effet. D’ailleurs, aucune poule ne s’est arrêtée de pondre et de couver les œufs sur le territoire du district de Bamako. Non !

-22. Enfin, il apparaît clairement dans le dossier de la procédure que l’initiative subite de la poursuite, puis de la détention du membre CNT/IKN, procédaient d’une tout autre logique. Le soit-transmis adressé par le parquet à la Brigade de gendarmerie datait de juillet 2021. Peut-être ce soit-transmis concernait-il par ailleurs d’autres faits. D’où la «ré-instruction »15 du parquet, donnée à la même brigade, a permis de « réchauffer » l’idée de mettre le CNT/IKN au « frais ».

22-1 La procédure pénale entreprise à l’encontre du membre CNT/IKN est truffée de manigances et de malices pour le moins grotesques.

22-2 Cueilli à son domicile par la gendarmerie, entendu en lieu secret le jour, agissant sur la base d’un soit-transmis en date de juillet 2021, le membre CNT/IKN est présenté au parquet qui décerne mandat contre lui et le défère dès le lendemain en citation directe. Il est jugé et l’affaire mise en délibéré pour jugement à être rendu le 03 décembre 2021.

22-3 Pendant ce temps, il reste en prison puisque la remise en liberté lui est refusée, et c’est bien le but et l’effet recherchés.

22-4 L’objectif est d’obtenir un jugement de condamnation à la prison ferme et un quantum de la peine qui soit au moins égal au temps de détention, et le tour est joué.

22-5 Non, ces manières de faire sont aux antipodes de la justice et de l’État de droit !

22-6 Qui plus est, aucune des infractions poursuivies ne semble fondée et le flagrant délit est tiré par les cheveux.

23. « Le gouvernement de la loi est plus souhaitable que celui des citoyens et selon le même argument, s’il est meilleur que certains gouvernent, il faut les établir comme gardiens et serviteurs des lois. »

23-1 La résolution16 a été notifiée au gouvernement qui n’a pas d’autre choix que de s’exécuter. À défaut, les auteurs du refus se rendraient coupables de forfaiture.

23-2 Voici comment je concluais dans le tweet précédemment cité :
« Lorsque le parlement suspend la détention d’un de ses membres, le juge s’exécute puisque l’alibi du flagrant délit tombe. La détention n’a plus de support. »

24. S’il arrivait au gouvernement de vouloir obstruer les mesures tendant à maintenir le CNT/IKN alors que sa détention devient sans titre ni droit, rien n’empêche le CNT de saisir la Cour constitutionnelle du Mali. Cette institution est celle qui est chargée de réguler les dysfonctionnements des institutions.

25. Il s’est pourtant trouvé un esprit brillant d’embrouille de soutenir que la résolution en tant que telle du CNT est inopérante. Pour que le membre CNT/IKN vienne à recouvrer sa liberté, il faut enrôler le dossier et que le juge constate sans doute le texte de la résolution et y donne suite vraisemblablement…

  1. Non, cela n’est pas et cela ne saurait. Par exemple, M. Michel CHARASSE, sénateur du Puy-de-Dôme, compagnon de François MITTERAND, a sollicité et obtenu du Sénat français, dont il était membre en 1997, la suspension des poursuites engagées contre lui17. Il n’a eu besoin d’aucune autre formalité que de notifier la résolution du Sénat. Des exemples comme ceux-là sont nombreux.
    27. Gageons que l’esprit républicain et démocratique habite tous les Maliens que nous sommes !
    Et réjouissons-nous de ce que l’honneur est sauf puisque l’annonce de la remise en liberté de IKN, citoyen ordinaire, vient d’être faite par l’auteur de l’acte qui lui a valu d’être emprisonné.
    IKN doit sans doute être mécontent de ce mauvais passage qui lui vaut de se brouiller avec son mentor politique, celui-ci venant d’abroger le décret de nomination des membres du CNT, en ce qui le concerne. À bon entendeur …