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Burkina Faso: réflexion sur la désignation d’un médiateur de la CEDEAO

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Amadou Traoré dédicaçant un livre

Le samedi 4 juin 2022, la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’est réunie en Sommet extraordinaire à Accra au Ghana, pour examiner les récentes évolutions politiques intervenues au Mali, en Guinée et au Burkina Faso depuis le dernier Sommet extraordinaire du 25 mars 2022 à Accra. Si aucune décision n’a été prise les concernant, la Conférence des Chefs d’Etat a cependant fait des recommandations aux autorités à la tête de ces pays. Entre autres décisions concernant le Burkina Faso, la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement a nommé l’ancien Président du Niger Mahamadou Issoufou en qualité de Médiateur de la CEDEAO pour le Burkina Faso. Cette décision appelle de notre part l’analyse ci-après.

I- La polémique créée par la désignation de l’ancien Président Nigérien Mahamadou Issoufou en qualité de médiateur de la CEDEAO pour le Burkina Faso

Depuis la désignation par la CEDEAO de l’ancien Président Mahamadou Issoufou en qualité de médiateur pour le Burkina Faso, des réserves ont été formulées par beaucoup d’acteurs quant à la pertinence de son choix au regard de ses relations ambigües avec les gouvernants du Burkina Faso au cours de ces 10 dernières années. De vives critiques ont même été portées par certains acteurs sur son impartialité à conduire une telle mission déterminante à termes pour le devenir de notre pays.

Certes, quelques appréciations positives ont été exprimées par certaines personnes qui ont tout de suite été taxées de nostalgiques du pouvoir MPP déchu, et qui fonderaient des espoirs sur le soutien éventuel du médiateur désigné à son ami fraichement évincé du pouvoir. Les avis critiques soutiennent en substance avec force détails que l’ancien Président Mahamadou Issoufou est un ami personnel de l’ancien Président Roch Kaboré. Que depuis 2014, l’information a circulé, sans jamais être démentie, que l’ancien Président Mahamadou Issoufou a parrainé et financé le changement anticonstitutionnel de la chute du régime Compaoré en octobre 2014. Qu’il a de façon ostentatoire applaudi le départ du Président Blaise Compaoré. Qu’il a cautionné la non dévolution constitutionnelle du pouvoir qui consistait en l’institution d’une transition constitutionnelle sous la direction du Président de l’Assemblée nationale. Qu’il a financé avec Feu le Président Deby les jeunes officiers pour faire échec au coup d’Etat de septembre 2015. Qu’il a financé la première campagne du Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP) à hauteur de 3 milliards de francs cfa, montant dont le remboursement a d’ailleurs causé quelques brouilles entre lui et son ami Monsieur Roch Kaboré.

Continuant sur cette lancée, ils ajoutent que les Présidents Macky Sall du Sénégal, Faure Eyadema du Togo, Alassane Ouattara de la Côte d’Ivoire qui étaient en fonction lors des événements de 2014 et 2015 sont largement imprégnés du rôle majeur et négatif que l’ancien Président nigérien Mahamadou Issoufou a joué dans le changement anticonstitutionnel survenu au Burkina Faso en 2014. Ils déduisent que l’on ne saurait être acteur majeur de ce changement anticonstitutionnel qui a poussé le Burkina Faso dans des incertitudes politiques depuis 8 ans et vouloir effectuer une nouvelle immixtion dans les affaires internes du pays pour enterrer les espoirs naissants. Ils concluent que ces actes montrent à suffisance le parti pris du médiateur désigné dans l’orientation de la politique du Burkina Faso de la mauvaise manière depuis plusieurs années : en dressant une partie des filles et des fils du pays contre d’autres. Aussi, ils estiment que si c’est le retour de la paix et de la cohésion sociale que la CEDEAO recherche au Burkina Faso, l’ancien Président Mahamadou Issoufou ne serait pas la personnalité indiquée pour y être le Médiateur.

Certains pourraient juger ces critiques inutiles. Mais quoique l’on dise, la médiation à l’échelle des Etats est une mission d’envergure qui, en raison de ses implications et des attentes de la communauté internationale, doit être minutieusement encadrée.

  1. Les principes directeurs de la médiation et de la désignation des Médiateurs

La logique de la médiation consiste, pour une tierce partie, à aider deux ou plusieurs parties avec leur consentement, à trouver une issue à un différend qui les oppose et à élaborer un accord mutuellement acceptable. Consacrée par le Chapitre VI de la Charte des Nations Unies comme l’un des modes privilégiés de règlement pacifique des différends, la médiation fait partie intégrante des outils des organisations internationales ou régionales dont l’Union africaine (UA) et la CEDEAO.

