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Afghanistan: La Pax americana à l’épreuve

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Des voitures endommagées à la suite de l'attentat-suicide à Kaboul, en Afghanistan, le 5 septembre 2019. Reshad Sharifi via REUTERS (Photo d'archives)

Lorsque l’Administration Obama a assisté impassive à l’émergence et à la prise de contrôle de l’Irak et de la Syrie par Daesh, beaucoup ont perçu la matérialisation de la nouvelle stratégie américaine consistant à ne pas mettre en avant leur armée pour rétablir ou maintenir un quelconque ordre politique hors de leurs frontières. S’ils ont finalement concédé à prendre la tête d’une coalition internationale pour détruire Daesh, c’est uniquement parce que ce dernier était devenu une menace directe pour l’Europe et leurs proxys régionaux. Cette posture était de mise depuis l’épisode de l’opération « restore hope » en Somalie qui avait tourné au cauchemar en 1993 avec les images de corps de soldats américains dénudés et trainés dans les rues de Mogadiscio. Le Président Clinton avait alors défini de nouveaux critères d’interventions militaires dans le monde qui ne mettrait pas en danger la vie des soldats américains. Les interventions au sol de soldats deviennent exceptionnelles pendant que les frappes aériennes sont plébiscitées. Cette stratégie tire sa légitimité de la posture de l’opinion publique américaine. Selon le Professeur Joseph Nye : « Les Américains constatent qu’il se passe des choses terribles dans le monde, et se disent qu’il faut faire quelque chose, mais ils ne sont pas sûrs du prix qu’ils sont prêts à payer ».

En matière de prix à payer, ils ont été suffisamment servis lors de la guerre menée par leurs troupes en Irak entre mars 2003 et décembre 2011. En effet, une étude universitaire américaine estime que la guerre a coûté 1.9922 milliards de dollars mobilisés en grande partie par des emprunts dont les intérêts représentent 444 milliards de dollars. Quant au coût humain : 200.000 irakiens et 4500 soldats américains tués et plus de 32.000 G I blessés avec souvent des séquelles et traumatismes psychologiques et physiques irréversibles.

Face aux manifestations massives pour dénoncer la guerre en Irak sous Georges Bush, Obama est élu en 2008 sur la promesse de ramener les boys chez eux. Ce retrait effectif en fin 2011, mettra en lumière l’autre guerre en Afghanistan à propos duquel Obama sera amené à se déterminer également. En mai 2014 il annonce le passage de 33.000 à 9.800 le nombre de soldats présents dans le pays avant un retrait complet en 2016. Les réalités du terrain, le forcent à revenir sur ce calendrier et au maintien de 9800 hommes sur place en 2016 avant une réduction à 5500 après 2017. Trump qui avait aussi promis un retrait des troupes lors de sa campagne, revoit son projet en août 2017 et ordonne même un renforcement de la présence américaine avec l’envoie de 4000 soldats supplémentaires. Le bilan pour les américains s’élevait alors à 2400 soldats tués et 20.000 blessés et des investissements pour la reconstruction du pays de l’ordre de 110 milliards d’euros, soit trois plans Marshall selon les commentateurs. Cependant avant de quitter la Maison Blanche, Trump annonce la réduction à 2500 le nombre de soldats américains tandis que son successeur envisage un retrait complet au 31 août 2021, à l’exception de 650 soldats pour sécuriser l’Ambassade américaine à Kaboul. Le Président Biden à travers cette décision semble s’être fait à l’idée qu’il est désormais impossible pour les Etats-Unis de fonder l’Histoire dans ce pays sans y payer le prix fort. Toute chose qui explique que les Etats-Unis entament des négociations directes avec les Talibans sans y associer le gouvernement afghan. Cette tâche a été confiée à Zalmay Khalilzad, ancien Ambassadeur à l’ONU et envoyé spécial en Afghanistan de Trump. Le 27 avril 2021 ce dernier expose au Congrès les conditions du retrait des troupes américaines. Le plan prévoyait notamment un partage de pouvoir 50/50 entre le gouvernement et les talibans et la création d’un Conseil Suprême avec les prérogatives de Cour Constitutionnelle, dirigé par les talibans jour statuer sur les lois et pratiques en vigueur dans le pays. Ces propositions avaient été rejetées par le Président Afghan qui a fini par les accepter au moment où il était trop tard pour lui. La détermination des Etats-Unis a arrivé à un accord avec les talibans explique en partie la consigne donnée à l’armée afghane d’opérer un retrait tactique après le lancement de l’offensive des talibans au printemps. Ces derniers se sont donc hissés au pouvoir sans véritable résistance de l’armée gouvernementale.

Sentant les choses venir, certaines puissances comme la Chine avaient pris langue ces dernières semaines avec les Talibans. La Russie qui ne compte pas évacuer son Ambassade à Kaboul, annonce son intention de travailler de manière constructive avec les nouvelles autorités afghanes.

Aujourd’hui, on est en droit de se demander si les Etats-Unis n’ont pas décidé de réinstaller au pouvoir les Talibans 20 ans après les en avoir chassé pour poursuivre un agenda caché ou s’il s’agit simplement comme le disait un éditorialiste du Washington post de la posture pragmatique : « d’une nation qui a atteint un niveau sans précédent de prospérité et de puissance militaire mais qui ne veut pas, et ne peut pas, utiliser cette puissance à volonté pour imposer au monde une pax americana ».

Après donc la Syrie, une autre puissance que ses Etats-Unis parviendra-t-elle à installer sa paix en Afghanistan ? Wait an See !

Moritié CAMARA
Professeur Titulaire d’Histoire des Relations Internationales
Asriesa2012@gmail.com