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Algérie et Soudan: comment gérer la chute d’un régime autoritaire?

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La rue est venue à bout de Bouteflika mais pas encore de son système (Ph. sudouest.fr)

C’est une question qui se pose rarement. Or elle est importante pour éviter une crise sociopolitique, qui peut perdurer dans le temps, laquelle peut bénéficier à des éléments du régime en place. L’émotion l’emporte sur la rationalisation des actions pour préparer un régime après la chute de celui qu’on critique de tous les mots, et avec raison.

Les manifestations à Alger en Algérie et à Khartoum au Soudan ont été des événements importants non seulement pour les peuples de ces deux pays, mais pour d’autres peuples africains encore soumis à la dictature de leurs dirigeants. Elles ont abouti à la fin de deux régimes personnels: ceux de Bouteflika et d’Omar El- Bachir dont on doutait de la fin de règne d’une manière brutale et précipitée. Les Algériens et la diaspora algérienne installée en France ont montré leur force pour arriver à leur objectif: l’opposition à la candidature de Bouteflika pour un 5è mandat à la tête du pays. Mais les Algériens sont allés dans leurs revendications: le rejet des personnages de l’entourage d’Abdelaziz Bouteflika, le groupe qu’on a appelé les 3 B: Abdelkader Bensalah (président du Conseil de la Nation), Tayeb Balaiz (président du Conseil Constitutionnel) et Noureddine Bedoui (ministre de l’Intérieur avant d’être nommé Premier ministre en mars 2019).

Dans tout changement, ce n’est pas comment mettre fin au régime qui soulève des questions, mais plutôt comment gérer la fin d’un règne personnel ou d’un clan. En cela les événements en Algérie et au Soudan rappellent la transition des régimes autoritaires de partis uniques et la mise en place d’un nouveau régime, que les africanistes se sont précipités à qualifier de démocratique.

Ces deux événements interviennent dans deux pays à majorité musulmane, l’un de l’Afrique du Nord et l’autre de l’Afrique subsaharienne. On peut noter d’une part des ressemblances et des différences, tant par les acteurs que par la gestion de la fin du régime politique. Mais est-ce qu’on assiste à la fin d’un régime ou la disparition d’un personnage et de son clan de la scène politique nationale ? Si un régime autoritaire tourne autour d’un personnage, il s’appuie sur des membres, coptés par le clan qui contrôle en dernière instance le système.

Ressemblances et différences

Il y a plusieurs éléments de ressemblance. D’abord, la forme des protestations: des manifestations massives dans les grandes et moyennes villes d’Algérie et dans la capitale soudanaise, Khartoum. Les citoyens n’ont pas choisi la violence, l’affrontement avec les forces de l’ordre. Ensuite l’objectif: la fin d’un règne personnel. Les jeunes, qui manifestaient n’ont jamais vécu l’alternance au sommet de l’Etat. Ce sont des jeunes connectés aux réseaux sociaux, soumis à l’influence d’autres cultures… Mais on trouvait aussi d’autres générations.

Enfin, s’agissant des deux principaux personnages des régimes algérien et soudanais, le premier, l’Algérien, a été élu par le peuple à plusieurs reprises, même s’il y a eu des manipulations alors que le Soudanais était arrivé au pouvoir par un coup d’Etat en 1989. C’est le régime politique qui a duré le plus au Soudan. Faut-il le rappeler, Abdelaziz Bouteflika a instauré la stabilité en 1999.

Les manifestants ont surmonté la peur de leurs parents qui ont dû supporter la violence des régimes.

Les régimes autoritaires, qui reposent sur une personne, ont deux moments importants. Le premier est la prise du pouvoir central, donc le début de son installation; il exerce alors une violence virulente contre toute opposition, pacifique ou armée. Et l’autre temps, c’est la fin du règne où on note une grande faiblesse. Une faiblesse qui résulte parfois des luttes internes.

