Accueil Opinion Intelligence artificielle et révolution numérique : les deux atouts majeurs de l’émancipation africaine

Intelligence artificielle et révolution numérique : les deux atouts majeurs de l’émancipation africaine

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Dans cette réflexion, Mamadou Djibo, PhD Philosophy fait  l’analyse que la Révolution numérique et l’Intelligence artificielle sont le constat que l’automatisation de la croissance économique est induite par la contrainte de type capitalistique à l’innovation. 

La Révolution numérique qui a enclenché l’internet des objets est un Game Changer (vecteur de renversement total de perspectives) sur le chemin du progrès social des peuples et subséquemment de l’émancipation africaine. La raison en est que l’internet des objets par exemple, selon le Professeur Klaus M. Schwab, président du Forum économique de Davos,  parie sur l’interaction intelligente des objets et induit le Talentisme que je souhaite populaire pour les enfants d’Afrique (rendu possible par le dividende démographique). Puisque la captation efficiente et la pratique de la théorie de la décision (qui était jusque-là le privilège capital des Humains), établit désormais l’Intelligence artificielle comme le nouvel horizon, la nouvelle frontière pour la création de la richesse. Le Centre de recherche pour le développement international (1), CRDI, un centre canadien vient de publier les résultats d’une étude scientifique. Les études établissent qu’ici 2030, quelques 16 000 milliards us de richesses seront additionnés aux richesses des nations. Et les meilleures projections identifient l’Amérique du Nord, essentiellement les Etats-Unis et le Canada (le Mexique un peu moins) et la Chine comme les nations les mieux placées pour capter une part substantielle de cette manne, soit les 70%. Une aubaine pour les uns et un cataclysme pour les autres ! L’Afrique vient d’ouvrir, via Google, un centre pour le développement de l’intelligence artificielle à Accra au Ghana. C’est un début pour le partenariat prive-public. Qu’en est -il des puissances publiques africaines? Je propose ici cinq pistes de réflexion.

  1. La question capitale se pose: Le meilleur atout pour réduire la pauvreté, excepté la Révolution verte, est-il dès lors l’induit de la matière grise (internet des objets en interaction avec l’intelligence artificielle) ? Prosaïquement, la question africaine advient ceci : les pays en développement comme ceux d’Afrique s’apprêtent-ils à vivre, excentrés, la 4e Révolution technologique ? Après la Révolution agricole avec la sédentarisation des Humains, la Révolution industrielle amorcée en Angleterre, la Révolution digitale en cours et assurément la Révolution technologique avec une emphase sur l’Intelligence artificielle, doit-on s’inquiéter que les Etats africains et nos dirigeants continuent de penser que le progrès de l’homme africain est lié ou résultera de la domestication ou sera le fait de l’industrie lourde ?

Pour relever le défi de la réduction substantielle de la grande pauvreté, il urge de faire exactement le même type de renversement spectaculaire de perspectives : sortir des contraintes lourdes des défis de l’industrialisation improbable à court terme, et embrasser l’ultime défi de demain, celui de la formation qualifiante, l’infrastructure de l’éducation, la culture de l’excellence et la prise en compte que seule la ressource rare est la matière grise. Le Brain drain qui consiste à dépouiller l’Afrique des meilleures intelligences doit être contenu impérativement mais surtout immédiatement. Puisque l’intelligence artificielle replace le capital humain au cœur du progrès des nations (santé, éducation et alimentation), il est désormais acquis que les courses folles des Africains vers le développement du secteur minier (contre les cultures vivrières et la souveraineté alimentaire et surtout une rapide dégradation des sols arables (mercure utilisé par les orpailleurs par exemple en Afrique de l’Ouest ) et in fine, la crise environnementale accentuée, tout autant les cultures de rente qui perpétuent la tradition et la structure de l’économie coloniale extravertie établissant l’Afrique comme comptoir d’export contre la croissance endogène.  Ces deux doctrines doivent immédiatement dépérir au risque d’une plus grande paupérisation des Africains durant ce siècle des intelligences.

  1. La matière grise comme ressource rare consacre la qualité de l’éducation et de la formation, l’apprentissage généralisé de l’outil informatique, l’économie des megadonnées et de l’innovation entrepreneuriale, le développement des échanges de données, et subséquemment, le devoir des pouvoirs publics à mettre l’emphase sur le développement des droits humains, le contrôle démocratique sur les mégadonnées, l’utilisation vertueuse des algorithmes, luttes contre les officines de manipulation massive. La puissance publique africaine est interpellée. Le contrôle citoyen sur les lieux du savoir et les pouvoirs publics en faveur des libertés publiques, de la protection de la vie privée et renforcer le lien solidaire, un mécanisme de filet social en faveur des grands pauvres et contre les fragilités nouvelles, sont advenues indispensables.

