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Trafic des enfants: l’AEJTB demande de l’appui pour lutter contre le fléau au Burkina (coordonnateur)

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Claude François Ouédraogo, coordonnateur national des Associations d’enfants et Jeunes Travailleurs du Burkina Faso (CN-AEJTB)

Le coordonnateur national des Associations d’enfants et Jeunes Travailleurs du Burkina Faso (CN-AEJTB), Claude François Ouédraogo, a sollicité dans un entretien accordé à Wakat Séra, de l’appui du gouvernement et des partenaires techniques et financiers pour lutter contre la mobilité et la migration des enfants au Burkina Faso. Pour lutter efficacement contre ce fléau qui alimente le trafic des enfants, M. Ouédraogo a préconisé que l’accent soit mis sur l’éducation et la formation professionnelle. A ce jour, son association recueille « 120 enfants qui sont pris en charge ».

Wakat Séra: Qu’est-ce qui a motivé la création de l’AEJTB ?

Claude François Ouédraogo: Les enfants de certains pays transitent par le Burkina Faso pour partir vers d’autres pays. Mais de nombreux enfants du Burkina également partent en direction d’autres pays. C’est dans ce cadre que nous avons initié ce projet pour pouvoir protéger les enfants en mobilité ou en migration. Ce sont des enfants qui migrent d’une ville à une autre, où d’un pays à un autre. L’AEJTB est née depuis les années 2000 dans le but de travailler à protéger les enfants déscolarisés et ceux qui sont en train d’apprendre un métier. Elle a été reconnue comme coordination nationale en 2008. Elle travaille en étroite collaboration avec un certain nombre de partenaires pour la promotion et la protection des droits des enfants, notamment ceux qui font de la mécanique, les bonnes de maisons, les soudeurs, ceux qui chercher en général du travail, au niveau du Burkina Faso. Notre objectif est vraiment de pouvoir renforcer la capacité de ces enfants marginalisés, renforcer leur estime de soi pour qu’ils puissent réellement prendre conscience de toutes les opportunités qu’il y a pour eux en terme de formation.

Ceux qui peuvent toujours repartir à l’école, nous essayons de les réinsérer au niveau du système scolaire. Les autres, nous travaillons à les placer dans des centres de formation pour qu’ils aient une qualification. C’est pour cela que nous avons un centre de formation qui reçoit environ soixante personnes à Bilbalgho (Centre-ouest de Ouagadougou) dans le cadre de la protection des plus petits. Nous avons également une garderie qui est à Pissy (périphérie sud de Ouagadougou) où nous recevons les enfants dont les parents travaillent sur la carrière située derrière la Société nationale burkinabè des Hydrocarbures (SONABHY), dans ce même quartier. Nous organisons aussi des cours du soir dans les différents quartiers pour les enfants et les jeunes qui travaillent dans la journée. C’est ainsi que nous nous sommes organisés et sommes à ce jour représentés dans 38 provinces du Burkina Faso.

Comment déroulez-vous vos actions ?

Nous avons mis un dispositif en place, à savoir le guichet unique où nous travaillons en étroite collaboration avec le ministère de la Promotion de la femme, de la Solidarité nationale et de la Famille qui nous appuie avec des travailleurs sociaux pour prendre en charge ces enfants. Dans le dispositif, nous avons les guichets uniques intersectoriels qui sont un espace où plusieurs acteurs se rencontrent et, quand par exemple il y a une équipe mobile qui sort sur le terrain, ils amènent ces enfants. Nous avons aussi, à côté de ces guichets uniques, des espaces amis des enfants où des enfants du quartier ou des communautés peuvent venir jouer, s’informer ou être sensibilisés sur des thèmes divers. S’il y a des enfants qui ont été identifiés en mobilité, ces enfants sont reçus dans ces espaces pour être rassurés, mis en confiance avant qu’on leur ouvre des dossiers.

Nos actions sont plus axées sur la prévention et la sensibilisation. Mais si un enfant doit être pris en charge, nous le referons au niveau du ministère (en charge de l’Action sociale) pour qu’il puisse travailler avec les autres partenaires pour la scolarisation, la formation pour des activités génératrices de revenus, tout ce qu’il faut pour une prise en charge adéquate des enfants qui seront identifiés. Pour 22 mois de projet, nous ciblons environ 2 000 enfants que nous voulons toucher directement, et indirectement 5 000 enfants.

Qu’est-ce qui est fait pour ceux qui malgré vos conseils, veulent à n’importe quel prix aller en aventure ?

L’originalité de ce projet, c’est que quand on identifie un enfant, on cherche vraiment à le rassurer, à comprendre davantage pourquoi il veut partir ailleurs. Et après les échanges s’il veut coûte que coûte partir en direction des pays dont la Côte d’Ivoire et le Bénin (en général), on ne le retient pas.  On lui donne le maximum d’informations. Là, s’il arrive et a des problèmes, il y a le service de l’Action sociale, il y a la gendarmerie et la police, il y a ces associations qui sont au niveau local qu’il peut contacter pour avoir plus de protection. Donc on lui donne toutes les informations notamment sur les risques auxquels il peut être exposé.

