Accueil Communiqué de presse Burkina: « Situation nationale préoccupante », (partis au protocole d’accord politique)

Burkina: « Situation nationale préoccupante », (partis au protocole d’accord politique)

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photo d'illustration

La Conférence des Présidents des partis au protocole d’accord politique (PAP) s’est réunie, le dimanche 23 septembre 2018, à Ouagadougou a jugé la situation politique nationale préoccupante.

La Conférence des Présidents des partis au Protocole d’Accord Politique (PAP) que sont Les Républicains (LR), le Rassemblement pour un sursaut Républicain (RSR) et l’Union Nationale pour la Démocratie et le Développement (UNDD) ;

Réunis ce jour 23 septembre 2018 à Ouagadougou, ont analysé la situation politique nationale qu’ils ont trouvée préoccupante. Ils sont arrivés à la conclusion qu’aucune offre électorale, dans la perspective de 2020, ne devrait se faire dans l’insouciance des révélations des enjeux collectifs qui nous menacent globalement et des moyens de les combattre utilement, à défaut de les éradiquer automatiquement.

Ils ont exposé des préalables qui leurs paraissent déterminants et formulés des propositions.

  1. LES PREALABLES

Toute analyse portant sur l’état de la Nation manquerait de sérieux en occultant certaines questions qui sont préoccupantes à un niveau existentiel pour le pays. Il s’agit du délitement sécuritaire, de la dérive judiciaire et de la quête nationale insatisfaite de réconciliation nationale.

Pour les signataires de cette photographie en instantané de la situation du pays, les deux premiers phénomènes pervers contrarient la cohésion sociale et hypothèquent, au-delà du développement, le devenir collectif. La réconciliation nationale étant le réflexe responsable et patriotique pouvant stopper la tragique attraction vers le chaos. Voilà qui commande de sérier les préoccupations nationales et de ne pas mettre la charrue avant les bœufs.

On comprendra que les consultations politiques ne soient pas pour nous la question prioritaire ainsi que nous l’avons déjà exprimé à bien d’autres occasions. Avant de s’engager dans un espace de jeu il faut le nettoyer. Ce nettoyage impose pour nous de différer la consultation référendaire et de mettre prioritairement l’accent sur des points suivants :

  1. De la sécurité des personnes et la défense du territoire national

La situation sécuritaire de notre pays est préoccupante. Les victimes des attaques des bandits armés se comptent par centaines. Des centaines d’écoles sont fermées, et plusieurs milliers d’écoliers ne parviennent plus à suivre les cours dans le Sahel. Les services publics de base sont perturbés ou interrompus dans cette région. Pire, la menace terroriste commence à s’étendre sur d’autres parties du territoire national comme c’est le cas du Sud-ouest et de l’Est du pays où un califat islamique serait en installation. Le quotidien des populations du Sahel et de l’Est est fait d’attaques terroristes et de deuils. De cette situation préoccupante, le Premier Ministre Paul Kaba a fait le point devant la représentation nationale le 17 septembre 2018, et chaque Burkinabè a pu se rendre compte de sa gravité.

Il s’avère donc impérieux non seulement de donner les moyens nécessaires aux forces de défense pour assurer la sécurité des personnes et des biens, mais aussi d’élaborer une politique cohérente de la défense du territoire national. Malheureusement, les autorités gouvernementales en charge de cette question ne semblent pas avoir pris la mesure de la gravité et de l’urgence de cette situation. Ainsi, il a fallu qu’une alerte soit donnée par le Directeur régional de la Police de l’Est sur la gravité de l’insécurité dans la région et relayée par la presse pour que le Président du Faso convoque le Conseil supérieur de la défense et promette la prise de mesures adéquates que l’on attend toujours.

Mais on le sait, la première arme contre le terrorisme est l’organisation d’un réseau de renseignement efficace. Le Général Gilbert Diendéré est connu pour être l’un des grands spécialistes du renseignement dans toute l’Afrique de l’Ouest et du Nord. Il est aujourd’hui poursuivi pour tentative de coup d’Etat et détenu à cet effet à la Maison d’Arrêt et de Correction de l’Armée (MACA). Aujourd’hui, la Nation est en péril ; l’objectivité ne recommande-t-elle pas de solliciter les compétences de ce fils afin qu’il apporte sa contribution dans la lutte pour la défense du territoire ? Les premières autorités sont interpellées sur la question. Question qui, même dans les nations de grandes références démocratiques, n’a jamais posé une équation insoluble tant la question d’intérêt national peut primer sur toutes autres considérations.

En attendant, l’angoisse des populations confrontées à ces attaques terroristes continue.