La Révolution numérique et l’Intelligence artificielle sont le constat que l’automatisation de la croissance économique est induite par la contrainte de type capitalistique à l’innovation. C’est même une injonction pérenne pour survivre. Le capitalisme part du fait que le profit ne peut être mis à la remorque du travail humain, cher et toujours plus cher. Il s’ensuit que le fait technologique innovant prend le relais de l’humain pour contenir lesdits coûts et les imprévus liés aux Humains (grèves, maladies et autres). En vérité, il y a une course accrue entre les travaux les plus sophistiqués remplaçables par le fait technologique et les travaux les plus routiniers des Humains (cordonniers, peintres etc. de l’économie soit disant informelle mais davantage une forme de l’économie endogène solidaire) qui sont promis à une persistance comme artisanat de perfectionnement qu’il faut encourager plutôt que de recyclage productif des rébus industriels venus d’ailleurs. Alors vouloir augmenter les revenus des métiers les plus performants intellectuellement (travail plus cher), c’est accélérer l’arrivée massive des technologies de substitution, une plus grande précarité du marché du travail et donc une rognure des droits sociaux. Certains économistes avancent, vu les impasses produites par certains choix de politique de développement, qu’en termes absolus, le troc des ressources naturelles immenses de l’Afrique contre des infrastructures (routières, informatiques, aéroportuaires, portuaires, énergétiques, sanitaires et éducatives etc.) est plus redistributeur de richesses que la planification du développement confiée aux firmes privées avec cette facile façon pour ne pas dire dangereuse d’aller s’endetter sur les marchés ? La question du choix optimal est donc posée et elle ne concerne pas seulement les économistes. Nous sommes à un tournant décisif dans l’histoire de l’émancipation africaine. Errer dans nos choix de politiques publiques, de nouveau, serait cycliquement dommageable pour l’Afrique pour longtemps d’autant plus que nous disposons d’une population jeune, talentueuse et pleine d’avenir qui ne demande que des espaces d’espoir pour son plein envol.

