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Triste Deby!

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Idriss Deby Itno, le président tchadien (Ph. regardsurlafrique.com)

Idriss Deby Itno aurait dû se taire, car le silence est d’or, dit-on. Sur certaines questions qui lui ont été posées par nos confrères de Rfi, Le Monde et TV5 Monde, le président tchadien a simplement botté en touche. Comment contre son gré, la France peut-elle modifier la Constitution de son pays et le maintenir au pouvoir? Même si on reconnaît cette puissance à la France des Jacques Foccart, cette époque est visiblement désuète et révolue. Certes, l’ancienne puissance colonisatrice qui a aidé Deby à conquérir le fauteuil présidentiel par la force avant de se tailler un costume démocratique par les urnes, a tout fait pour le maintenir au pouvoir. Non sans en tirer des retombées économiques certaines, notamment sur l’exploitation de l’or noir tchadien. Pourquoi diantre Idriss Deby affirme-t-il être resté au pouvoir parce que la France l’y a contraint? Ce ne sont pas les occasions qui ont manqué au tombeur de Hissène Habré par les armes en décembre 1990 de partir. Mais il n’a jamais voulu que lui échappe un pouvoir auquel il s’est accroché jalousement comme un enfant qui veille sur son dernier jouet de Noël.

Le fait est établi que si Deby a réussi à échapper à plusieurs tentatives de déstabilisation, c’est grâce à la France. Mais début 2008, alors que les rebelles tchadiens du Commandement militaire unifié étaient aux portes du palais, sur le point de l’en déloger, n’est-ce-pas, toute honte bue, le même Idriss Deby Itno qui a appelé plusieurs fois au téléphone le président français pour le sortir du pétrin? Et depuis lors, l’homme fort de N’Djamena aligne mandat sur mandat, organisant des élections fermées dont l’issue connue d’avance, ne donnait aucune chance même au plus téméraire de ses challengers de le tutoyer au score, encore moins de rêver gagner. D’où vient-il donc que la France a changé la loi fondamentale tchadienne, en dépêchant au Tchad un constitutionnaliste dont Deby «ne connaissait même pas le nom», pour le maintenir comme président malgré lui? En tout cas, le fils de la grande ethnie des Zaghawa,  trouvant son créneau dans la lutte contre le terrorisme, est redevenu le chouchou de la France, un homme fréquentable malgré son allergie prononcée pour la démocratie. Du reste, brandissant encore son arme favorite qui est le chantage, Idriss Deby Itno menace de retirer ses troupes des différents théâtres de lutte contre le terrorisme si des aides financières conséquentes ne sont pas allouées au Tchad pour l’appuyer.

Et pendant que Deby essaie de réécrire l’histoire, son armée a vécu, au Nigeria, un ramadan sanglant, huit de ses soldats tombant sous les balles assassines des éléments de Boko Haram dans des combats qui ont également fait 18 blessés dans les rangs des militaires tchadiens. Ce dernier bilan macabre du week-end du ramadan confirme le Tchad dans son statut de pays très engagé dans la lutte contre le terrorisme, guerre dans laquelle son armée a payé un lourd tribut. C’est donc difficile de blâmer Idriss Deby qui réclame davantage de moyens pour continuer son œuvre de salubrité publique, même si ces troupes sont accusées également de certaines pratiques et exactions s qui ne sont pas du reste l’apanage des seuls Tchadiens. Ce qui est certain, l’éventuel retrait du Tchad des opérations contre le terrorisme dans le Sahel, porterait un grand coup à ces forces, et plus singulièrement à celle du G5 Sahel en gestation. C’est en cela qu’il faut comprendre le message codé que fait passer le chef de l’Etat tchadien dans un entretien dont il espère qu’il lui permettra de se décharger de ces fardeaux de plus en plus lourds que sont un mécontentement populaire croissant dans son pays confronté à une crise économique aiguë, une pression incessante de son opposition et de mouvements de droits de l’homme et des affaires qui mettent en cause des proches à lui. Deby a-t-il réussi son coup? Rien n’est moins sûr car en face, l’opposition est certaine que Idriss Deby Itno «veut qu’on lui donne de l’argent ou qu’on le protège».

Par Wakat Séra