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Buhari à Londres : le Nigeria cherche son président

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Le général Buhari est à Londres pour un bilan de santé, selon ses conseillers (Ph. lepays.bf)

Il s’appelle Muhammadu Buhari. Il est né le 17 décembre 1942. Il a quitté le domicile familial depuis le 19 janvier 2017 et s’est rendu officiellement à Londres pour faire son bilan de santé.  C’est notre président. Si vous le retrouvez, prière le ramener à Abuja, au palais présidentiel ». Ainsi pourrait être libellé, le communiqué faisant office d’avis de recherche que diffuseraient les Nigérians qui s’inquiètent de l’absence de leur chef d’Etat. « Bring back our president », avaient même dit certain, en référence au slogan « Bring back our girls », scandé lors de l’enlèvement massif par Boko Haram, de plus de 200 lycéennes de Chibok, en 2014. Même les dernières informations distillées par les conseillers restés trop longtemps muets sur l’état de santé de leur patron n’arrivent pas à rassurer à Kaduna, Lagos, Ibadan ou Abuja, où les populations commencent à trouver trop long, le séjour londonien de Muhammadu Buhari. Il n’était parti que pour un check-up, à en croire ceux qui soufflent à son oreille. La santé du chef qui est tabou en Afrique a-t-elle connu quelque détérioration ? Ceux qui se posent cette question sont les plus nombreux, et n’arrivent toujours pas à avaler les bribes d’informations qu’ont enfin daigner à faire fuiter, les proches collaborateurs de l’homme fort du Nigeria, champion du Congrès progressiste (APC) dans la course au fauteuil suprême de mars 2015, face à Goodluck Jonathan.

Connu pour sa main de fer, ce qui n’est pas non moins un atout pour diriger le géant Nigeria, le général Buhari, après renversé par un coup d’Etat en 1985, connaîtra la prison jusqu’en 1988. Son retour à la tête du Nigeria n’aura pas pour autant étonner que ceux qui ignorent le goût très prononcé du natif de Katsina pour le pouvoir. Avant de conduire et réussir le putsch de 1983, il avait déjà participé à celui de 1966 qui amènera Murtala Muhammed au pouvoir. Son come-back au palais présidentiel d’Abuja fait du reste suite à trois échecs aux élections présidentielles de 2003, 2007 et 2011. Malgré des atteintes aux droits humains reprochés à son premier mandat kaki, Buhari a retrouvé une virginité par les urnes en 2015. Il se servira du reste de cette popularité pour engager la guerre contre Boko Haram, qu’il a promis mettre à genoux. Mais comme la réalité est loin d’épouser les campagnes de promesse, la lutte contre la secte islamiste est très mitigée, en témoigne le fait qu’une bonne majorité des filles de Chibok est toujours aux mains de Abubakar Shekau et ses affidés. S’érigeant en apôtre de la démocratie, ou alors beaucoup plus pour défendre la position de puissance africaine dont se targue le Nigeria, Buhari s’était impliqué dans la crise gambienne, pour essayer de déloger Yahya Jammey du « State House », le palais présidentiel de Banjul. Son pays a même proposé l’asile à l’ex président gambien qui a décliné l’offre.

Si la rumeur sur l’état de santé de Buhari a autant enflée, c’est la faute au flou savamment orchestré sur le sujet, dans presque tous les pays africains. Des journalistes en ont d’ailleurs fait les frais devant la justice, pour avoir osé communiquer sur la santé du chef. Comme si le président ne peut pas souffrir d’un mal de dent, comme tous ses semblables humains, un grand mystère est construit autour de ses maladies. Rien ne filtre de son palais ou du centre de santé où il séjourne, contrairement à la bonne pratique des bulletins publiés en toute transparence, sous d’autres cieux. Comme s’il ne peut pas revenir le faire à Abuja, « depuis Londres le chef de l’Etat travaille sur ses dossiers ». Dans ce contexte, est-ce facile d’empêcher ces concitoyens de d’alimenter la rumeur de la maladie grave dont pourrait souffrir leur président ? Aujourd’hui où le monde est devenu un grand village où tout se sait, souvent à une vitesse grand V, l’exercice est d’ailleurs plus difficile que de communiquer en toute transparence sur la santé de Muhammadu Buhari. Tout président qu’il est, il est d’abord et avant tout un être humain.

Par Wakat Séra