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Me Yayé Mounkaïla: pas de miracle pour les avocats même «face aux terroristes»

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Le Bâtonnier de l'ordre des avocats du Niger, Me Yayé Mounkaïla (Ph. Wakat Séra)

Présent à Ouagadougou dans le cadre de l’audience solennelle de prestation de serment de la première promotion des nouveaux avocats stagiaires du Barreau de Ouagadougou, Me Yayé Mounkaïla, avocat à la Cour,  Bâtonnier de l’Ordre des avocats au Niger, a prononcé, à l’endroit des impétrants ces mots dignes d’intérêt. Logeant dans un hôtel situé sur l’avenue Kwame Nkrumah, il a vécu, la veille, l’attentat terroriste qui ciblé le café Aziz Istanbul. C’est dans cette logique que s’insère ce rappel adressé aux nouveaux avocats stagiaires d’être: «(…) à tous ceux que vous rencontrerez, y compris face aux terroristes qui nous ont attaqués hier soir (dimanche 13 août 2017, Ndlr), il n’y a point de miracle. La morale et l’éthique, la pondération, la tempérance, la constance dans la résistance seront vos recours et vos garde-fous.»

«Vous me voyez ravi d’être à Ouagadougou, parmi vous, en ce moment solennel où, après des efforts consentis, des sacrifices accomplis, des jeunes gens, filles et garçons, s’apprêtent à vêtir la toge, pour emboîter le pas aux aînés, pour assurer la relève, et pour servir leur société.

En ce jour qui est le leur, permettez que je  m’adresse à ceux qui vont prêter serment.

Vous êtes, jeunes gens, au seuil d’une carrière que je souhaite déjà couronnée de succès. Mais ce jour est celui du serment, je ne vous ferai donc pas de sermons. Je me contenterai de vous parler comme un aîné, en Afrique, parle à ses cadets.

Vous ne devez voir en moi, ni le guide ni le directeur de conscience, mais seulement le frère, le confrère, qui a eu l’heur d’exercer le métier avant vous, et qui déroule son expérience afin qu’elle serve vos desseins.

On dit chez nous, chez vous aussi, et partout en Afrique je crois, que « l’homme jeune marche plus vite que l’ancien, mais que l’ancien connaît la route »

Puissent les propos que je vous destine tempérer la fougue de la jeunesse qui est nécessairement en vous, et éclairer le chemin de vos carrières.

Chers frères et sœurs, et bientôt confrères,

Sur le chemin que vous suivrez, vous aurez besoin de compagnes sûres. J’entends l’ensemble des valeurs que vous devez désormais faire vôtres.

Je nomme d’abord l’humanité. En toutes circonstances, elle vous animera de bonté et de bienveillance envers vos semblables. Elle marchera à vos côtés, avec la dignité, la loyauté, la probité et l’indépendance. Contenue dans la formule du serment que vous allez prêter nécessairement.

J’ai dit dignité. Dans l’exercice de vos fonctions, faites en sorte de mériter le respect d’autrui.

La droiture, le respect du bien d’autrui, l’observation des droits et devoirs de la justice, c’est à cela que vous engage la probité.

Mais, ai-je besoin de vous le dire, la probité va de paire avec la loyauté.

J’ai dit aussi indépendance. Voilà une compagne difficile, sur laquelle à tout instant vous devez veiller, car les tentations auxquelles elle peut succomber sont multiples et protéiformes. La séduction peut provenir du politique, du judiciaire ou de l’économique. Mais, elle vous sera fidèle, si, à l’égard de tous ces pouvoirs, vous faites montre d’une entière autonomie.

En effet, dans l’exercice de vos fonctions vous ferez face à plusieurs défis, dont la compromission, la connivence, le gain facile, les raccourcis, le déni de justice et des droits de la défense.

Chers frères et sœurs,

Que vous coûte-t-il d’adjoindre la liberté à l’indépendance? Les deux font bon ménage. Et, la liberté sert tous les principes, toutes les règles éthiques qui guideront vos activités professionnelles.

Soyez donc libres! Libres face au client, libres face au juge, libres face à la société, libres face à vous-mêmes.

Jusqu’ici, j’ai dit ce qu’il est bon de faire. Qu’il me suffise à présent de dire ce qu’il ne faut pas faire.

Et il me vient à l’esprit l’exemple de ceux qui, d’un idéal louable, sont passés de l’opinion à la doctrine, puis de la doctrine au dogme, et qui ont aligné leurs vies sur des vérités préétablies, sans jamais les remettre en cause.

Je pense à ceux qui sont devenus si sûrs de leurs savoirs, de leurs expériences, de leurs jugements, et qui méprisent le doute.

Je pense enfin, à ceux qui, obnubilés par l’appât du gain facile et la concupiscence, ont transformé leurs vies en une compétition économique.

Futurs Avocats, mes sœurs, mes frères,

Ces exemples ne méritent point d’être suivis. Prenez donc garde que l’assurance, la suffisance ne deviennent pour vous des chaînes.

Cultivez l’humilité. Pour l’Avocat libre et responsable, le doute porté sur soi est bénéfique, la remise en question du soi est avantageuse.

De la même façon que l’habit ne fait pas le moine, la robe que vous revêtez aujourd’hui ne fait pas l’Avocat. L’Avocat de votre temps est un avocat en devenir; il est pris dans un monde en pleine mutation, un monde dans lequel le Droit évolue. L’Avocat est désormais celui qui s’adapte aux changements et qui actualise sans cesse ses connaissances.

L’avocat ce n’est pas celui qui, au sortir de cette audience va publier sur Facebook, son image, ses diverses fortunes et qui s’épanche sur les réseaux sociaux, fiers de ses prouesses et se moquant de ses clients, de ses confrères et des magistrats.

Je voudrais vous dire, chers impétrants, à tous ceux que vous rencontrerez, y compris face aux terroristes qui nous ont attaqués hier soir (dimanche 13 août 2017, Ndlr), il n’y a point de miracle. La morale et l’éthique, la pondération, la tempérance, la constance dans la résistance seront vos recours et vos garde-fous.

En terminant, je formule le vœu d’une belle carrière à vous tous. Et je souhaite, quand sera venue pour vous l’heure du bilan, que vous retourniez pour découvrir un sillon rectiligne d’une carrière libre et responsable, plutôt qu’un sillon crochu d’une carrière faite de compromissions.

Sur ce, je requiers qu’il vous plaise, Mesdames et Messieurs de la Cour, de bien vouloir recevoir les serments de mes nouveaux confrères et les renvoyer à l’exercice de leur fonction.

Ni zou noongo (bon vent, Ndlr)