Accueil A la une Soudan: attention, virage dangereux!

Soudan: attention, virage dangereux!

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Le peule refuse de se laisser sa révolution être prise en otage par les militaires (Ph. liberation.fr)

Les négociations entre les civils et les militaires pour le transfert du pouvoir aux premiers, où à défaut pour une transition conduite par les deux camps, ne sont peut-être pas au point mort, mais ne sont pas loin de l’impasse. Alors que le bruit courait qu’un accord avait été trouvé entre les civils et les militaires pour le partage du pouvoir, les militaires qui n’entendent pas se dépouiller de leurs privilèges acquis sous trente ans de régime Omar el-Béchir commencent à prendre la mouche de l’entêtement des civils à continuer le show des protestations. Ne se contentant plus de demander le démantèlement du dispositif des manifestants qui ont installé leurs pénates devant son QG, l’armée a essayé de les déloger. C’est dans ce climat délétère de négociations à l’issue incertaine que les militaires ont désigné le nouvel homme fort de Khartoum, le général Abdel Fattah al-Burhane, comme le chef  du futur conseil conjoint avec les civils, instance qui doit diriger la transition. Mais déterminés à poursuivre la lutte pour ne pas se retrouver avec une révolution inachevée ou volée par les hommes en kaki, les manifestants ont opposé un refus catégorique d’obtempérer. Mieux, ils ont renforcé la garde, et leurs rangs sont constamment grossis par des renforts de contestataires venus de toutes parts. Il ne faut donc pas être devin ou grand analyste pour établir le constat que la lune de miel du début du «printemps soudanais», qui a amené les militaires à se débarrasser de leur général à la canne sous la pression de la rue, est en train de mourir.

En tout cas, le déficit de confiance entre les deux camps, s’il continue à s’amplifier, ne peut qu’engendrer un climat de défiance qui à son tour pourrait produire l’électricité haute tension entre militaires et civils. Car, autant les civils mettent tout en œuvre pour garder la flamme de la contestation allumée, autant l’armée cherche les voies et moyens pour l’éteindre à jamais. «Nous sommes prêts à négocier, mais nous n’accepterons pas l’anarchie». De la bouche de militaires habitués à la répression sans état d’âme, ces propos ne sont pas loin de sonner comme un sifflet de fin de «récréation» dans une cour d’école. Du reste, les généraux, reprochant désormais au camp d’en face, une inconstance, notamment dans le choix de son porte-parole, font preuve d’une certaine irritation à discuter avec des interlocuteurs qui ne sont presque jamais les mêmes. L’autre grief dont les militaires chargent les civils est le blocage des activités causé par les barricades qu’ils érigent et qui empêcheraient la circulation des personnes et des biens, que ce soit par la route ou les chemins de fer. La situation pourrait à tout moment dégénérer si les deux parties ne savent raison garder. Cette crainte est d’autant plus pertinente que les positions sont en train de connaître une certaine radicalisation qui ne fait que confirmer le caractère sensible et vite inflammable de la fin, surtout brusque, des longs règnes. Et quand les peuples retrouvent un air de liberté après avoir été longtemps opprimés, les excès et autres débordements sont pratiquement inévitables. Les Soudanais n’échapperont visiblement pas à ces dérives qui planent sur le changement qu’ils ont arraché, certes pacifiquement, mais de haute lutte.

La révolution sortira-t-elle de ses voies ou alors sa voix sera-t-elle éteinte par l’armée très peu pressée de rendre le pouvoir aux civils? Une chose est certaine, la responsabilité des militaires et celle des civils, notamment l’Association des professionnels soudanais, fer de lance de la contestation, est grande dans ce virage décisif vers une transition politique apaisée. C’est le sésame pour ouvrir les lourdes portes qui donnent accès au jardin d’où exhalent les doux effluves de la liberté et de la démocratie.

Par Wakat Séra