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Afrique : le coronavirus met la gouvernance à l’épreuve

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Les cas suspects se multiplient sur le continent (Ph. d'illustration afrique.latribune.fr)

Le continent africain est atteint à son tour par le coronavirus COVID-19, relativement peu létal mais très contagieux. Si cette crise épidémiologique soulève la question des moyens, elle met aussi et avant tout à l’épreuve la gouvernance des états. C’est l’occasion d’évaluer la puissance publique, souvent défaillante et rarement considérée comme redevable, et de développer un esprit citoyen plus exigeant.

L’épidémie, devenue pandémie, a atteint l’Afrique.

A ce jour, plus de cent mille personnes ont été contaminées dans une centaine de pays, faisant des milliers de morts en Asie et des dizaines en Europe, en Océanie, au Moyen Orient, en Amérique du nord.

Le continent africain, désormais amarré au commerce mondial, est touché via ses ports et aéroports, en Afrique du nord et du nord-est (Algérie, Tunisie, Maroc, Egypte) ; de l’ouest (Sénégal, Nigéria) ; centrale (Cameroun) ; australe (Afrique du sud). D’autres pays sont particulièrement exposés : Soudan, Kenya, Ethiopie, Angola. On doit s’attendre à ce que le nombre de victimes en Afrique augmente fortement et rapidement dans les semaines à venir.

La communication ne remplace pas l’action.

Face à une posture globale attentiste qui privilégie la communication institutionnelle, il y a de bonnes raisons de s’inquiéter et de se mobiliser au plus vite, sans paniquer, avec méthode et recherche de l’efficacité.

Un spécialiste chevronné du pilotage des crises, Xavier Guilhou, a publié récemment un appel salutaire à la raison[1]. Son approche non conventionnelle part du  constat que les crises ont la ‘fâcheuse habitude’ de contrarier les certitudes et de ne pas respecter les conventions. Avec lui, on observe actuellement l’enchainement classique des phases d’hystérie médiatique contagieuse, de communication politique démentie par les faits, de récupération économique par des profiteurs de crise, et de panique progressive de populations civiles.

Apprendre de l’expérience : information et prévention.

Dans toute situation de crise, le facteur temps est crucial. Il s’agit de collecter et d’exploiter au plus vite ‘la bonne information’, fiable, actualisée et contextualisée. Dans un esprit de « Force de réflexion rapide » (FFR) préconisée par X. Guilhou, les données doivent être rapidement exploitées pour évaluer et qualifier correctement la situation, définir des stratégies d’anticipation et alimenter des prises de décision éclairées et responsables ; puis communiquées avec sincérité à des populations responsabilisées.

Autre principe général : renforcer les ‘chaines préventiques’ en intégrant les chaînes logistique et sécuritaire à mettre en place pour les moyens de protection, les équipements et produits médicaux, la gestion des flux de transport et de vie (alimentation, travail, déplacements, accès aux soins, etc.). On se souvient que la pandémie de grippe espagnole en 1918 et 1919, qui a démarré aux Etats-Unis et a causé plus de cinquante millions de morts dont deux millions quatre cent mille Africains, s’est propagée par les flux de véhicules et par les regroupements massifs dans des camps. Pour gérer au mieux cette approche intégrale, la plus grande décentralisation possible est souhaitable, avec l’implication de tous les acteurs locaux dans les phases de conception et de mise en œuvre.

Tenir compte des dures réalités locales.

L’expérience nous apprend aussi que l’expérience ne suffit pas. Partant par définition du connu, elle est confrontée ici à une situation inédite face à un danger viral nouveau et mal connu. Les spécificités locales (socio-culturelles, géographiques, économiques, politiques) doivent être prises en compte à toutes les étapes du pilotage de la crise, de la prévention au traitement.

Les infections pulmonaires dues au COVID-19 tuent des personnes fragilisées par leur âge et leur état de santé. Les populations africaines étant jeunes, on pourrait penser que les survivants à un taux de mortalité infantile élevé et à des conditions de vie difficiles sont naturellement résistants. Or, l’état de santé de ces populations pauvres est fragile et leur hygiène de vie médiocre (alimentation, eau, environnement). De plus, leur réaction immunogénétique à ce coronavirus est inconnue, de même que sa mutabilité.