Notre association est représentée dans 27 pays donc un peu partout en Afrique de l’Ouest, ce qui fait vraiment notre force. Si nous n’avons pas pu retenir un enfant qui veut partir, on lui donne les contacts et on prévient l’autre bureau afin qu’il le surveille dans la mesure du possible à son arrivée. Il y a des enfants, si vous les retenez, c’est toute une famille que vous privez parce que cet enfant ou ce jeune travaille pour soutenir sa famille entière que vous pénalisez. A ce moment, ce que nous pouvons faire, c’est donner le maximum d’informations pour qu’il puisse se protéger là où il va.

Votre action cible quel type d’enfant ?

Nous ciblons tous les enfants qui ont moins de 18 ans mais il se peut que si nous avons des adolescents qui sont dans la nécessité, on essaie de les prendre en charge de même que certaines familles, avec le concours de nos partenaires, peuvent avoir du soutien.

Combien d’enfants en mobilité ou en migration ont-ils été pris en charge par votre association ?

C’est un projet qui vient de commencer. Donc pour le moment chaque partenaire a fait la situation mais nous tournons autour de 120 enfants identifiés afin d’être pris en charge. Comme c’est un projet qui est à ses débuts, nous menons pour le moment des actions de sensibilisation et de formation pour la prise en charge optimale des enfants qui seront identifiés.

Combien de temps dure la prise en charge des enfants que vous recueillez ?

La prise en charge dépend de l’identification de l’enfant qui peut être directe. S’il arrive au guichet ou dans le centre, c’est tout au plus 72H. Avec ce laps de temps, nous essayons de trouver une issue pour cet enfant. Et s’il va vraiment être placé en famille d’accueil ou bien dans un centre, cela dépend. Ça peut-être de six mois au minimum à trois ans maximum pour le suivi de l’enfant. Cela tient compte de la situation qui peut être aussi de la scolarisation ou la formation professionnelle.

Quels sont les pays les plus convoités par ces enfants en migration ?

Au Burkina, beaucoup d’enfants partent en Côte d’Ivoire. Beaucoup de jeunes filles aiment partir au Mali parce que leur législation permet même aux enfants de 15 ans de travailler. Il y a eu un moment où on a rapatrié beaucoup d’enfants ici qui ont préféré partir au Mali pour chercher du travail. En cas d’urgence, les gens peuvent prendre attache avec les services de l’Action sociale, notre association mais aussi il y a un numéro vert : le 116. Ce numéro est vraiment dédié aux enfants égarés, abandonnés ou retrouvés ou même des violations ou tortures qu’on fait subir à un enfant.

Pour moi, l’endroit idéal pour lutter contre ce fléau, c’est vraiment l’éducation. A partir de là-bas on peut les sensibiliser sur le mariage des enfants, sur l’excision. Ou même si ce n’est pas à l’école on peut les mettre dans des groupes de base ou clubs scolaires, c’est par là qu’on peut les sensibiliser. S’ils sont informés qu’ils peuvent dénoncer, ils peuvent vraiment le faire se protéger.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans votre mission ?

Il y a un certain nombre de problèmes que nous rencontrons et que nous devons travailler à permettre à nos collaborateurs de comprendre comment ils peuvent amener des enfants à l’Action sociale sans faire face à des difficultés administratives. Ces soucis se résument en des blocages que certains acteurs rencontrent à savoir comment alerter sur les situations de ces enfants en mobilité ou en migration sans avoir à répondre à beaucoup de questions. Il est vrai que nous avons des zones d’intervention mais nous pouvons dire que tout le Burkina Faso est concerné par cette mobilité des enfants. Nous avons aussi peur d’identifier beaucoup d’enfants et ne pas pouvoir tous les prendre en charge. C’est entre autres les préoccupations auxquelles nous faisons face en ce moment.

Il y a aussi nos finances qui sont maigres or nous voyons qu’il y a beaucoup de millions et de milliards qui sont en train d’être utilisés pour plusieurs programmes en faveur du retrait des enfants. Le ministère de l’Action sociale nous connait très bien, nos actions ne sont pas vraiment cachées, nous pensons qu’un jour nous allons être appuyés afin qu’on fasse des sorties avec vous de la presse pour aller constater ce que nous faisons sur le terrain afin que les bénéficiaires puissent apprécier notre action et faire le plaidoyer à notre place. A vrai dire nous attendons beaucoup de ce ministère parce que nous pensons qu’il doit faire le plaidoyer de ce combat pour qu’on puisse même à leur niveau augmenter les fonds qu’on a mis à leur disposition.

Si je ne m’abuse, je pense que c’est 0,56% du budget de l’Etat qui est reversé à l’Action sociale. Peut-être que ce montant a évolué mais c’est le chiffre que j’avais. Et cela est utilisé essentiellement pour les salaires, les carburants, mais aussi pour la prise en charge des enfants, je vous assure qu’il y a beaucoup de choses qui souffrent.

Quelles sont les localités dans lesquelles vous êtes représentés ?