  1. Inversement, taxer aussi fortement les intrants technologiques, pourrait être aussi une erreur dans l’exacte mesure où la croissance économique endogène serait mise en banqueroute par une croissance du chômage et donc des inégalités accrues dans les revenus du travail et le maintien pérenne du taux des inégalités voire leur cristallisation. Le progrès est bon universellement. Singer des particularismes de paresse intellectuelle, serait alors dire Adieu au capitalisme de redistribution ! La solution idoine reste, premièrement, le développement conjoint du capital humain et la porosité aux intrants technologiques. Parce que nul ne sait le rivage que va prendre le progrès de l’homme, demain. Aussi l’approche perspectiviste prudente dans la programmation du développement reste la sagesse circonstanciée. Deuxièmement, la Révolution verte (apport des technologies vertes et applications numériques pour la bourse des céréales) au nom de la souveraineté alimentaire est tout autant indépassable. Bien formée et bien nourrie, la nouvelle génération africaine sera au rendez-vous des enjeux globaux.
  2. L’Intelligence artificielle comme accélérateur du progrès social est donc cet atout majeur à la disposition de tous. Si à Kinshasa n’importe quel visiteur peut constater que certains carrefours sont désormais régulés par les Robots, ce même visiteur peut réaliser le risque induit pour l’homme non éduqué, non bien formé voire formaté, technicité opératoire oblige, pour vivre non seulement ce saut technologique mais aussi les impacts négatifs (sociologiques, pouvoir d’achat perdu) comme nouvelle fragilité économique infranchissable pour la grande masse des techno-illettrés d’Afrique. Cette tendance lourde, la matière grise comme la seule ressource rare et donc stratégique est une donnée cruciale à visiter et revisiter par les pouvoirs publics pour se convaincre de tout mettre en œuvre pour qu’elle ne devienne pas un désastre, un champ de ruines des espoirs d’émancipation. Un outil technologique n’est jamais en soi, un méfait. C’est la panne de réflexion de ses usages et impacts qui en fait une calamité au sens où elle advient un accélérateur des inégalités de revenus entre pays technologiques avancés et pays accrocs aux économies de rentes, structurellement. Avec le dividende démographique enregistré, l’Afrique a tous les atouts humains et les intelligences pour se rêver en hub digital du monde pour espérer capter sa juste part de cette immense addition de richesses probable et aussi réduire les inégalités de revenus entre les citoyens africains et les autres citoyens du monde. Parce que la Révolution digitale alliée à l’Intelligence artificielle, établit, statistiquement, qu’elle ne ferait qu’accompagner les inégalités déjà abyssales entre ces deux aires du monde, voire constater une dérive dans les bas-fonds de la paupérisation irréversible.
  3. Finalement, le leadership visionnaire attendu par les peuples africains doit être en phase avec cette contrainte des temps : améliorer impérativement le capital humain, s’y résoudre définitivement, et rebrousser chemin de cette diplopie des dirigeants qui gage le progrès de l’homme exclusivement sur les taux de croissance extravertis conforme à l’économie de comptoirs coloniaux, ces dirigeants qui vivent les politiques publiques en éducation et cohésion sociale par procuration. Il est fort probable qu’en réalisant la Révolution verte chère à Koffi Annan et au Président Adessina de la BAD, si elle est réalisée, assurera la souveraineté alimentaire du continent tout comme l’agriculture familiale de proximité (protection de l’environnement et cadre de vie, utilisation des technologies vertes) libérera les Africains de la faim pour aller directement à la Révolution digitale et intelligence artificielle. Le mobile banking et toutes ces applications frugales inventées par les talents de la génération numérique africaine en sont les prémisses. Au Burkina Faso, au Mali, en Guinée et en Côte d’Ivoire, on semble se tromper en pensant impulser le développement endogène à partir des cash instantanés offerts par les codes miniers et cette apparence circonscrite de l’illusoire boom minier. Quiconque a de la mémoire, comme chef ou comme citoyen instruit, sait que le voyage de l’Empereur Kankan Moussa a fait chuter le prix de l’or au Caire au 13è siècle. Une illusion de puissance puisqu’elle a durement endetté et ruiné l’Empire du Mali sans produire les compétences, les capabilités selon le Nobel Amartya Sen et donc ajouter la richesse intelligente à la richesse endogène. Les Africains courent derrière les mêmes illusions ancestrales, en ce moment. Si les mines enrichissaient les populations, l’Empire du Mali en serait la preuve. Tout comme la RDC des Mobutu et Kabila ruissellerait de revenus pour tous, tout le contraire de cette continuité de la médiocrité comme les Evêques congolais le constatent. La véritable richesse est dans la souveraineté alimentaire et la formation, les centres de formation de pointe et la détection des talents, leur suivi, leur installation comme entrepreneur, champion national et accommodements tous azimuts. Les administrations doivent se mettre au service de ces talents. Ceci n’est possible que si les Africains, individuellement et collectivement, sortent des schizophrénies nommées tribalisme, régionalisme, communautarisme, corruption et cupidité des élites, dépôts des fonds volés ou extorqués dans des banques extérieures, extraversion des concepts du développement, irrédentismes, atavismes d’un autre âge. Ces maladies constituent une toute autre tendance : la tendance maléfique. Il faut en sortir. L’ éthique de l’Intelligence artificielle est, enfin, nécessaire pour nous préserver des conspirations des Big Brother et l’Etat policier contre les libertés individuelles, autant la révolte des citoyens et des juges est indépassable pour rompre ce cycle maléfique, autant les libertés civiles doivent être sanctuarisees. Les nouvelles générations numériques doivent entreprendre cette double poussée de la renaissance africaine : produire et consommer la Révolution digitale et Intelligence artificielle mais aussi et surtout veiller scrupuleusement à la sauvegarde la république sociale et égale pour tous sur le sol africain. C’est le défi de la génération numérique, son motif de lutte et donc d’engagement. Au contrôle de cette 4e Révolution Technologique, il y a le contrôle démocratique et celui-ci est acté par le consentement citoyen. Cette Révolution doit rimer avec l’Etat de droit démocratique. La vigilance citoyenne doit sauvegarder ce rapport de sujétion pour le bien de tous et de la cohésion sociale.
  4. Centre de Recherche et de Développement International, CRDI,
  5. Livre blanc : Intelligence artificielle et développement humain : vers un programme de recherche.
  6. Ottawa, 12 juin 2018

Source: www.guillaumesoro.ci