Accueil A la une Entre Lomé et Bruxelles, une mère raconte l’«humiliation» subie par elle et...

Entre Lomé et Bruxelles, une mère raconte l’«humiliation» subie par elle et sa fille

0
(Ph. d'illustration)

A travers ses lignes, bien «qu’une colère et une toux sèche» s’étaient emparé d’elle comme «à chaque fois» qu’elle se «remémore ou raconte les faits», Dame Fatoumata Ouattara Traoré, revient sur ce voyage en Europe qu’elle et sa fille n’oublieront pas de sitôt.  

«Le 21 octobre 2022, pour aller à Marseille, ma fille et moi étions dans le vol Brussels Airlines SN 0278 Lomé Bruxelles via Accra. Installées en classe Premium aux places 10D et 10F, ma fille constate que ses écouteurs ne fonctionnaient pas. Après plusieurs tentatives, j’informe une hôtesse de l’air après le décollage de l’escale faite à Accra. L’hôtesse propose, qu’après le repas, nous nous déplacions à la dernière rangée de l’espace Premium, où il restait de la place. Nous suivons ces conseils. Et c’est à ce moment que commence notre mésaventure. J’avoue qu’une colère et une toux sèche me viennent, à chaque fois que je me remémore ou raconte les faits.

Lorsque nous nous sommes déplacées vers cette rangée de trois places, un passager installé à l’extrême gauche occupait, en plus de sa tablette, celle du milieu. Je m’abaisse alors pour le saluer. Notons qu’il s’agit d’un homme blanc, la précision est de taille, environ la cinquantaine d’années. Mon «bonsoir monsieur» fut accueilli par une mine antipathique à laquelle, j’avoue n’avoir pas accordé plus d’importance de prime abord. Pensant qu’il ne comprenait sans doute pas français, je lui explique que nous devons, ma fille et moi, nous déplacer car les écouteurs de ma fille ne fonctionnaient pas. Il semblait d’ailleurs avoir vu où nous étions préalablement installées. Mais comme il fait mine de ne pas comprendre mes explications en anglais, je demande à ma fille de lui expliquer pourquoi nous allons nous installer aux deux places libres à ses côtés. L’homme en colère s’est mis à me réclamer nos cartes d’embarquement. Cette étonnante requête m’a mise hors de moi. Énervé, il a dit qu’il ne comprend pas pourquoi on laisse n’importe qui et n’importe quoi s’installer à ces places. Son mécontentement et ses paroles ont été entendus par des membres de l’équipage et plusieurs passagers de la classe Premium. Mes propos d’indignation profonde et de colère ont été entendus aussi. Tout cela a fait un peu de mouvement et de bruit dans l’avion. Les membres de l’équipage, manifestement animés de compassion, m’ont demandé du calme. Notons qu’aucun passager n’a exprimé une quelconque indignation. Pas même les noirs!

L’homme blanc énervé a tapé à plusieurs reprises sur sa tablette. Il a continué à proférer des gros mots et des menaces à mon égard. La seule solution trouvée par l’équipage fut d’installer ma fille entre cet homme et moi. Inutile de raconter l’état de détresse de ma fille qui vivait une scène explicitement raciste en direct et me voyait dans un tel état. L’inquiétude s’est ajoutée à mon humiliation et à ma colère: je ne savais pas de quoi cet homme était capable. Il aurait pu s’en prendre physiquement à ma fille assise près de lui. Pour aller aux toilettes, c’était compliqué de laisser ma fille toute seule auprès d’un tel individu. Plus tard, alors que l’individu s’était endormi, la cheffe de cabine est passée pour me présenter des excuses. Elle m’a dit que dans cette situation, elle voulait nous installer en 1ère classe, mais qu’il n’y avait aucune place. Ce que je savais, car c’est parce qu’il n’y avait plus de place en 1ère classe que nous étions en Premium.

À l’arrivée à Bruxelles, l’homme s’est empressé de quitter l’avion.

Nous avons continué notre voyage vers Marseille.

Le vécu de cette scène raciste est d’une extrême violence.

Nous sommes retournées à Lomé le 5 novembre 2022. Et sans hésitation, nous avons voyagé en Business class, non sans appréhension. Celle de ne pas être à notre place.

À l’arrivée à Lomé, nous étions parmi les trois premiers passagers à quitter l’avion. Tous nos documents de voyage étaient au complet. Cependant, nous avons tellement attendu au guichet du policier que cela a été remarqué par plusieurs passagers européens blancs. Ils ont compati. Là aussi et encore, nous n’étions manifestement pas à notre place. Nous n’avons pas la peau blanche et nous n’avons pas de policier privé pour payer ses services.

On peut se permettre de tirer de cette vilaine histoire ceci: il est important de partager cette expérience même si le fait de l’écrire ravive le sentiment d’humiliation. J’ai mis deux semaines pour rédiger ces mots. L’’indifférence des passagers (toutes couleurs confondues) qui ont assisté aux faits est plus que surprenante. Merci aux membres de l’équipage qui ont manifesté leur empathie. Lorsqu’elle est venue me présenter ses excuses et sa désolation dans l’avion, la cheffe de cabine a promis qu’elle ferait un rapport. Je ne sais pas ce que cela signifie. En tout état de cause, il nous reste ce sentiment permanent d’être en imposture et en Afrique, et en Occident.»

Fatoumata Ouattara-Traoré