  1. De l’indépendance de la justice et de la défense des droits de la défense

La justice burkinabè civile, saisie de dossiers à caractère politique, peine à donner des gages sur sa capacité à dire le droit dans ces affaires, dans le respect de la légalité et des principes d’équité applicables en la matière. L’indépendance de la justice, le devoir d’impartialité du juge et la transparence dans le traitement des dossiers demeurent des aspirations insatisfaites. Ce constat ne met pas toujours en cause la compétence et la probité des magistrats de profession. Il est plutôt le résultat de la manipulation de la justice par le pouvoir.

La justice militaire est également le lieu de tripotage de toutes sortes où les inculpés disent ne pas se reconnaitre dans les procès-verbaux de leurs auditions devant le Tribunal. Le summum a été atteint avec les faux en cascades découverts en flagrant délit et soulevant de façon grave, par-delà la responsabilité des magistrats et autres collaborateurs de justice, celle même du gouvernement à travers le Ministre chargé de la Défense.

Quand des magistrats falsifient des procès-verbaux, introduisent indûment et frauduleusement des procédures et expertises, communiquent pour les besoins de l’instruction à la barre des Procès-verbaux annulés par la chambre de contrôle, le Ministre chargé de la défense qui, en vertu de l’article 3 du Code de justice militaire (CJM), est investi des pouvoirs judiciaires, et de pouvoirs de contrôles hiérarchiques des magistrats militaires en raison de l’article 24 du même Code ne peut rester inactif.

Dans un État qui se veut démocratique, régi par la primauté du droit, la justice constitue un rempart contre les abus et l’exercice arbitraire du pouvoir d’Etat par l’exécutif. Or la situation actuelle du Burkina Faso se caractérise davantage par les tentatives d’instrumentalisation du pouvoir judiciaire aux fins de neutraliser les adversaires que par la volonté de rendre une justice fondée sur le droit.

Le tragique de cette situation, c’est que l’on va jusqu’à domestiquer, au-delà des organes judiciaires, la Constitution elle-même, le maitre d’œuvre de cette entreprise n’étant autre que le pouvoir lui-même. La justice militaire nous a permis d’observer, devant le laxisme du pouvoir, le mal atteint par ce processus de déréliction du système judiciaire. Si la sécurité et la justice ne sont pas les deux mamelles de la république elles en sont les deux poutres maitresses.

  1. De la cohésion sociale et de la réconciliation nationale

La première richesse d’une Nation, ce sont ses filles et ses fils et la cohésion sociale est la condition de leur mise à la tâche pour la réalisation des idéaux de développement. Or sur le plan de la cohésion sociale, le Burkina Faso pêche par la division interne. En effet, le Burkina Faso sort d’une crise sociopolitique qui a sapé les fondements de la société. En pareil cas, la réconciliation doit être le préalable du processus de la refondation nationale et cela est du rôle et du devoir des tenants du pouvoir. Malheureusement, le pouvoir en place se montre plus enclin à diviser les burkinabè qu’à reconstruire le tissu de la cohésion nationale.

La dernière situation illustrative est le vote de la loi n°035-2018/AN du 30 juillet 2018 portant modification de la loi portant Code électoral au Burkina Faso qui, à l’évidence, porte les germes de la division des Burkinabè.

Les dispositions relatives au retrait de la carte consulaire par l’article 52 Nouveau, au confinement des lieux de vote des électeurs Burkinabè de l’étranger dans les ambassades et dans les consulats, à l’arrimage de la liste de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) à celle de l’Office national d’identification (ONI) et à l’instauration d’un système d’enrôlement des électeurs «par SMS et par appels téléphoniques» n’ont pas été élaborées de façon consensuel.

Certains de nos compatriotes qui résident et travaillent à l’étranger ont également exprimé leur incompréhension par rapport aux déclarations faites par des représentants de l’autorité légale sur la carte que l’administration consulaire leur a délivrée dans leurs lieux de résidence et du regard que porteront désormais les services de l’immigration de leurs pays d’accueil sur leurs documents d’identification.

La Commission électorale nationale indépendante (CENI), fondée sur le consensus et la concertation des acteurs socio-politiques parait, pour la première fois de son histoire, touchée par la discorde, ce qui a conduit certains commissaires à rompre le silence pour se désolidariser de ces dispositions dont on leur prêtait en partie la paternité. De tout ce qui précède, il en ressort que la loi nouvelle divise les acteurs, compromet la sérénité du processus électoral et les chances d’organiser des élections apaisées.

Cela n’a cependant pas empêché le Président du Faso de promulguer ladite loi en faisant fi de la nécessaire recherche de la cohésion sociale. En ces heures difficiles que le pays traverse, les difficultés du Premier Ministre à tempérer les ardeurs de l’opposition et de certains acteurs sociaux sont quelque peu les conséquences de ce passage en force.

