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RD Congo: sales temps à Kinshasa

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Le président congolais, Félix Tshisekedi (Ph. d'archives)

On n’a jamais vécu à Kinshasa, la capitale, des temps politiques aussi maussades que maintenant. A l’exception des années à l’aube de l’indépendance, 1961-1962, où on enlevait les partisans de Lumumba, en pleine journée. Et, ils disparaissaient pour l’éternité.

Depuis quelques jours, dans cette ville, on assiste à un climat surréaliste. On parle de délations, d’arrestations et d’enlèvements. Un citoyen dépose une plainte, en bonne et due forme, contre l’ancien président Joseph Kabila. Inédit! Un autre surgit de l’ombre et s’autoproclame «vrai fils» du M’Zée Laurent Kabila, assassiné en 2001. Et tutti quanti. On dirait qu’une bombe à fragmentation a été lâchée sur la ville, et dont les éclats se propagent à toute vitesse, dans toutes les directions.

Tout cela, mis bout à bout, en l’espace de quelque quatre semaines (du 9 avril au 15 mai), ne constitue pas moins une véritable odyssée.

Au départ, «l’Affaire Kamerhe». Le puissant directeur de cabinet du président Felix Tshisekedi est interpellé, mis immédiatement aux arrêts, à la prison de Makala, le 9 avril. L’événement suscite des grands cris de joie, du moins, pour une grande partie de la population. L’intéressé est aujourd’hui jugé pour détournements supposés de deniers publics.

Un directeur de cabinet du président en exercice, à la barre, en RD Congo, réputée capitale mondiale de la corruption, confine à l’hallucination!

Bien plus, et comme à l’image des poupées russes, on a l’impression qu’une affaire en cachait une autre. Les unes aussi sales que les autres. A la différence que les poupées russes, elles, sont propres.

Entre deux tourtereaux

En voici la succession, somme toute infernale: Kamerhe en prison; l’évêque Mukuna, pourfendeur virulent de Joseph Kabila, porte plainte contre celui-ci, l’accusant d’assassinats et de pillages économiques; il est à son tour accusé de viol et autres délits, lui valant un séjour en prison; «l’Affaire Thambwe Mwamba-Madame Goya Bijou», au niveau du Sénat – une affaire aux accents sentimentaux entre deux tourtereaux – éclate et éclabousse l’institution. Et, enfin, la sensationnelle sortie d’Ibrahim Kabila. Après son enlèvement en pleine rue, le 15 mai, faisant aviver les tristes souvenirs de 1961-1962.

Auparavant, ce dernier s’est targué, sur le plateau d’une télévision de Kinshasa, d’être le vrai fils de Laurent Désiré Kabila. Sous-entendu que Joseph Kabila n’entrait pas dans le cadre de filiation avec le M’Zée. Il l’a dit par ailleurs avec un tact admirable. Intelligent cet Ibrahim, qui, de ce fait, a écarté toute velléité de procès judiciaire en diffamation à engager contre lui!

Cependant, chaque affaire, considérée séparément, présente sa propre part de gravité. «L’Affaire Kamerhe» est un procès dans l’ordre normal des choses: l’Etat congolais recherche l’argent des contribuables (plusieurs centaines de millions en dollars) volatilisé de ses caisses. C’est grave. L’ancien chef de cabinet présidentiel est supposé en être le responsable numéro un.

On en est, donc, au début d’un processus aux contours politiques sinueux. Et risqués. Avec mille et une interrogations, à la clef. Quel serait l’avenir de la coalition (sans Kamerhe) entre le FCC de l’ancien «raïs» Kabila et le CACH, la plate-forme politique mise en œuvre par Tshisekedi et le même Kamerhe? Kabila et Tshisekedi envisageraient-ils de définir une autre «formule illusoire», susceptible du moins d’endormir, sinon de diviser le peuple? La colère qui monte dans les rues de Kinshasa finirait-elle par retomber en pluies bienfaisantes pour le régime en place – comme c’est souvent le cas -, ou en grêles de feu contre lui?

Quant au procès du pasteur Mukuna, on sent parfaitement le parfum complotiste d’ordre politique. De cette politique, assise depuis plus de 18 ans sur la base du mensonge. Il est vrai que l’ecclésiastique congolais n’a rien du défunt pasteur américain Luther King, ni de l’archevêque sud-africain Desmond Tutu, mais il s’est saisi du couteau suisse, pour user de l’une de ses plusieurs autres lames en réserve. Comme ses deux illustres coreligionnaires, il a cherché, à sa manière, à replonger l’homme dans ses valeurs d’origine: dont principalement le droit à la vie, digne de ce nom.

