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Présidentielle en Tunisie : les trois inconnues du second tour

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Ph. RFI

Calendrier du scrutin, maintien en détention du candidat Nabil Karoui, influence des législatives… De nombreuses incertitudes marquent la campagne d’entre-deux-tours.

La Tunisie aborde dans l’incertitude le second tour de l’élection présidentielle, après le premier tour du dimanche 15 septembre, qui a placé en tête le juriste conservateur Kaïs Saïed (18,40 %), devant le magnat de la télévision Nabil Karoui (15,58 %). Bien des hypothèques demeurent sur la suite de ce processus électoral crucial pour la consolidation de la transition démocratique en Tunisie, berceau et seul rescapé de la vague des « printemps arabes ».

  • Quand aura lieu le second tour ?

Le tribunal administratif de Tunis a rejeté lundi 23 septembre six recours déposés par des candidats battus lors du premier tour. Ces derniers – Seifeddine Makhlouf, Abdelkrim Zbidi, Slim Riahi, Néji Jalloul, Hatem Boulabiar et Youssef Chahed – contestaient les résultats du 15 septembre, qu’ils estiment faussés par les conditions de la campagne, jugées inéquitables, ou par une violation des règles encadrant la « publicité politique ».

Si ces recours – ou certains d’entre eux – avaient été validés par le tribunal, le premier tour aurait pu être annulé. Un tel scénario aurait empoisonné le climat politique, car il aurait été interprété comme une manœuvre de certains candidats perdants issus du « système » visant à barrer la route à leurs deux rivaux « outsiders », MM. Saïed et Karoui. Tel n’a finalement pas été le cas. Dans ces conditions, la date du 6 octobre pour le second tour pourrait sembler vraisemblable. Si toutefois des appels devaient être formés contre le rejet de ces recours par le tribunal administratif, la date du 13 octobre paraît la plus plausible.

  • Nabil Karoui va-t-il rester en prison ?

Quelle serait la valeur d’un second tour si l’un des deux compétiteurs devait se trouver de facto interdit de campagne ? La question se pose chaque jour avec plus d’acuité, alors que Nabil Karoui est toujours incarcéré à la prison de Mornaguia, près de Tunis, dans le cadre d’une affaire d’« évasion fiscale » et de « blanchiment d’argent ». Arrêté le 23 août sur une aire de péage d’autoroute, M. Karoui, patron de la chaîne Nessma TV aux méthodes très controversées, a vu – jusqu’à présent – ses demandes de libération rejetées. La chambre d’accusation de la cour d’appel (le 3 septembre), la Cour de cassation (le 13 septembre) et le juge d’instruction (le 19 septembre) se sont tous déclarés incompétents pour statuer sur ces requêtes de remise en liberté déposées par les avocats de M. Karoui

Toutefois, les choses pourraient évoluer cette semaine. Une nouvelle audience de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Tunis est prévue mercredi. Se démarquera-t-elle des jugements déjà rendus dans cette affaire ? L’inquiétude monte quant à la crédibilité du résultat d’un second tour entaché par l’impossibilité de M. Karoui de mener campagne. Dès lors, des pistes visant à sortir de l’impasse – tout en sauvant les apparences judiciaires – sont explorées. Selon une source proche d’une des parties, « des contacts politiques sont engagés afin de lever le verrou judiciaire ». Le parti islamo-conservateur Ennahda, partenaire de la coalition gouvernementale sortante, est « favorable » à ce que M. Karoui sorte de prison, sans pour autant l’« absoudre des soupçons qui pèsent sur lui », selon une source proche de la direction du parti. « Il faut que la justice tienne compte de la volonté populaire », ajoute cette source.

La grande difficulté, toutefois, sera de rapprocher les points de vue de Qalb Tounès (« Au cœur de la Tunisie »), le parti récemment créé par M. Karoui, et de Tahya Tounès (« Vive la Tunisie »), le parti du chef de gouvernement, Youssef Chahed, sévèrement battu au premier tour (7,38 %). Depuis son incarcération, M. Karoui n’a cessé de dénoncer la responsabilité de M. Chahed ainsi que celle d’Ennahda dans la décision de le jeter en prison afin de briser sa course électorale. Alors que les urnes ont parlé, une réconciliation est-elle envisageable entre les deux frères ennemis, MM. Karoui et Chahed, tous deux issus de Nidaa Tounès, la formation « moderniste » fondée par l’ex-chef de l’Etat Béji Caïd Essebssi (disparu fin juillet) ? Et qu’aurait à offrir M. Karoui en échange de sa libération ? « Il pourrait par exemple s’engager à ne pas déclencher de chasse aux sorcières s’il devait être élu », glisse une source proche de son parti. En gros, il ménagerait ceux-là mêmes qu’il accusait jusqu’à présent d’avoir inspiré la procédure judiciaire ayant conduit à son incarcération.

  • Quel est le rapport de forces ?

Les résultats du premier tour sanctionnent l’émergence d’un nouveau courant d’opinion autour de Kaïs Saïed, juriste expert en droit constitutionnel. Professant un conservatisme moral et religieux teinté de souverainisme, M. Saïed est adepte d’une refonte de l’Etat consacrant le pouvoir local comme source de la légitimité politique. Le candidat a fédéré un électorat idéologiquement hétéroclite dont la double caractéristique est la jeunesse et la volonté de retourner à l’inspiration de la révolution de 2011. A priori, les chances de M. Saïed de l’emporter au second tour sont sérieuses. M. Karoui, même s’il a capitalisé un vote populaire sensible à l’activisme humanitaire de sa fondation caritative, souffre d’un lourd déficit d’image en raison des accusations lancées contre ses méthodes expéditives et ses pratiques d’affaires sulfureuses.

Le calendrier électoral pourrait toutefois lui permettre de combler une partie de son handicap. Si le second tour avait lieu le 13 octobre, soit une semaine après les élections législatives du 6 octobre, M. Karoui pourrait bénéficier de la dynamique de ce scrutin pour le nouveau Parlement. Les listes de son parti, Qalb Tounès, sont créditées par les instituts de sondages d’intentions de vote élevées, tandis que Kaïs Saïed ne présente pas de liste sous ses propres couleurs. Une percée de Qalb Tounès à ces élections législatives, imposant de facto cette formation comme une pièce maîtresse d’une future coalition gouvernementale, pourrait alors susciter une vague de ralliements opportunistes autour des couleurs de Karoui pour le second tour de la présidentielle. Mais cet éventuel rebond sera-t-il suffisant pour résorber l’avantage pris par M. Saïed ?

Source: lemonde.fr