Les difficultés de fonctionnement du Haut Conseil pour la Réconciliation et l’Unité Nationale (HCRUN) sont symptomatiques du manque de volonté politique que montre le Gouvernement à faire du besoin de réconciliation une priorité nationale. La réconciliation nationale de toutes les filles et de tous les fils s’impose afin de ramener la cohésion sociale dans le pays.

  1. Du respect des droits de l’homme et de l’exercice des libertés publiques

L’un des déterminants de la politique du Burkina Faso post-insurrectionnel est l’abaissement généralisé de l’observation du droit et le non-respect de ses engagements par l’État. Sous la transition, cela s’est traduit entre autres par le bâillonnement des libertés publiques et les exclusions politiques massives pratiquées en 2015 au mépris des dispositions du traité de la CEDEAO et d’une décision expresse de la Cour de justice de la CEDEAO rendue en juillet 2015.

Cette dérive liberticide n’a pas pris fin avec les élections de 2015, qui ont installé le pouvoir actuel. Au contraire, elle tend à s’amplifier. Les arrestations, détentions abusives et harcèlement des opposants, les atteintes répétées aux droits de l’homme, les exactions des supplétifs du pouvoir et des milices d’auto-défense sont devenues monnaie courante. Au point que le Comité des droits de l’homme des Nations-unies a tiré la sonnette d’alarme, en formulant des observations très critiques à l’égard du Burkina Faso, à l’occasion de sa session annuelle de 2016. Ce jeudi 21 septembre 2018 également, le Centre d’Information des Nations Unies a révélé que le Conseil des droits de l’Homme des Nations-Unies a été saisi du rapport sur l’examen périodique du Burkina Faso pour l’année 2018.

Le pays refuse l’application de 12 douze recommandations unusiennes parmi lesquelles le démantèlement de certains groupes d’autodéfense dont les atteintes aux droits de l’homme sont notoirement connues. Fait étonnant, c’est le Ministre de la Justice et des droits humains lui-même qui défend l’existence de ces groupes décriés par de nombreux Burkinabè.

Dans le même ordre d’idées, le Groupe de travail sur les détentions arbitraires du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies a, dans un avis rendu public le lundi 3 juillet 2017, jugé «arbitraire» la détention du Général Djibril BASSOLE. Bien qu’il ait finalement bénéficié d’une mise en liberté provisoire par une décision de justice, le Ministre de la défense s’est arrogé le droit d’en durcir les conditions par un arrêté, manifestant une fois de plus l’immixtion flagrante et grossière du gouvernement dans les procédures judiciaires.

Autres atteintes aux droits civiques des citoyens : l’interpellation, le jugement et la condamnation des activistes de la société civile dont Messieurs Pascal Zaïda et Naïm Touré, coupables d’avoir voulu organiser une manifestation publique pour protester contre le recul des libertés et la mauvaise gouvernance pour l’un ou de démoralisation et de complot pour l’autre. Pourtant, les organisations de la société civile laudatrices du pouvoir mènent leurs activités librement sous le regard bienveillant de l’Administration.

Le dernier cas qui défraie toujours la chronique est celui de Madame Safiatou Lopez, interpellée pour complot contre la sûreté de l’Etat. Le Colonel Auguste Denise Barry venait de quitter les geôles de la MACA la veille de son interpellation après huit mois de détention pour de mêmes motifs similaires. La leçon que l’on y retient, c’est que l’on ne protège mieux les Libertés Publiques et démocratiques que par une mobilisation collective sans différenciation partisane ou idéologique. Un homme de l’opposition ou de la majorité, de gauche ou de droite, civil ou militaire, victime d’atteinte à ses droits, mérite le soutien de tous. C’est une question de principe.

Le respect des droits de l’homme est un indicateur et une condition de la démocratie. L’Etat du Burkina doit veiller à assurer l’exercice des libertés publiques.

  1. De la gouvernance et de l’instauration du dialogue politique

Depuis l’accession du Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP) au pouvoir en novembre 2015, la situation politique du Burkina Faso ne cesse de se détériorer. Les espoirs fondés dans le retour à la normalité après les élections de novembre 2015 se sont vite effrités pour laisser place au mécontentement général. De mémoire de Burkinabè, le pays a été rarement marqué par autant de protestations provenant de presque tous les secteurs sociaux.

Les doléances et les revendications des syndicats ne cessent de s’amonceler devant le Gouvernement, qui dans une fuite en avant, cède aux demandes pour gagner du temps sans se préoccuper de vérifier s’il est en mesure de les satisfaire ; ce qui n’a d’autre effet que de reculer le traitement des problèmes aigus que connait la société burkinabè, en envenimant davantage le climat social.

