Accueil Société Burkina: «Museler la presse n’arrêtera jamais le travail journalistique» (Moussa Sawadogo)

Burkina: «Museler la presse n’arrêtera jamais le travail journalistique» (Moussa Sawadogo)

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Dans la pratique journalistique en période de crise, la déontologie, seule, ne suffit pas aux journalistes pour passer certaines informations. Ils font appel à l’éthique en faisant une évaluation de la situation, du contexte et de l’intérêt général et décident de donner ces informations lorsqu’ils estiment qu’elles sont de nature à résoudre le conflit et à ne pas envenimer la situation. C’est l’analyse faite par Moussa Sawadogo, expert en communication et information, qui a animé, le jeudi 30 mars 2023, une conférence publique à l’Institut des Sciences et Techniques de l’Information et de la Communication (ISTIC) à Ouagadougou, sur le traitement de l’information en période de crise. Il estime, par ailleurs, que «museler la presse», n’est pas la solution car cela «n’arrêtera jamais le travail journalistique».  

Le métier de journalisme est mis à rude épreuve au Burkina Faso en cette période de crise multidimensionnelle, avec des journalistes qui font l’objet de menaces récurrentes et certains médias, notamment étrangers, contraints de fermer. C’est dans ce contexte que le Centre national de Presse Norbert Zongo (CNP-NZ) a organisé, le jeudi 30 mars 2023, une conférence publique à l’endroit des étudiants de l’Institut des Sciences et Techniques de l’Information et de la Communication (ISTIC), portant sur le traitement de l’information en période de crise.

Le communicateur, Moussa Sawadogo

La conférence a été animée par l’expert en communication et information, Moussa Sawadogo, qui enseigne également dans des écoles de journalisme, sur le thème «Traitement de l’information dans la consolidation de la paix et la prévention des conflits». Pour le conférencier, il s’agit d’évoquer la problématique du journalisme sensible aux conflits, qui est, selon lui, une forme de pratique journalistique et non une façon de réinventer le métier de journalisme.

M. Sawadogo a d’emblée défini le journaliste sensible au conflit comme un professionnel qui ne se contente pas de couvrir les guerres, mais qui s’engage dans une recherche de solutions au conflit. Pour ce faire, soutient l’expert en communication et information, ce professionnel ne se soumet pas aux intérêts des protagonistes, mais s’attèle à trouver les causes et des solutions au conflit en allant au-delà du discours des élites et approcher les masses sociales pour écouter leur message.

Pour le communicateur, le journaliste sensible au conflit doit également être un médiateur entre les deux protagonistes tout en ne prenant pas parti. Il ne doit pas non plus servir de canal à ces derniers pour faire passer leurs messages de haine ou toute autre propagande, mais travailler surtout à humaniser le conflit. Il s’agit, selon Moussa Sawadogo, de montrer les souffrances causées par le conflit.

Comment traiter l’information en période de crise?

En période de crise, le journaliste, dans le traitement de l’information, «doit juste se rappeler sa mission sociale qui est la défense de l’intérêt général, pas celui d’un groupe», a souligné le conférencier du jour. «Il arrive des situations où la déontologie ne peut pas répondre aux questions. En ce moment, le journaliste fait appel à son éthique, c’est-à-dire à l’évaluation de la situation, du contexte et de l’intérêt général et il décide s’il donne l’information ou pas. Il va donner l’information s’il pense que cette information est de nature à résoudre le conflit, c’est-à-dire à ne pas envenimer la situation», a développé Moussa Sawadogo devant les étudiants de l’ISTIC.

Des étudiants de l’ISTIC à la conférence publique

Du reste, il soutient que «toute vérité n’est pas bonne à dire», notamment celle qui met en péril la sécurité nationale. «Quel est l’intérêt d’une vérité qui va mettre à mal l’union nationale, l’intérêt général. Si je dois dire quelque chose pour détruire le pays, je m’abstiens de le dire», a-t-il déclaré, notant que cela est une prérogative du journaliste qui applique l’autocensure.

«Museler la presse n’arrêtera jamais le travail journalistique»

Les journalistes continuent de faire leur travail d’analyse, de critique, même en période de crise, pour voir si les solutions proposées par les gouvernants sont bonnes et durables, a relevé le communicateur, rappelant par ailleurs, qu’il arrive que les gouvernants n’apprécient pas ces critiques. «Mais il n’est pas question d’embrigader la liberté de la presse», tranche l’enseignant en journalisme.

Présidium de la conférence publique avec Inoussa Ouédraogo (à droite) Arsène Evariste Kaboré (à gauche) et Moussa Sawadogo

«A partir du moment où les codes d’éthique et de déontologie sont respectés, il n’y a pas de raisons d’empêcher le journaliste de faire son travail. Le faire, c’est lui appliquer d’autres règles en dehors de l’éthique et la déontologie et on rentre dans la politique, on bascule dans la violation des droits à l’information», a fait savoir l’expert Sawadogo qui se convainc que museler la presse «n’arrêtera jamais le travail journalistique». «Il faut donc une communication transparente en acceptant la critique», a-t-il conseillé.

Aux termes de sa communication, Moussa Sawadogo a déploré une «insuffisance de formation» des journalistes dans cette période de crise. «On a parlé de journalisme sensible au conflit, je suis sûr qu’il y a très peu de journalistes qui y ont été formés. Dans les rédactions, les journalistes ne sont pas très bien encadrés sur la problématique de la crise. Cela peut poser des problèmes. C’est une insuffisance qu’il faudrait corriger», a suggéré le conférencier.

Par Siaka CISSE