Accueil A la une Présidentielle ougandaise: le match dans le match!

Présidentielle ougandaise: le match dans le match!

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Une élection présidentielle sans suspense? (Ph. montage france24.com)

Ils étaient 18 millions d’Ougandais, appelés aux urnes ce 14 janvier, pour désigner leurs futurs président et députés. Malgré une campagne électorale houleuse et violente, et hormis quelques manquements, dont le retard observé à l’ouverture de nombre de bureaux de vote, les scrutins présidentiel et législatifs couplés, se sont déroulés dans le calme. C’était difficile qu’il en soit autrement, le déploiement massif des forces de l’ordre, promis par les autorités, ayant dû dissuader le plus téméraire des manifestants. Si les patrouilles se sont faites plus discrètes en ce jour d’élection, les bureaux de vote, eux, n’étaient pas moins placés sous haute sécurité. Kampala, a donc pu vivre des heures de vote tranquilles, même si les électeurs se sont mobilisés en grand nombre, pour être témoins actifs de ces élections, dont la présidentielle, qui alignait 11 candidats, constituait l’attraction inédite.

Dans un match dans le match, Yoweri Museveni, 76 ans, candidat à sa propre succession, était en confrontation directe avec Bobi Wine, 38 ans. De son vrai nom, Robert Kyagulanyi Ssetamu, le chanteur, acteur, homme d’affaires et député, était encore au berceau, il n’avait que 3 ans, lorsque son adversaire prenait le pouvoir en 1986, suite au renversement, en 1985, du président Milton Oboté. Un écart d’âge de 38 ans qui ne fait qu’épicer cette élection qui prend des couleurs d’une lutte de générations, Bobi Wine, étant une véritable icône de la jeunesse. Les Ougandais sont ainsi face au choix de la stabilité bâtie par Yoweri Museveni et d’une aventure nouvelle, portée par le jeune Bobi, à ses débuts sur la scène musicale, chanteur de reggae, musique de revendication et d’éveil de conscience par excellence.

Dans ce duel qui s’est déroulé, pratiquement à huis clos, avec le blocage, par les autorités ougandaises, de l’accès aux réseaux sociaux, et en l’absence de ces observateurs internationaux qui apposent le sceau de la crédibilité sur les élections en Afrique, le suspense sera le plus grand absent de ces scrutins. Yoweri Museveni, qui détient l’appareil étatique depuis 35 ans et s’est fabriqué une machine électorale bien huilée, est, sauf tsunami, parti pour se succéder à lui-même. Certes, comme le chantent ses partisans, le régime Museveni peut revendiquer un bilan économique flatteur, avec un taux de croissance qui a souvent grimpé jusqu’à 8%, selon les statistiques officielles. Mais, l’émiettement des voix provoqué par la petite myriade de candidats, sera, probablement, favorable au candidat le mieux solide, financièrement parlant, les élections, sous les tropiques, étant synonymes de vente et d’achat de voix.

La misère dans laquelle végète la majorité des Ougandais, leur ôte, en électeurs qui n’écoutent que le ventre, toute résistance au doux froissement de ces billets de banque qui circulent abondamment et que, eux, ne voient, d’habitude, qu’en rêve. De plus, l’oligarchie, dont la survie dépend largement du règne ad vitam aeternam de Yoweri Museveni, a dû descendre dans l’arène, pour convaincre les derniers électeurs encore dubitatifs, sur le meilleur choix, c’est-à-dire, la sienne. Dernier atout, et pas des moindres pour le président sortant, il peut compter sur des institutions aux ordres, dotées de calculettes spéciales qui lui accorderont, toujours, le pourcentage de voix nécessaires pour garder son fauteuil.

Poil à gratter du pouvoir en place, Bobi Wine a davantage promené son micro entre les murs de prison, où il est souvent «mis au vert», par un pouvoir qui a horreur de la contradiction, et surtout des dénonciations de la corruption endémique qui a cours en Ouganda. Même en pleine campagne électorale, le jeune présidentiable a été embastillé, le 18 novembre dernier, arrestation qui a généré des émeutes dans tout le pays. Sa grande popularité n’est plus à mettre en doute, mais les foules soulevées lors des meetings électoraux, ne sont pas, forcément, pour le candidat, une base électorale, car, à tous les coups, ce sont les mêmes personnes qui scandent «Bobi, Bobi», qui répondent au tocsin des autres candidats. Pire, le plus grand nombre n’est même pas détenteur de carte d’électeur pour faire pencher la balance du côté de leur champion.

En français, «Wine», signifiant «vin», c’est certain qu’avec le temps, comme le doux nectar, le «président du ghetto» se bonifiera avec le temps. Mais pour l’instant, et malheureusement au détriment de l’alternance démocratique, les urnes ougandaises pourraient bien parler, une fois de plus, pour Yoweri Museveni, président depuis 35 ans.

Par Wakat Séra