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Burkina: des magistrats réagissent à des propos du ministre de la Justice

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Une vue du palais de justice de Ouagadougou

Dans cette note, l’intersyndidcal des magistrats, réagissant à des propos du ministre de la Justice, estiment, au sujet des coupures de salaires pour faits de grève, que même si retenues il devrait y avoir pour service non fait -ce qui peut être discuté- , celles-ci devraient être guidées par le principe de  quotité cessible.

Les syndicats de magistrats ont parcouru avec attention les lignes du quotidien d’ information « L’ Observateur » n°10073 du mardi  7 avril 2020 dont  les pages 2 et 3 étaient consacrées  à l’interview du ministre de la Justice, Garde des sceaux, monsieur Réné Béssolé BAGORO. Les propos de celui-ci, même s’ ils sont faits en certains endroits de peu de considération pour les magistrats,  auraient eu le  mérite   de   présenter   un  intérêt   en  termes   d’ informations  et d’ enseignements pour la  population  envers  laquelle  le  Gouvernement  est  tenu  de  fournir l’information juste et crédible, s’ il n’ avait ignoré des aspects qui paraissent pourtant basiques sur le régime juridique du droit de grâce.

En effet, quelques passages de ses propos appellent des rectificatifs.

En premier lieu , lorsqu’il dit que l’ exécution de la peine relève de la responsabilité de l’ Exécutif et que c’ est dans ce cadre qu’ il y a des possibilités pour l’ Exécutif de faire des remises de peine, le ministre feint d’ignorer qu’en vertu de la loi , les condamnés sont confiés par l’autorité judiciaire à l’ établissement pénitentiaire. C’est pourquoi les institutions du juge de l’application des peines et de la commission de l’ application des peines qu’ il préside sont des organes créés par la loi N°010-2017/AN du 10 avril 2017 portant régime pénitentiaire au Burkina Faso et dont les attributions ne sont pas facultatives, notamment dans le cadre de la procédure de remise de peine par voie de grâce.

L’encadrement de cette procédure par la loi est d’ autant fondamental que le Constituant, en reconnaissant l’exercice de ce droit au Président du Faso, a voulu atténuer ses effets qui portent atteinte à certains droits fondamentaux tels ceux de la juridicité et de la sécurité juridique (Voir R. Merle, A. VITU, Traité de droit criminel, Problèmes généraux de la science criminelle, m e édition , Tome 1, Cujas, 2001-2002, p. 1286, n°1384) , de l’ égalité de tous devant la loi ou de l’ autonomie du pouvoir judiciaire (Voir Françoi s EDIMO, Le droit de grâce du Président de la République en Afrique noire francophon e, Juridical Tribune, Volume 5, Issue 1, June 2015).

En second lieu , lorsqu’il soutient qu’il faut distinguer entre la grâce et la remise de peine et affirme que l’exercice du droit de grâce qui est reconnu au Chef de l’ Etat permet de faire un effacement de la peine tandis que la remise de peines n’ efface pas la peine mais la réduit, le Ministre fait une grave confusion entre les effets de la grâce présidentielle qui, en réalité, maintient la condamnation mais dispense de son exécution partielle ou totale et l’ amnistie qui, lorsqu’ elle intervient après que la condamnation  soit  devenue  irrévocable,  efface  la peine. L’ article 623-3 in fine du Code de procédure pénale est, du reste, suffisamment clair sur ce point en disposant que : « La remise totale ou partielle d’une peine par voie de grâce équivaut à son exécution totale ou partielle ».

En troisième lieu, il importe de préciser que contrairement aux allégations du Ministre de la justice, dans la législation burkinabè , en dehors de la remise des peines applicables à l’ enfant, en ce qui concerne les condamnés personnes majeures, il n’y a que la seule voie de l’ exercice du droit de grâce qui donne lieu à des remises de peines dont la procédure est encadrée par la loi.

Relativement à cette procédure de grâce, il faut relever d’emblée que , contrairement aux propos du Ministre de la justice, si la législation française a connu une évolution en ne prévoyant plus la grâce collective, ce n’ est pas le cas dans la législation burkinabè. La procédure de grâce telle que prévue par la législation burkinabè varie selon qu’ elle intervient après un recours ou non. Pour la grâce individuelle accordée après recours, la procédure est déterminée par le décret n°160 du 18 avril 1961 réglementant le droit de grâce.

