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RD Congo–Rwanda: la gifle de Kinshasa

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Paul Kagame (à gauche) et Félix Tshisekedi

«Si vis pacem, par bellum», autrement dit  «qui veut la paix, prépare la guerre». Cette vieille locution latine n’a jamais perdu de son actualité. Depuis vingt ans, la République Démocratique du Congo (RDC) pensait, à tort, pouvoir gagner la paix avec le Rwanda voisin, disciple d’irrédentisme, d’intention d’annexion de terres d’autrui. Sans devoir lui montrer un jour les biceps. C’est maintenant chose faite. La gifle diplomatique infligée à Kigali ces jours-ci, à grand renfort de manifestations du peuple congolais à Bukavu et à Kinshasa, a atteint la coche. Surtout, sur le plan psychologique.

C’est vrai que le M23, un mouvement de rébellion, réputé congolais par Kigali, continue de se battre dans les collines du Masisi (Nord-Kivu). Mais c’est, désormais, avec le moral dans les chaussettes. Car, un tel tournant dans les relations hypocrites entre les deux pays frontaliers ne peut manquer d’avoir des effets à plusieurs niveaux. On en fait facilement le constat: si au sommet de l’Etat rwandais, on multiplie des déclarations va-t’en guerre, en réaction à la nouvelle posture de Kinshasa, qu’en serait-il du simple serviteur–en l’occurrence, le M23-, sans rien d’autre pour-soi, que le fait de recevoir des ordres de la part du maître de Kigali?

Ce chahut a fait son entrée jusque dans les églises, où on prêche, on dirait, la «croix, d’un côté, et le poignard, de l’autre». Ainsi, la Maison de Dieu au Rwanda joue-t-elle, curieusement, le rôle d’aiguillon, en invitant les Rwandais à «répondre à la machette par la machette».

Minembwe: structure d’une base militaire

Il est oiseux de revenir sur l’historique de cette situation dramatique, qui est un fait de notoriété publique, par ailleurs largement documenté aussi bien par les institutions de l’Onu que par nombre d’Organisations non gouvernementales. Retenons en passant que le M23 est la dernière métamorphose, en date, des rébellions érigées contre le gouvernement congolais. Depuis vingt ans, la terre brûle, à l’est du pays, surtout à la frontière avec le Rwanda. Et pour cause. Si Pierre Boisselet, analyste du Groupe d’étude sur le Congo, réduit cette cause à «la contestation sur la marginalisation de la minorité tutsi», il passe sous silence l’irrédentisme sur les terres congolaises du Kivu, avoué publiquement à maintes occasions par le Rwanda. Ce n’est pas tout. Les deux tiers de minerais produits au Congo, dont le coltan, ce métal stratégique de pointe, prisé à travers le monde, finissent leur trajectoire au Rwanda.

Qu’on n’oublie pas non plus que la question des rébellions rwandophones a toujours eu une caractéristique évolutive, depuis son émergence avec Laurent Kabila. Il ne se fait rien, depuis, sans la volonté de Kigali de chercher à gagner un nouveau pas vers son objectif majeur: l’annexion du Kivu. Ainsi de la «fameuse commune» de Minembwe, par exemple, passée à la trappe dans l’opinion publique congolaise. En réalité, le statut de cette entité prépare à la structure d’une base militaire, en projection d’une guerre d’ampleur avec la RD Congo. Distraits, les Congolais n’y réfléchissent point, se livrant à chanter, et à chanter à tue-tête comme la cigale de la fable. Oh! Et même à danser la rumba!

C’est sur ces points majeurs, avec leurs déclinaisons, qu’il y a débat. Un jour, un professeur sénégalais, sur les antennes de RFI, s’était insurgé contre le fait qu’un pays-pour la première fois dans l’Histoire-, se mette sans vergogne à «prendre» les richesses d’un pays voisin pour construire le sien. Et cela en temps de paix, encore que celle-ci soit toute relative dans le contexte de deux pays.

