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Le massacre d’Ogossagou : l’État malien coupable?

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Le 23 mars 2019, un conflit communautaire a fait au moins 160 morts à Ogossagou, dans le centre du Mali.  Cette attaque imputée aux groupes d’auto-défense Dogon contre les populations Peuls a été présentée par le gouvernement comme un conflit ethnique entre deux communautés rivales. Cependant, peut-on la réduire à ce seul aspect ou d’autres éléments devraient-ils être pris en considération?

Un amalgame ethnico-religieux

Des analystes ont tenté de poser la problématique des conflits communautaires au centre du Mali selon divers angles. Selon certains, il s’agit d’une exacerbation de la représentation que les communautés ont l’une de l’autre, laquelle est entretenue par les autorités locales. D’un côté, les Dogons pensent que les Peuls sont les sympathisants des groupes Djihadistes. Le leader de la Katiba du Macina, Ahmadou Kouffa étant de l’ethnie Foulani (Peul) et beaucoup de jeunes de la communauté ont rejoint les groupes djihadistes. De l’autre côté, les Peuls considèrent les Dogons comme des bras séculiers de l’Etat dans la répression de leur communauté. Par ricochet, la désignation d’une communauté comme sympathisant d’un groupe aboutit à sa diabolisation comme étant l’ennemi social à abattre. Face à la défaillance de l’état de droit marquée par la faiblesse de la législation et de l’appareil judiciaire, c’est la loi du plus fort qui s’impose. Les groupes djihadistes profitent de cet amalgame en se positionnant dorénavant comme défenseur de la communauté Peul, qui risque de se jeter dans leurs bras, faute de considération de la part de l’Etat central.

Un Etat défaillant sous-traitant la sécurité des citoyens

L’Etat devrait être le garant de la sécurité des biens et des populations. Pourtant, au Mali, les forces armées nationales font souvent profil bas face à des cas de conflits communautaires. La multiplication de massacres entre communautés montre que l’Etat n’a pas les capacités de maîtriser l’ensemble de son territoire et de garantir la sécurité des populations. En outre, cela explique que les structures institutionnelles de médiation et de prévention de conflits ne fonctionnent pas non plus. Face à cette faiblesse de l’Etat à assurer son rôle régalien et à la montée en puissance de la demande en sécurité de la part des populations, les groupes d’auto-défense ont commencé à proliférer. Leur mise en place est souvent encouragée par l’État défaillant et peut apparaître positive lorsque ces milices s’investissent dans une mission de contrôle social et de résolution des conflits en anticipant les menaces réelles ou ressenties résultant de la vie en collectivité.

Le constat de la faillite de l’Etat va conduire des communautés à s’organiser en groupe d’auto-défense. Aussi, par cet acte de « privatisation » de la sécurité, l’Etat a donné les moyens à des communautés antagonistes d’accentuer leur conflictualité. Les règles de vie communautaire sont donc, bafouées par la nouvelle génération d’éleveurs et d’agriculteurs pour laquelle priment le profit et la satisfaction des ambitions personnelles. Les questions liées aux droits de propriétés et aux libertés fondamentales sont souvent bafouées au profit du langage des rapports de force.

Conflit autour des droits de propriété : la  racine du mal

Dans les tentatives d’explication de cette attaque tragique, l’aspect économique a été occulté. Pourtant, la frustration nourrie par une gouvernance inégalitaire de l’accès aux terres et aux ressources naturelles doublées d’une prévarication étatique, explique bien la frustration et la violence qui s’en suit. D’ailleurs, dans un rapport intitulé « Stabiliser le Mali », il était expliqué que les violences dans le centre du Mali ont été provoquées d’abord par une compétition pour les ressources disponibles dans le delta du Niger (pâturages, champs, poissons), et par l’évolution des règles qui structurent l’accès à ces ressources et aux revendications entourant ces ressources. Le manque d’opportunités et/ou d’alternatives économiques pour diversifier les revenus ne peut que contribuer à exacerber les conflits entre les usagers des ressources naturelles, en l’occurrence les terres, les points d’eau. L’histoire nous rappelle qu’il existait des conflits entre les éleveurs Peuls et les agriculteurs Dogons autour du partage de la terre et des ressources naturelles.  Dans un contexte de rareté et, face à une menace permanente d’insécurité alimentaire, les valeurs ancestrales de solidarité et de partage ont laissé place à un égoïsme caractérisé par une course effrénée vers l’accaparement des ressources naturelles. Tout cela, ajouté à la circulation illicite des armes à feu, ne peut que nourrir la violence intercommunautaire.

Ces conflits de droits de propriété, non résolus en raison de la défaillance de l’Etat, ne sont point spécifiques au Mali. Au Niger et au Burkina, les populations Peuls nomades et les populations sédentaires cohabitent difficilement, du fait de la raréfaction des ressources naturelles, de la sècheresse et de la faible productivité agricole. La faible productivité agricole va pousser les agriculteurs à occuper les espaces réservés pour le passage des animaux et les voies d’accès aux points d’eaux qui sont pourtant des passages obligatoires pour les pasteurs. Dès lors, un discours djihadiste structuré autour de ces frustrations devient mobilisateur.

Quelles voies de solutions ?

L’Etat malien devrait assurer la fonction qui lui sied le mieux, à savoir sécuriser les personnes et les droits de propriété. Cela passe d’abord, par une mise à niveau de son appareil sécuritaire et par le désarmement des groupes d’auto-défense afin de réhabiliter son autorité et faire cesser l’impunité. Ensuite, redéfinir et faire respecter des droits de propriété équitables pour toutes les communautés concernant l’accès et la jouissance des ressources naturelles. Enfin, mettre en place des programmes de sensibilisation et de rééducation autour de la représentation sociale que les communautés ont les unes des autres, dans le sens la revalorisation du vivre-ensemble. Faute de quoi, le Mali continuera à être un terreau fertile sur lequel les extrémistes continueront de semer les graines de la violence.

Adoumadji Madjastan Magloire, Expert en sécurité et défense, Chercheur Associé au Centre de Développement et de Prévention de l’Extrémisme (CEDPE).

Article publié en collaboration avec Libre Afrique