Trancher dans le vif

Plus que tous les autres acteurs politiques, du moment, son appel à l’éveil de la conscience nationale et à la nécessité d’écarter Kabila et son clan du cercle du pouvoir décisionnel a fait mouche.

Le peuple, fortement divisé, commençait à émettre sur la même longueur d’ondes. A l’interne comme au niveau de la diaspora congolaise, l’unanimité sur l’appel du pasteur pointait à l’horizon. Un signe dangereux pour la survie du régime Kabila, dissimulé sous le visage complice de Tshisekedi. Il fallait, donc, trancher dans le vif: couper les ailes, avant qu’il ne vole, à ce mouvement porteur de destruction.

Le Shah d’Iran n’ayant pas su le faire, à temps, en 1981, fut emporté par la déferlante des messages contenus dans de simples «bandes cassettes». Celles-ci étaient préparées et expédiées au pays par l’ayatollah Khamenei, en exil en France.

Enfin, la manifestation époustouflante d’Ibrahim Kabila. Il a trente-deux ans. Marié et père de famille. Commerçant de son état. «Depuis la mort du M’Zée Kabila, en 2001, il vit à Lubumbashi, avec sa tante, la sœur du président assassiné», assure-t-il. Il cite de mémoire tous les enfants de son défunt père, ses frères et ses sœurs. A l’exception des trois d’entre eux: Kabila Joseph, Kabila Jaynet et Kabila Zoé.

Coup de tonnerre dans un ciel bleu, puisque ce n’est pas pour la première fois que cela se dit en public! Cependant, il y a un piquant dans la déclaration d’Ibrahim, ce qu’il exige le passage au test ADN pour tous ceux-là qui prétendent être les enfants de Laurent Kabila. «Mettons fin aux mythes autour de cette question», s’est-il écrié.

Le bal est donc de nouveau ouvert. Mais la sarabande s’appuie sur une autre cadence, autant que les danseurs sont d’un autre genre: les «enfants» du défunt. Autrement dit, Ibrahim et ses acolytes, résidant à Lubumbashi, à Kampala (Ouganda) et à Nairobi (Kenya). Il les a tous cités.

«Les mains cachées»

Pour faire bref, l’essentiel repose sur le procès Kamerhe. Qui perd déjà en intensité. On parle même des tractations en sous-main, pour son acquittement pur et simple. On évoque à ce sujet l’attitude mi-figue mi-raisin de Tshisekedi, qui ne veut se décider sur le licenciement de son allié et directeur de son cabinet. Kamerhe, dehors? «L’impossible n’est pas congolais», dit-on. En matière d’entourloupes, bien entendu.

Puis, vient l’idée d’approchement, d’ordre purement abstrait, entre Ibrahim Kabila et le pasteur Mukuna. Peut-on y voir un lien? Ibrahim dit clairement soutenir l’homme de Dieu, qui, pour lui, «cherche à sauver le Congo». Il s’oppose ainsi à Joseph Kabila qu’il refuse, dans son interview, d’appeler «frère». Pas une seule fois, il n’a prononcé ce mot, à l’égard de Joseph. Quid?

A Kinshasa, on épilogue: «Les mains cachées se cherchent». Celles de Kabila, pour avoir frappé le pasteur Mukuna, et celles des patriotes congolais, pour soutenir Ibrahim, la star. Le journaliste qui l’a accepté sur le plateau de sa télévision est ovationné par des foules. Signe qu’Ibrahim et le pasteur, en ayant un ennemi commun, en l’occurrence Joseph Kabila, sont devenus ipso facto des amis. Il y a un lien… invisible. «L’ennemi de mon ennemi est mon ami», l’antienne est connue.

A tout prendre, ce récit nous plonge dans un imbroglio total. Avec cette question récurrente et anxiogène: «Où va le Congo?»

Les jours, les mois qui viennent nous en diront plus. En attendant, la valeur du franc congolais, en chute libre, est en passe de mordre la poussière. Et de la faire abondamment avaler au peuple. Il y a assurément craquement dans les fondements du régime en place. Celui-ci n’a jamais été autant perceptible que maintenant.

Pendant ce temps, le Covid-19 continue son bonhomme de chemin. En tout cas, il ne semble pas être contenu (le nombre des morts allant chaque jour augmentant). Le bilan de cette maladie ajoutera certainement à l’agonie du monstre.

Par Jean-Jules Lema Landu, journaliste congolais, réfugié en France