S’ agissant de la grâce collective qui est celle prononcée d’office en l’ absence même de tout recours du condamné, outre les règles prévues par le décret du 18 avril 1961, l’initiative appartient au Chef de l’ État qui décide après que la commission de l’application des peines a proposé les condamnés pour la remise de peine conformément à l’ article 120 de de la loi N°010-2017/AN du 10 avril 2017 portant régime pénitentiaire au Burkina Faso. Même si cette commission n’ a pas de pouvoir décisionnelle comme le dit le Ministre, aucune base légale ne confère à ce dernier, le pouvoir de définir les critères ou de réexaminer les propositions de la commission pour retirer certains cas comme il le prétend, le décret n°160 du 18 avril 1961 ne prévoyant à ce titre que son avis au Président du Faso. L’ exercice du droit de grâce appartenant exclusivement au Président du Faso qui décide par décret présidentiel, le Ministre de la justice ne dispose donc pas de pouvoir propre dans la procédure, pas plus que le gouvernement , de sorte qu’ il se méprend en déclarant que l’ avis de la commission de l’ application des peines ne lie pas le gouvernement.

Ensuite, pour ce qui concerne l’ avis préalable du Conseil supérieur de la magistrature, il y a lieu de noter qu’ au contraire de ce que soutient le ministre, un tel avis est rendu impératif par les dispositions combinées des articles 133 de la Constitution et 12 de la loi organique n°049- 2015/CNT du 25 août 2015 portant organisation, composition , attributions et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature.

En quatrième lieu , le Ministre déclare aussi, en substance, que dans les cas de remise de peine donnant lieu à libération de prisonniers en fin d’ année, il n’y a jamais eu saisine du Conseil supérieur de la magistrature et que cette fois-ci les propositions ont été faites directement par le Ministère de la justice par rapport aux critères prédéterminés, arguant de la situation exceptionnelle liée au covid-19. Sur ce point, le Ministre ne semble plus soudainement se reconnaître dans le slogan « plus rien ne sera comme avant » à travers lequel il se reconnaissait parfaitement sous la transition pour avoir été membre du Gouvernement à l’ époque. En effet, même si une mauvaise pratique a toujours existé, le principe de la légalité très fondamental en matière administrative qui est censé ne pas lui être étranger commande qu’il agisse en conformité avec le droit.

En dernier lieu, dans sa tentative vaine de se décharger du manteau des irrégularités du décret dont il s’ agit, le Ministre affirme qu’ il n’avait pas connaissance d’ une quelconque procédure judiciaire pendante concernant l’un des détenus bénéficiaires  de la remise de peine et ce, dans la mesure où ladite procédure n’ a pas été notifiée aux maisons d’ arrêt et de correction. Cette affirmation n’ est, ni plus ni moins, qu’ un aveu d ‘indiligence d’ autant plus que justement la saisine des Commissions de l’ application des peines aurait permis d’ éviter de telles erreurs le cas échéant.

Au regard de ces décrochages d’ avec le droit et les faits, tel que le révèle l’interview du Ministre de la justice, on comprend pourquoi de manière progressive, des actes de plus en plus graves, en marge de tout principe de légalité, sont posés à l’ échelle gouvernementale et au Ministère de la justice, en témoignent les suspensions et retenues sauvages de salaires opérés en mars et celles programmées en fin avril 2020 en grave méconnaissance de la loi.

