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Procès Sankara: la bague de mariage du président vendue à 50 000 F CFA

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Le leader de la Révolution burkinabè, le capitaine Noël Isidore Thomas Sankara

La chambre de jugement du Tribunal militaire de Ouagadougou a écouté, le jeudi 16 décembre 2021, huit témoins en plus du commandant de la 4e région militaire au moment des événements du 15 octobre 1987, le colonel à la retraite Louis Johanny Yaméogo. Parmi les personnes auditionnées il y avait celles qui ont enlevé les corps des infortunés, ceux qui ont creusé leurs tombes et les enterrer. Selon l’une d’entre elles, la bague de mariage du président Thomas Sankara a été vendue, après, à 50 000 F CFA.

Le 15 octobre 1987, au soir, des tirs venant du Conseil de l’Entente ont été entendus. Au fil du temps les choses se précisaient, et c’était un coup d’Etat dans lequel a péri le président Thomas Sankara et douze autres personnes. Un coup d’Etat qui a porté au pouvoir le capitaine Blaise Compaoré. Dans la même nuit «20 prisonniers» de la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO) dont les geôliers étaient des éléments du Centre national d’entrainement commando (CNEC), ont été convoyés pour creuser les tombes et procéder à l’enterrement de ceux-ci.

Parmi ces prisonniers, il y avait Yamba Malick Sawadogo et Kouman Ilboudo. Ils ont été tous auditionnés ce jeudi devant la Chambre de jugement en charge du dossier de l’assassinat de Sankara et de ses douze compagnons.

Selon leurs dépositions, c’est autour de 21h (GMT) qu’ils sont arrivés au cimetière de Dagnoen et l’enterrement est fini autour de 4h du matin. Les prisonniers avaient une première fois creusé dix tombes et c’est au moment de l’enterrement qu’ils se sont rendus compte qu’il y avait 13 corps au total. «On a creusé les trois autres tombes» dont l’une a servi d’enterrer le président, a déclaré le témoin Sawadogo, informant que des écriteaux ont été mis sur chaque tombe.

Des prisonniers s’emparent des biens de Sankara

Quant à M. Ilboudo, il a confié que quand ils voulaient enterrer Sankara, il a remarqué qu’il portait un survêtement de couleur rouge et il avait le poignet fermé et ils auraient redressé le bras en l’attachant avec son corps à l’aide du lacet de son survêtement avant de pouvoir l’enterrer. Dans sa déposition, il a fait savoir que des prisonniers dont lui se sont emparés des biens qu’il (le président) avait sur lui : bague, chaussures. «J’ai enlevé la bague» et un autre s’est emparé des chaussures, a dit le témoin. Il a informé qu’ils ont vendu la bague à 50 000 F CFA et se sont partagés l’argent sans Yamba Malick Sawadogo. Quand le régisseur de la MACO a appris cela il aurait «repris la bague» avec celui qui l’a achetée et les a punis, en les «torturant».

Le soldat de 1re classe Sacré Sinaré, en service au Conseil de l’Entente, qui serait monté à son poste le 15 octobre 1987 dans la soirée après les tirs fait partie de ceux qui ont enlevé les corps pour mettre dans les véhicules qui devaient les amener au cimetière. Il a également été appelé à la barre pour dire ce qu’il sait de l’affaire.

Bamory Ouattara et Adama Nacro ont été tous des éléments de l’Escadron de transport et d’intervention rapide (ETIR). Ils étaient tous dans leur base à Kamboinsin quand au moment des tirs au Conseil de l’Entente. Avec M. Ouattara, qui ne se souvient plus du grade qu’il avait au moment des faits, la Chambre de jugement n’a pas tiré grand-chose de sa déposition. L’information qu’il a donnée aux juges est qu’ils ont été mis en alerte et envoyé prendre position à Pabré en attendant d’éventuelle instruction.