Le niveau local à considérer ne correspond pas au découpage frontalier, national, des états. Les populations d’ethnies transfrontalières, nomades et sédentaires, franchissent fréquemment les frontières poreuses. De plus, les mécanismes sous régionaux et bilatéraux de coopération sont inefficaces, comme on le constate dans les domaines de la sécurité, de la lutte contre le terrorisme islamiste et de la criminalité économique. Par manque de réelle volonté des dirigeants et des administrations à transformer les discours, voire les lois, en réalité, à la corruption généralisée et à l’économie informelle, majoritaire, qui échappe au contrôle public et fausse l’analyse statistique.

Parmi les domaines régaliens des Etats, celui de la santé publique n’échappe pas à ce problème. Les budgets nationaux, largement financés par les aides internationales, sont insuffisants et mal employés, quand ils ne sont pas détournés. Les ONG humanitaires ne pallient que partiellement la défaillance publique. Or, le manque de moyens invoqué pour réclamer de nouvelles aides financières étrangères pourrait être en grande partie comblé par une meilleure gouvernance gestionnaire et éthique.

Changer les mentalités et les pratiques pour maitriser la crise et en sortir plus fort.

Par ‘effet domino’, les annulations d’événements publics s’enchainent et les habitudes socio-professionnelles se modifient, avec un impact économique cumulatif négatif qui pèse avant tout sur les populations précaires. Entre tétanisation irrationnelle et surréaction irresponsable, il convient d’adopter la bonne posture.

L’urbanisation anarchique de zones urbaines saturées pose la question de la définition des villes du futur. On attend des solutions innovantes d’intelligence artificielle (IA) qui rendent les villes plus « intelligentes », c’est-à-dire mieux informées et connectées, organisées de façon plus intégrée et mieux gérées. Or, l’usage des nouvelles technologies dépend à nouveau directement du niveau de compétence et d’intégrité des décideurs nationaux et des responsables locaux.

Le manque de transparence et de confiance étant généralisé, il revient à une société civile plus affirmée et à des corps intermédiaires plus indépendants de contrôler l’usage effectif de ces outils modernes, alors que les ressources financières communales sont détenues par l’administration centrale, qui les redistribue de façon arbitraire. Les citoyens doivent savoir quelles mesures ont été réellement prises pour contrôler les mouvements terrestres et maritimes et connaitre l’évolution réelle de la situation, faute de quoi la défiance encouragera la diffusion de fausses nouvelles qui susciteront des mouvements irrationnels et mortels de panique collective.

Cette crise sanitaire met en évidence les injustices et les inégalités criantes entre une minorité de privilégiés qui peuvent facilement échapper au danger et aux contraintes du COVID-19 (dirigeants politiques, hauts fonctionnaires locaux et internationaux, cadres d’entreprises) et l’immense majorité de populations cantonnées dans des zones urbaines toujours plus denses et insalubres. Un meilleur contrôle parlementaire et citoyen doit être exigé, de même que la communauté internationale doit imposer une claire conditionnalité a priori et des contrôles a posteriori plus stricts des politiques publiques.

Il n’existe donc pas de modèle unique universel, encore moins de « recette miracle », de même que les miracles économiques souvent proclamés ne sont que des mirages. Il y a autant de réponses que de pays, selon les cultures locales et les niveaux d’organisation sur le terrain. Il en va de ce virus biologique comme d’autres, informatiques, et bientôt bio-informatiques qui amplifieront la viralité et la dangerosité combinées des deux. Cette crise est un appel à une prise en charge concertée entre les niveaux africains de responsabilité concernés : gouvernements et collectivités territoriales, sociétés civiles, organismes sous régionaux et régionaux, Union africaine, en liaison et en collaboration avec leurs homologues internationaux.

La seule chose que nous savons, c’est que l’Afrique devra en payer un lourd tribut économique et surtout humain. C’est un cas concret et utile d’étude en vue de l’ouverture annoncée des frontières intra africaines (‘Zone de libre-échange continentale africaine’, ZLECA), qui offrira de grandes opportunités pour le développement des pays marchés africains et l’exposera, en corollaire, à de nouveaux risques.

Jean-Michel LAVOIZARD, DG d’ARIS Intelligence, Côte d’Ivoire. Article publié en collaboration avec Audace Institut Afrique.