Nous sommes représentés dans les treize régions mais nous sommes plus visibles à Faramana dans les Hauts-Bassins, à Niangologo dans les Cascades, à Kantchari dans l’Est, à Dori et Seytenga dans le Sahel et à Ouagadougou dans le Centre. Ce sont des guichets uniques intersectoriels que nous allons mettre dans toutes ces localités et travailler en étroite collaboration avec l’Organisation Internationale pour la Migration (OIM) et le Haut-Commissariat pour les Réfugiés (HCR) pour que, s’il y a des enfants qui sont identifiés par ces Organisations, qu’elles puissent les référer auprès de notre structure. Notre initiative je le souligne au passage, est accompagnée par l’UNICEF au Burkina Faso comme partenaire financier.

Quel a été l’objet de la formation début octobre 2018 que vous avez initiée à l’endroit de vos animateurs ?

Nous avons organisé cette formation pour former et recycler certains de nos animateurs sur la thématique même de la mobilité des enfants et ses conséquences, ainsi que la prise en charge des enfants en migration. Cette formation a été aussi l’occasion pour nous de faire connaitre aux animateurs le dispositif mis en place pour le soutien et la protection des enfants. Nous avons également indiqué avec qui, ils devraient travailler.

D’autres acteurs, les communautaires que nous ne négligeons pas puisque dans les gares il y a des restauratrices, des chauffeurs, des convoyeurs, entre autres, ont été associés. Ce sont eux qui voient le déplacement des enfants et donc nous essayons de les impliquer de même que tous les leaders communautaires, pour qu’ils puissent avoir le bagage nécessaire pour aider à identifier et à former les enfants auprès de notre équipe mobile qui se déplace.

Et c’est une cinquantaine de personnes qui ont été formées dont une vingtaine d’animateurs et une trentaine de réseaux communautaires. Ils ont reçu des informations qui pourront les aider à contribuer à l’identification et à la sensibilisation des enfants.

Etes-vous impliqués à l’opération des retraits des enfants et femmes en situation de rue lancée en août dernier par le ministère en charge de l’Action sociale ?

Sans vous mentir, nous n’avons pas été impliqués dans cette opération. Mais nous travaillons en étroite collaboration avec le ministère sur le terrain. Certains de ses agents font le suivi de toutes nos activités dans les centres et garderies. Dans toutes nos actions, nous sommes accompagnés par un agent de l’Action sociale que nous appelons animateur. Ils aident l’association à élaborer des plans d’action, les rapports, la sensibilisation, et même la mise en œuvre des activités. C’est pour dire que nous travaillons en étroite collaboration, dans toutes les localités où nous sommes représentées, avec le ministère de l’Action. Mais dans cette opération, nous avons été simplement été informés mais pas impliqués.

Avez-vous un soutien matériel financier du gouvernement pour ce projet ?

Notre gouvernement est au cœur de ce projet. Nos équipes mobiles et les guichets uniques sont appuyés toujours par des travailleurs sociaux. Mais, en tant que jeune association, nous n’avons pas la capacité de prendre en charge les enfants recueillis. C’est pourquoi nous avons voulu travailler en étroite collaboration avec le gouvernement pour que, même les sorties se passent dans les normes de prise en charge des enfants. Là si nous envoyons les enfants dans les guichets uniques, que ce soit un agent de l’Action sociale qui puisse ouvrir le dossier de l’enfant et lui faire un projet de vie. Le gouvernement est bien impliqué à tous les niveaux dans la mise en œuvre de ce projet. Nous attendons que des instructions puissent être données à tous les niveaux pour que les responsables de l’Action sociale dans les différentes régions et dans les différentes provinces puissent s’activer pour sa mise en œuvre.

Pensez-vous qu’on peut arriver à enrayer ce fléau de mobilité et de migration des enfants ?

Tous les efforts qu’on est en train de faire contre ce fléau, nous pouvons couper le mal par la racine en ne faisant qu’appliquer tout simplement les lois que nous avons votées. Ces lois disent par exemple que l’école doit être gratuite et obligatoire. Mais de nos jours, il n’y a pas assez d’écoles ni d’enseignants, ou bien ils ne sont pas bien formés. Tout ça c’est vraiment des difficultés. Et pour les écoles, même s’il y en a c’est cher et tout le monde n’y a pas vraiment accès. Et, si on travaille à faire en sorte que tout le monde ne soit pas à la Fonction publique, qu’on puisse renforcer les gens dans les domaines techniques, cela sauvera beaucoup de situations. Donc c’est vraiment un cri du cœur que nous lançons parce que dans tout ce que nous faisons, nous avons besoin d’accompagnement.

Au ministère de la Jeunesse nous avons des jeunes que nous avons formés, qui sont vraiment aguerris, mais qui ont des problèmes pour acquérir les fonds parce qu’on leur impose des garanties. Donc ce sont des gens qui ont l’expérience mais n’ont pas de parcelles ou de moto pour garantir pour avoir les fonds. Donc ce sont des choses que nous devons travailler à rectifier pour permettre à tout le monde d’avoir vraiment la chance de pouvoir réussir dans ce pays.

Par Bernard BOUGOUM