Accueil Opinion Côte d’Ivoire : Et si l’on dénationalisait l’enseignement ?

Côte d’Ivoire : Et si l’on dénationalisait l’enseignement ?

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Les frais annexes de scolarité en Côte d’Ivoire amènent à une réflexion globale sur l’enseignement dans le pays. Ces frais varient fortement, sont gérés sans aucune transparence et remettent en cause le principe de gratuité affiché par les autorités ivoiriennes. Comment libérer les populations de cette spirale malsaine ? Dans son article publié en collaboration avec le projet www.libreafrique.org, FANGNARIGA YEO, activiste des droits de l’homme et blogueur , souligne qu’au delà des frais « flexibles » de scolarité la qualité des cours laisse à désirer. Le niveau des élèves est de plus en plus bas, ils bénéficient d’une éducation en pointillé entre les grèves et absences des enseignants. L’auteur, compte tenu de l’échec du secteur public, propose une libéralisation de l’enseignement avec un système d’aide aux plus pauvres.

L’actualité scolaire en Côte d’Ivoire est marquée par la question des frais d’inscription. La Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI) a dénoncé les frais annexes d’inscription (5.000 à 200.000 francs CFA)  dépassant les frais officiels fixés à 6.000. Au lycée moderne d’Anyama, le  Comité de Gestion des Etablissements (COGES) s’est opposé au proviseur qui voulait détourner les 40 millions générés par les frais annexes. Comment cesser ce scandale et améliorer ainsi la  gouvernance des établissements scolaires?

Renforcer la transparence de la gestion

A court terme, le ministère de l’éducation nationale devrait commencer par veiller à la bonne répartition des frais officiels aux composantes du système éducatif. Ainsi, chaque COGES devrait percevoir la somme de 1700 francs par élève inscrit conformément à la clé de répartition avant la fin du premier trimestre. Puisque des COGES affirment percevoir la somme de 700 francs par élève inscrit qui leur est reversée parfois au dernier trimestre scolaire.

Quant aux frais annexes, ils devraient être plafonnés sans excéder le montant des frais officiels. La gouvernance de ces fonds devrait se conformer aux normes comptables de bonne gestion. Pour cela, le ministère devrait prendre des mesures de suivi et de contrôle de la gestion en s’appuyant sur les différentes directions régionales de l’éducation nationale (DREN).  Ainsi, les DREN pourraient effectuer, dans les écoles, des contrôles inopinés des réalisations, des appels d’offre et des documents comptables de gestion des COGES. De même, il faudrait renforcer la reddition des comptes via les COGES.  Ces derniers devraient avoir un compte bancaire dont les chèques seraient contre signés par trois personnes notamment un représentant des associations des parents d’élèves, un représentant des enseignants et un représentant de la direction de l’école. Au terme de chaque année scolaire, d’une part un audit financier devrait être fait et rendu public et d’autre part les COGES devraient envoyer un rapport financier aux parents d’élèves et à la DREN.  Et les mauvais gestionnaires seraient traduits devant les tribunaux.

En finir avec le mythe de gratuité de l’enseignement public

Sur un horizon temporel de moyen et de long terme, la question des frais d’inscription pose la problématique du monopole de  l’Etat dans l’enseignement, surtout avec l’encombrement, l’abandon scolaire, la faible qualité du contenu. Pour masquer les défaillances, ils essayent de gonfler artificiellement le taux de réussite au Baccalauréat et au Certificat d’Etudes Primaires Elémentaires (CEPE). Selon le journaliste, Tiémoko Assalé, descendre jusqu’à moins de 8 de moyenne, histoire d’avoir un pourcentage de réussite moins choquant, est la preuve de l’effondrement du système éducatif. D’où la nécessité d’une profonde refonte du système. Dans cette veine, l’une des solutions pourrait être la remise en cause du monopole de l’Etat et son retrait.  Pour ce faire, il faudrait commencer par sensibiliser les citoyens quant au mythe de gratuité de l’école car elle est financée indirectement par les impôts des citoyens. Par ailleurs, et au-delà des impôts, les Ivoiriens doivent payer les frais d’inscription, les cours de soutien à la maison, les cours de renforcement à l’école et bien d’autres frais connexes. C’est la raison pour laquelle le débat aujourd’hui ne devrait pas porter sur la gratuité, car de toutes façons on paye, mais plutôt sur la qualité du service rendu.

La dénationalisation de l’enseignement au profit du marché

Se faire une raison quant à l’illusion de la gratuité permet de se concentrer sur le vrai sujet, à savoir comment obtenir le meilleur rapport qualité-prix du service enseignement. Le principe directeur ici n’est pas d’arrêter le soutien aux familles démunies, mais seulement de redéfinir cette aide. Ainsi, l’Etat continuera d’aider les plus démunis, mais de manière ciblée et surtout déléguera la livraison du service au privé car le public est un mauvais fournisseur. Comment ? D’abord, en arrêtant de financer le service pour tout le monde, l’Etat dégagera des économies qu’il pourrait réaffecter au profit des plus pauvres. Ensuite, ces fonds économisés vont être distribués directement aux familles de manière ciblée sur la base de critères objectifs sous forme de chèques-éducation par exemple. Enfin, avec ce chèque-éducation, les familles pauvres pourront choisir librement où placer leur progéniture en fonction des résultats et de la qualité du service. Quant à celles appartenant à la classe moyenne elles devraient profiter d’un abattement fiscal correspondant à leur contribution au titre du financement du service public abandonné pour qu’ils ne payent pas deux fois. Cette liberté donnée aux familles permettrait de rétablir le lien entre le service rendu et le prix payé, ce qui in fineconstituerait un mécanisme formidable d’incitation à l’amélioration du rapport qualité-prix du service de l’enseignement. Par ailleurs, la discipline du marché instaurerait une véritable concurrence entre établissements et aurait un impact positif en poussant les gestionnaires à plus de rigueur dans leurs dépenses, à recruter les meilleurs enseignants et à fournir les meilleures conditions d’étude. Ainsi, l’absentéisme des enseignants, les grèves récurrentes et le phénomène des grossesses en milieu scolaire pourraient trouver des alternatives. La qualité de l’enseignement dans les établissements confessionnels actuels et leur bonne image montre bien la pertinence d’une offre non-publique. Dans cette nouvelle configuration, le rôle de l’Etat serait de réguler le marché de l’éducation via une autorité indépendante de régulation chargée de faire respecter des cahiers de charge par les établissements, des règles de concurrence loyale, et des mécanismes de recours pour les mécontents et de sanction pour les fraudeurs ou les mauvais prestataires.

En définitive, il ne faudrait pas se tromper de combat. Le véritable enjeu est d’améliorer la qualité d’enseignement. La dénationalisation de l’enseignement est inéluctable face à l’échec de l’enseignement public de masse. Ceci passe par l’ouverture du secteur au privé, régulé par un état de droit et une concurrence saine. L’amélioration de la gouvernance du secteur est possible si l’on renforce la liberté et la responsabilité des acteurs. A bon entendeur…