Une mission d’information et d’élimination de l’assassin de Kouama

Quant au capitaine à la retraite Adama Nacro, Adjudant au moment des faits, il a fait savoir que 72 heures après, le régisseur de la MACO, Karim Tapsoba est venu leur dire qu’il a été envoyé pour enlever un corps et c’est au domicile de leur chef de corps Michel Kouama que M. Tapsoba s’est dirigé. «Arrivé, il a fait sortir une clé de sa poche et a ouvert la porte de Kouama. Quand on est rentrés, on a trouvé le chef de corps mort avec une balle dans la tête», a dit le témoin, affirmant qu’il a été enlevé et enterré. Il déclare que dès le lendemain les rumeurs disaient que c’est Gaspard Somé, un autre élément de l’ETIR, qui l’a tué.

Appris la mort de Michel Kouama, le Bataillon d’intervention aéroportée (BIA) de Boukary Kaboré dit le Lion, a envoyé une mission d’information et d’élimination du coupable dès le 17 octobre 1987. Des personnes envoyées pour cette mission figurait Réné Yoda, caporal au moment des faits. «On est arrivés et on n’a pas trouvé Gaspard (Somé) chez lui. Il était déjà sur le terrain», a laissé entendre le témoin. Il a été arrêté le 26 octobre 1987 à Bingo et amené au Conseil de l’Entente. Il aurait pu s’échapper grâce à un ami, Hamidou Maïga chauffeur de Blaise Compaoré, et il s’est exilé au Ghana en passant par Tenkodogo.

Il faut noter que le BIA est le bataillon qui s’est mobilisé dès les premières heures dans le but de monter sur Ouagadougou. «C’est Boukary Kaboré dit Le Lion qui est venu nous désarmer en disant que le président est mort ce n’est pas la peine de prendre des armes car lui ne veut pas être président. Voilà pourquoi on n’est pas venu à Ouaga», a-t-il expliqué.

Au cours de cette audience, il a été entendu aussi le témoignage de Karim Sankara, sergent et en service à l’intendant militaire au moment des faits. Il vient également du même village que Thomas Sankara. Il a été mis aux arrêts dès le 17 octobre 1987 et libéré le 23 août 1989. Il affirme qu’après il a pris la fuite pour s’exiler d’abord au Mali puis en Côte d’Ivoire car à partir du 3 septembre 1989, il était encore recherché pour être arrêté parce qu’on le soupçonnait de vouloir faire un coup d’Etat.

De la poudre et la viande rouge pour sauver Sankara

Un autre témoin qui est passé à la barre ce jeudi 16 décembre 2021, est l’administrateur civil à la retraite Fidèle Kientega. Il était en service au cabinet du président Thomas Sankara. Le 15 octobre 1987, il était allé hors de Ouagadougou pour voir une voyante car lui et l’aide de camp s’inquiétait de ce qui pouvait arriver au président. Cette vielle leur avait donné un habit traditionnel avec des amulettes pour Sankara, qui n’a pas voulu le prendre. «Quand je suis arrivé, la vielle a dit qu’elle nous a avertis et nous ne l’avons pas écoutée, maintenant que c’est trop tard c’est là que nous venons. Elle m’a demandé si je peux retourner à Ouaga avant 15h, j’ai dit oui. Elle m’a donné une poudre et je devais aller chercher de la viande rouge qu’on devait utiliser avec la poudre. Elle avait dit de donner le tout à Sankara, il va mettre ça dans sa bouche et l’enlever jeter aux chiens. Je lui ai dit qu’il n’acceptera jamais faire ça et elle m’a dit, dans ce cas de mettre cela sur sa tête et jeter aux chiens après», a relaté M. Kientega qui dit qu’à son retour il a voulu se rafraîchir la gorge à Kaya et il s’est endormi et quand il s’est réveillé il ne savait pas ce qui lui arrivait. Il aurait demandé s’il y avait une route de Kaya qui part directement chez lui au village et il y est parti. C’est de là-bas qu’il apprendra la mort de Sankara.

L’audience a été suspendue et elle reprendra demain vendredi 17 décembre 2021 avec la poursuite de l’audition des témoins.

Par Daouda ZONGO