Pour que la médiation soit efficace, il ne suffit pas de nommer une éminente personnalité chargée de s’interposer entre les parties. Elle doit être organisée dans un climat favorable. Ensuite, la plupart des conflits à l’échelle des Etats ont une forte dimension régionale et internationale. La médiation doit donc tenir compte de cet environnement et de bien d’autres considérations connexes. Dans le souci de procurer un outil d’aide à la décision aux acteurs, l’Assemblée générale des Nations unies a fait élaborer un guide de la médiation, les « Directives pour une médiation efficace », qui se veut un outil de professionnels et de crédibilisation des efforts de médiation déployés partout dans le monde.

Les Directives onusiennes définissent un certain nombre d’éléments fondamentaux dont toute initiative de médiation doit tenir compte, entre autres le consentement des parties et leur adhésion au processus de médiation, l’impartialité du médiateur, l’appropriation nationale du processus et la prise en compte de la particularité du conflit.

Le consentement des parties et leur adhésion au processus de médiation

La médiation est une démarche qui ne peut être efficace que si les parties en conflit sont consentantes et disposées à négocier un règlement. Ce préalable acquis, la désignation du médiateur doit rencontrer l’adhésion des parties, surtout celle qui est présumée en position de faiblesse. Son acceptation dépend de la nature des relations qu’il entretient avec les parties. Il doit être crédible et leur inspirer confiance. Le processus doit également faire l’objet d’un consensus général aux niveaux régional et international. Faute de tenir compte de ces paramètres, il y a peu de chances que les parties négocient de bonne foi et la médiation aura peu de chances d’aboutir.

L’impartialité du médiateur

L’impartialité est la pierre angulaire de la médiation. Le médiateur doit être capable de mener un processus équilibré et de traiter tous les acteurs de façon équitable. Son choix est avant tout de la responsabilité des États ou des institutions qui ont l’initiative de la médiation. Il leur revient de choisir un médiateur de qualité ayant l’expérience, les compétences et les connaissances requises pour la résolution du conflit. Le médiateur doit être perçu comme une personnalité intègre, impartiale et investie d’une certaine autorité.

L’on doit convenir cependant que l’impartialité n’est pas synonyme de neutralité puisque dans les rapports entre institutions et Etats, le médiateur est généralement tenu de défendre des valeurs et certains principes de l’institution, qu’il peut être amené à porter explicitement à la connaissance des parties. Malgré ce préalable, il doit susciter et préserver la confiance des parties en conflit au sujet de son rôle et des règles de base de la médiation.

L’appropriation nationale du processus

L’appropriation nationale suppose que les parties en conflit et les communautés qu’elles représentent adhèrent au processus de médiation et s’emploient à mettre en œuvre les accords qui en découleront. Cette appropriation revêt une importance critique puisque ce sont ces populations qui subissent au premier chef l’impact des conflits, et plus tard, la rigueur de la mise en œuvre des engagements souscrits. Elles doivent donc être largement imprégnées des contours du conflit et des solutions envisageables, au risque pour les gouvernants de signer des accords dont l’application ne sera pas soutenue, ou pire,  pourrait même être combattue.

La prise en compte de la particularité des conflits

Si certaines pratiques de référence doivent guider les interventions de tous les médiateurs, il reste que chaque conflit a sa spécificité et que toute médiation efficace doit s’adapter aux particularités du conflit concerné, de ses causes et de sa dynamique, des intérêts en jeu, de la conjoncture régionale et internationale environnante. Le contexte de la crise du Burkina Faso n’est dont identique à nul autre. Le médiateur qui est au cœur du processus doit développer des stratégies pour la réussite de la médiation, en tenant compte de tous ces paramètres.

La CEDEAO est sans doute familière de ce guide onusien de la médiation dont les règles sont suffisamment objectives. On le constate, beaucoup de Burkinabè doutent fortement de l’impartialité et de la sincérité de l’ancien Président Mahamadou Issoufou à accompagner la sortie de crise du Burkina Faso, au regard de son immixtion antérieure. Il ne parait donc pas être le médiateur indiqué pour notre pays.

Dans le cas où nos gouvernants ont déjà marqué leur accord pour sa désignation en qualité de médiateur de la CEDEAO, l’intérêt de la Nation requiert qu’ils le dénoncent pour les motifs évoqués ci-dessus.

Amadou Traoré

Juriste