La mauvaise gouvernance a été illustrée également par la diffusion sur les réseaux sociaux d’une séquence ubuesque montrant le Ministre de la sécurité en gilet pare-balles et armé d’un fusil d’assaut dans le domicile d’un député de l’opposition en froid avec la direction de son parti, et bien d’autres actes semblables. Il prétendait assurer la sécurité dudit député par cette démonstration, tout en proférant des menaces de sévices physiques contre les responsables des partis adverses. La mauvaise gouvernance a été illustrée aussi par ces multiples marchés publics passés en violation des textes dont certains ont été relevés par les organes de contrôle sans que cela soit suivi de sanction des coupables ou même de décisions correctives du gouvernement.

En trois ans de gestion de la chose publique par le pouvoir en place, les populations ne savent plus à quel saint se vouer. Les résultats de sondages des populations nostalgiques du temps du pouvoir du Président Blaise Compaoré sont le signe de cette désillusion.

Les gouvernants partent, mais le pays et le peuple demeurent. La bonne gouvernance est la condition de réussite de toute politique publique. Le tableau de ces réalités dont aucun de nous ne peut se féliciter est triste, mais il serait criminel de feindre de l’ignorer.

Après les réponses données à ces préalables, les préoccupations électorales et politiques peuvent être les suivantes :

  1. LES PROPOSITIONS ELECTORALES ET POLITIQUES

L’offre électorale politique responsable pour les signataires de la présente déclaration est dominée par les considérations suivantes:

  1. Propositions en direction du pouvoir

a-Différer la consultation référendaire : même s’il fallait aller à une cinquième République, la procédure suivie n’est pas la meilleure. Notre pays a traversé une situation marquée par des déchirures nationales qui ont mis à mal les institutions et le vouloir vivre ensemble. Si on parle de réconciliation nationale, il faut voir le processus sous un double aspect : il y a d’abord la réconciliation interpersonnelle, mais aussi la réconciliation de la Nation avec sa mémoire, avec son vécu. Cela nécessite de passer par une assemblée nationale constituante, sans compter que l’Etat atteint par l’incivisme, l’affaiblissement de nos institution, la situation de guerre est telle qu’il ne serait pas responsable d’aller à une consultation électorale ou référendaire tout de suite.

b-Revenir aux acquis des reformes judiciaires sous la transition : sous la transition, au nombre des reformes favorables à une bonne administration de la justice, il y’avait celle accomplissant et constitutionnalisant l’indépendance du conseil supérieur de la magistrature. Il faut revenir sur cet acquis actuellement malmené aujourd’hui par le pouvoir en place.

c-Adopter après de larges et inclusives consultations une loi sur les retrouvailles nationales : il est en effet difficile de gouverner le pays dans la division. Il s’avère donc impérieux de ramener la cohésion sociale avant toute consultation électorale. Une amnistie portant aussi bien sur des faits déjà jugés ou en passe de l’être devrait être prise en garantissant les droits des parties civiles.

d-Mettre en place un mécanisme pour réfléchir sur les fraudes électorales, dans leurs formes anciennes ou toujours usitées et dans leurs formes nouvelles que favorisent notamment la révolution informatique, et y trouver des parades pour ne pas exposer le Pays â des crises post électorales et accroître le phénomène de décroissance démocratique.

  1. Propositions en direction des partis politiques de l’opposition

Adopter un mécanisme de veille et d’aide à la défense des questions sécuritaires et judiciaires dans un programme commun qui repose sur une stratégie électorale commune et sur une gestion commune du pouvoir.

a-Mettre en place au niveau de l’opposition un comité sécurité / justice, un travail d’alerte, de réflexion et de proposition peut bien se faire à ce niveau.

b-Elaborer une stratégie électorale commune consistant à décider d’une candidature unique de l’opposition à l’élection présidentielle ou à défaut, convenir du soutien au second tour du candidat arrivé en tête au sein des signataires du programme commun.

c-Convenir d’une stratégie de gouvernance commune dans un esprit de solidarité, d’équité et de responsabilité en prévision de la victoire à l’élection présidentielle. Il serait en effet illusoire de penser que le Président qui sera élu à l’issue du scrutin de 2020 pourra gouverner dans la division, l’insécurité et dans la récession économique.

Cela suppose l’élaboration d’une plateforme consensuelle dans laquelle tous les partis de l’opposition trouvent leurs comptes sur les plans politique, économique et social.

Les partis politiques au PAP félicitent les forces armées nationales pour leur dévouement à la défense de la Nation en dépit des conditions de travail difficiles.

Enfin, les partis politiques au PAP appellent les Burkinabè à emprunter le chemin de la réconciliation nationale, condition de l’unité nationale et de la remise de la Nation au travail.

Ouagadougou, le 23 septembre 2018

P/ La Conférence des Présidents

Le Porte-parole par intérim

Amadou Traoré