Les Congolais protestent contre le Rwanda

Cela étant, il est peu de dire que c’est sur cette même lancée que le M23 a fait sa réapparition. On sait qu’après sa défaite en novembre 2013, le groupe s’était dispersé, une partie s’étant repliée en Ouganda, tandis que ses chefs, dont Sultani Makenga, avaient déposé leurs valises à Kigali. Alors, questions. Où et comment ce mouvement s’était-il reconstitué? Qui en est le parrain, autant pourvu de moyens, puisque la bande est dotée d’un armement adéquat pour engager des batailles de grande envergure, comme cela est constaté sur le terrain? Quels sont ses objectifs, à court terme? Quel est le point des relations actuellement entre les présidents Paul Kagame et Félix Tshisekedi? Leur «fraternité» de circonstance s’était-elle rependue dans les quatre vents?

Un long questionnement s’il en est. Dont les réponses sont connues.  Quant à savoir si le courant entre les deux personnalités passe bien, d’aucuns parmi les analystes supposent que Tshisekedi se serait résolu de tourner casaque, en pensant que dans tous les cas, le secours ne lui viendrait ni de Kigali, ni de Kampala, ni non plus de Gitega (Burundi). En fait, oser montrer les muscles, à propos du M23, comme il l’a fait, publiquement, corrobore cette hypothèse. Le fait également de notifier le tout-puissant ambassadeur du Rwanda pour explication, n’est pas anodin. C’est nouveau! A moins que cela ne verse dans «la stratégie d’ambiguïtés», spécialité diplomatique destinée à désorienter les opinions.

Un deuxième fait nouveau est celui lié au comportement du peuple congolais. Pour la première fois, celui-ci s’est mobilisé pour protester avec véhémence contre les agissements du gouvernement rwandais. A l’examen, cette sortie n’était pas uniquement destinée à Kigali, mais également à l’attention du régime en place à Kinshasa, pour sa mollesse, face surtout à l’attitude condescendante des dirigeants rwandais vis-à-vis du peuple congolais. «Le Rwanda n’a pas d’espace pour la guerre, nous la ferons au Congo», a récemment déclaré Kagame. Comme pour dire, en clair, que le Rwanda est militairement plus fort que le Congo, qu’il l’écrasera sans coup férir sur son propre territoire. C’est faire injure à toute une nation.

Kagame au Kivu comme Poutine en Ukraine?

En tout état de cause, l’ensemble des gestes posés par le peuple congolais, vis-à-vis du Rwanda, constitue «une première». C’est un signe de «y en a marre». Quid alors de la posture au sommet de l’Etat congolais? La question est à ce point intéressante qu’il n’est pas inutile de scruter le vrai jeu du président Tshisekedi. S’il est sincère, c’est tant mieux, parce que cela ne pourra que bénéficier au peuple; s’il joue au plus fin, en rapport avec Kigali, pour repousser à plus tard les élections générales prévues fin 2023,  ce sera à ses risques et périls. Car, il trouvera le peuple sur son chemin. Au fait, qu’est-ce que le décalage des élections vient y faire? Tshisekedi aura à prolonger son séjour, en qualité de président de la République, tandis qu’il reviendra à Kagame, à court terme, de continuer à faire main basse sur le coltan, notamment. C’est clair pour les deux cas.

Reste une dernière question, pour terminer. Kagame penserait-t-il déjà à s’y prendre, pour le Kivu, à la manière de Poutine en Ukraine? A quelques points de différence, les deux situations sont similaires. Or, en lisant les pancartes arborées par les manifestants congolais, à Kinshasa et à Bukavu, la capitale de la province du Sud-Kivu, on a l’impression de se trouver devant une contradiction. On y a notamment lu: «Poutine vient à notre secours». Dans l’entendement des Congolais, ils portent plutôt un Poutine aux nues, puisqu’il combat l’Occident, ami de Kagame. Or, Kagame n’est pas l’ami du peuple congolais. Donc, «l’ennemi de notre ennemi est notre ami». Simple !

Simple également la leçon à tirer, par le Rwanda; il y a là invitation à lui faire comprendre que les temps sont révolus où la confusion politique congolaise lui était un gain; que le chemin du mensonge est arrivé à un dernier cul de sac. Quant au régime de Tshisekedi à l’agonie, le thème est propre à lui faire quitter «l’enfantillage politique»; qu’il comprenne qu’en politique comme dans tous les autres domaines de la vie, il faut s’affranchir de la notion de «tutelle»; que la paix est au bout du fusil… ou par une bonne gifle diplomatique.

A bon entendeur salut!

Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France