En effet, à l’instar d’autres agents publics dont les salaires ont, soit été suspendus, soit subi des retenues substantielles, les magistrats ont constaté des retenues opérées de manière sauvage et arbitraire sur leurs salaires en fin mars 2020. Même si retenues il devrait y avoir pour service non fait -ce qui peut être discuté- , celles-ci devraient être guidées par le principe de  quotité cessible. Le caractère arbitraire est d ‘ autant manifeste que pour les magistrats, comme pour d’ autres corps à statut autonome , la procédure de traitement et les modalités de liquidation de la retenue ne sont régies par aucun texte. Dans ce cas, en se référant au droit comparé français, tant la doctrine que la jurisprudence s’ accordent qu ‘ en l’ absence de texte, les retenues « doivent être exactement proportionnées à la durée de la grève» ou du service non fait (Voir Réné Chapus, Droit administratif général, Tome 2,  ]2ème  édition, Montchrestien, 1999 , p. 265). Du reste, même si l’ esprit des retenues se veut d’ ins piration de la jurisprudence Omont du Conseil d’ État français du 7 juillet 197 8, hypothèse totalement différente du cas d’ espèce, il sied d’ avoir un minimum d’ ingéniosité pour prendre en compte les critiques pertinentes de la doctrine sur l’ inadéquation de la solution de l’arrêt «Omont » avec la façon concrète dont les fonctionnaires font grève (Voir Fabrice Melleray, « Les retenues pécuniaires pour fait de grève dans les services publics», AJDA, 22 septembre  2003 , p. 1648). Également, relativement  au montant .des retenues , les textes, communautaires, législatifs et règlementaires s’ opposent à ce que la quotité cessible et saisissable puisse être entamée même par l’effet des retenues pour fait de grève. Pour la Fonction publique d’ État, l’article 10 de l’arrêté conjoint n°2013-195 /MEF/MF)>T.,du 30 mai 2013 portant procédure de traitement et modalités de liquidation de la retenue pour faits de grève oblige à un étalement de la retenue lorsque le respect de la règle de la quotité cessible ou saisissable  est en cause.

Procéder  dans  ces  circonstances  à  des  retenues  sans fondement réel,      de nature à entamer                                                                  à  entamer  la quotité cessible ou saisissable tout en sachant que cela est expressément interdit par la loi relève d’ un esprit grégaire et d’ une inqualifiable intention manifeste de nuire des pouvoirs de l’ État.

Plus encore, les syndicats de magistrats pour obtenir lès informations et pièces qui ont justifié ces retenues ont adressé trois lettres à la chaine de traitement de ces retenues sans gain de cause, dont la dernière en date du 20 mars 2020, adressée au Ministre de la justice, est restée à ce jour sans réponse. Faire des retenues sur les salaires tout en refusant de communiquer les documents qui ont pu concourir au principe et au quantum <lesdites retenues relèvent d’une mesquinerie et d’ une méchanceté intolérables et qui devront alors être traitées comme telles.

Au regard de cette situation marquée par divers manquements du Gouvernement, de son refus de se ressaisir et des interpellations émanant de l’ Assemblée générale des magistrats, des syndicats , d’ organisations de la société civile et même de partis politiques, les syndicats de magistrats réitèrent , à l’ attention du Président du Faso et du Gouvernement, leurs craintes de voir le climat social se détériorer gravement.

C’ est pourquoi ils interpellent à nouveau son Excellence Monsieur le Président du Faso, Garant de l’ indépendance de la magistrature sur :

l’urgence d’ un examen diligent de la plateforme du collectif des syndicats en lutte contre l’ application de l’ IUTS sur les primes et indemnités;

les suspensions de salaires et retenues arbitraires et sauvages opérées sur les salaires des agents publics du mois de mars 2020 qu’ il est impératif et urgent de rétablir ou restituer ; l’ urgence d’ annuler sans délai et sans condition les retenues disproportionnées programmées en fin avril ;

le refus du Ministre de la justice d’œuvrer à la transparence dans le traitement des salaires des magistrats suscitant des craintes d’une prise en otage, les mois à venir, de leurs salaires à des fins de chantage et d’ atteinte à la liberté syndicale ;

Le Syndicat Autonome des Magistrats Burkinabè (SAMAB) – Le Syndicat Burkinabè des Magistrats (SBM) – Le Syndicat des Magistrats Burkinabè (SMB)

la nécessité de prendre des dispositions pour que l’ exercice du droit de grâce s’ effectue conformément à la loi, tant du point de vue des règles de forme que de fond.

En tout état de cause, les syndicats de magistrats, réaffirment leur engagement avec toutes les couches socio-professionnelles de notre pays pour relever tous les défis auxquels notre pays est confronté. À l’ attention des Magistrats en particulier , ils les invitent à rester sereins et mobilisés

Fait à Ouagadougou  le 11 avril 2020