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Côte d’Ivoire: la garde à vue de Yodé et Siro crée l’émoi

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La convocation hier mercredi 2 décembre 2020, du duo d’artistes Yodé et Siro, évoluant dans le registre du « Zouglou », une musique urbaine ivoirienne, pour « outrage à magistrat » crée l’émoi sur la toile. Yodé de son vrai nom, Dally Djédjé, et Siro, à l’état civil, Sylvain Decavailles Abas, pratiquent un genre musical populaire en Côte d’Ivoire qui est à la fois distractif et critique vis-à-vis des maux dans la société, surtout de la responsabilité des hommes politiques. Connus pour leur langage de vérité, le duo, à travers sa chanson « On dit quoi ? », un des titres phares de leur nouvel album intitulé « Héritage« , sorti le 3 juillet 2020, dénonce la gestion du pouvoir actuel contesté fortement par l’opposition politique.

Les commentaires vont bon train depuis hier dans le pays de Alassane Ouattara, à la suite de la garde à vue du mythique groupe de Zouglou, Yodé et Siro, qui aurait offensé de par leurs propos, le Procureur d’Abidjan, Adou Richard, connu pour sa rigueur la cyber-éducation via les réseaux sociaux.

Auditionnés pendant plusieurs heures, le mercredi 1er décembre 2020, par la Brigade de recherches de la gendarmerie à Abidjan-Plateau, les artistes Yodé et Siro, ont été assistés par leurs avocats. Ils ont par la suite été mis en garde à vue pour être présentés, ce jeudi 3 décembre, au procureur de la République, Adou Richard.

Cette actualité qui divise les Ivoiriens provoque une avalanche de réactions, notamment, sur les médias et les réseaux sociaux (Facebook, WhatsApp, Tweeter…), lieu par essence de vives polémiques. Le fait le plus marquant de cette affaire est le soutien de taille des acteurs majeurs de la politique dont celui de l’ex-président Henri Konan Bédié que bénéficient les deux acolytes qui totalisent 24 ans de carrière musicale.

En effet, l’ex-chef d’Etat, leader actuel de l’opposition politique, dit « apporter tout (son) soutien à (Yodé et Siro) qui n’ont fait que dire tout haut ce que les Ivoiriens disent bas ». « Force à vous, Yodé et Siro, artistes engagés. On ne se réconcilie pas en mettant les gens en prison. Le pays a besoin de tous ses enfants pour la vraie réconciliation », poursuit dans ses propos, Henri Konan Bédié.

« Quand Abidjan Tousse, la Haye éternue »

Au même titre, des leaders de la scène politique en exil, comme l’ex-ministre de la Jeunesse, Charles Blé Goudé et l’ex-président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro, ont saisi la balle au bond pour dénoncer avec véhémence une « dictature » du pouvoir actuel qui s’appuierait sur la justice pour combattre tous ceux qui le critiquent ou s’opposent à sa façon de gouverner. « Le Zouglou est une danse philosophique qui permet au peuple de se recréer pour oublier un peu ses soucis. Le Zouglou est pour notre génération, ce qu’a été le reggae, genre et expression musicale qui a émergé à la fin des années 1960. Ici, on décrit, on dénonce et on dit haut ce que tout le monde pense et murmure bas. Quand Abidjan Tousse, la Haye éternue », a posté l’ex-chef des Jeunes Patriotes ivoiriens, en guise de soutien à Yodé et Siro.

Quant à l’ex-Premier ministre, Guillaume Soro, sur qui pèserait un mandat d’arrêt international, il a fait savoir, sur sa page Facebook, que « quand un régime est moribond, il devient frileux, patauge et tombe! ». « Arrêtez des artistes! C’est le comble. Le régime s’attaque à l’ART! Soutien aux artistes musiciens Yodé et Siro! », poursuit-il.

Ce jeudi, des artistes non moins important de la scène musicale ivoirienne ont appelé à la solidarité pour la libération de leurs camarades. Parmi eux, le Reggaemeker de renom, Ticken Jah Fakoly. « Libérez Yode et Siro! En tant qu’artistes engagés, ils n’ont fait que dire ouvertement ce que pensent certains ivoiriens! », a publié la deuxième figure de reggae en Côte d’Ivoire.

L’icône du Décaler-Couper, une musique urbaine ivoirienne, Debordo Leekunfa, a demandé au Tout Puissant de faire en sorte que « la lucidité gagne les cœurs, touche (les) hommes politiques ». Avec un discours très posé, carrément contraire à son genre musical, domaine par excellence des polémiques et autres punchlines, Debordo veut « oser croire » que la Côte d’Ivoire est un « pays démocratique ».

C’est pourquoi, il dit prier pour que « ce vent de démocratie à caractère dictatorial et revanchard quitte les cœurs » des Ivoiriens, surtout de ses acteurs politiques. En somme, pour l’ex-acolyte de Arafat DJ, « la liberté d’expression est une belle et puissante valeur ». C’est pourquoi Debordo, artiste aux surnoms multiples (Maîtré Maîtré, Wiz Aggara ou Ôpa La Nation) appelle ses compatriotes à ne pas « confondre attiser les tensions et celle de la liberté d’expression ».

« Allez dire au procureur … qu’un mort c’est un mort »

Le procureur de la République de Côte d’Ivoire, Adou Richard

Lors d’un concert, sur une base acoustique aux rythmes Zouglou bien mené par le Djembé, un instrument musical traditionnel, Siro, chantait : « Allez dire au procureur Adou Richard qu’un mort c’est un mort. On ne passe pas son temps à rechercher les petits Baoulé dans les villages pendant que les gens sont ici avec des machettes et ils sont bien identifiés ». Sur cette note, son binôme Yodé a poursuivi en disant : « Siro où tu es rentré wooo. Faut pas faire ils vont tirer sur nous wooo », sous la clameur du public, vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux.

Né dans les 1990 dans les cités universitaires, à Abidjan, le Zouglou, connu encore sous le pseudonyme de « Wôyô » ou « ambiance », est une musique tradi-moderne qui aborde sans complaisance et avec profondeur les thématiques sociaux. Genre très engagé, puisse que le Zouglou, à la naissance était l’instrument de dénonciation des calvaires que vivent les étudiants, il a été aussi depuis son existence, un canal de prédilection de certains artistes qui pratique cet art de dénoncer, dans la subtilité, avec vigueur, la mauvaise gouvernance que sont la dictature, la corruption et les abus de pouvoir, entre autres.

La dernière élection présidentielle ivoirienne tenue le 31 octobre dernier, à l’issue de laquelle le président Alassane Ouattara, fortement critiqué et contesté par la classe politique de l’opposition, a été réélu pour un troisième mandat. Des appels à manifester pour faire barrage au président Ouattara, avaient entraîné des troubles qui ont fait environ 100 morts et près de 500 blessés, selon des chiffres officiels.

Par Bernard BOUGOUM