On a pu noter dans les deux pays, l’Algérie et le Soudan, la passivité des forces de l’armée. La police comme l’armée ne sont pas intervenues en Algérie alors qu’au Soudan, la police a tiré sur les manifestants et il y a eu des morts. L’armée s’est démarquée de l’action policière. Elle a même appuyé les manifestants contre la police.

Quant aux différences, il faut encore observer la méthode. Les manifestants algériens ont suivi la méthode des Gilets Jaunes français: des grandes manifestations hebdomadaires alors que les Soudanais ont manifesté dans différentes villes, plusieurs jours dans la semaine, avant de se concentrer devant le Quartier Général de l’armée.

En Algérie, il y n’a pas eu de porte-parole des organisateurs des manifestations. Plusieurs groupes de jeunes et moins jeunes ont librement participé à ces manifestations contre d’abord le 5è mandat de Bouteflika et ensuite contre le maintien du système «bouteflikien», en rejetant la récupération de cette vague de protestations par des proches du système. Au Soudan par contre, les manifestants ont eu l’appui de l’Association des Professionnels Soudanais, qui s’est érigé en fer de lance de la contestation.

Dans beaucoup de pays d’Afrique subsaharienne, les transitions ont échoué

Ces manifestations rappellent celles des années 1990 dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, qualifiées assez rapidement de transition vers un régime démocratique. Or on confond souvent deux processus complexes, d’une part de fin de régime autoritaire et d’autre part de mise en place d’un nouveau régime par des réformes constitutionnelles et politiques. Dans beaucoup de pays d’Afrique subsaharienne, les transitions ont échoué. Elles n’ont pas donné lieu à des institutions fortes, mais des personnalités fortes qui ont concentré le pouvoir entre leurs mains. Il y a eu un désenchantement sur les élections libres et pluralistes à la fin du second mandat présidentiel. Et on a assisté à un retour des régimes autoritaires où il n’y a plus d’alternance.

On peut dire que l’armée a joué un rôle important dans la fin du règne des présidents algérien et soudanais par sa prise de position. En Algérie, c’est le Chef d’Etat-major qui a précipité la sortie d’Abdelaziz Bouteflika en invoquant l’article 102 de la constitution, qui prévoit la destitution du président «pour cause de maladie grave et durable, (et qui) se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions». Et depuis son Accident vasculaire cardiaque (AVC) en 2014, Bouteflika n’exerçait plus réellement ses fonctions. Au Soudan également, Omar El-Béchir a été destitué par l’armée.

Dans de tels contextes, le moment le plus dur à affronter, c’est la gestion de l’après régime ou mieux en phase terminale. Comment gérer le pays pour éviter une crise politique et sociale grave?

 

Capacité et ressources pour gérer l’après-régime

L’après-régime n’est pas dans tous les cas un moment de vide institutionnel et politique dans toutes les situations. Bien sûr, aux yeux de l’opinion publique, le régime n’a plus de légitimité. Cependant des institutions comme l’Armée et la Police ont le respect de cette opinion qui a renversé le pouvoir, surtout quand ces institutions se sont démarquées des responsables politiques. Le respect de l’opinion s’explique aussi par la recherche de la sécurité dans une période de transition où il peut y avoir des scènes de violence incontrôlable. Ce qui est intéressant à observer en Algérie et au Soudan, c’est le manque de préparation d’un processus de changement de régime. Il n’y a pas une opposition organisée contre un régime, mais plutôt des partis et des leaders politiques qui ont essayé de conquérir le pouvoir par voie électorale, qui ont joué le jeu institutionnel et politique. En Algérie l’opposition a été inexistante, aucun leader n’est intervenu. D’ailleurs, un responsable opposant, qui a perdu l’élection présidentielle contre Bouteflika, ne s’est pas porté candidat à l’élection, prévue le 14 avril 2019. Au début des soulèvements populaires contre l’augmentation du prix du pain au Soudan, le dirigeant du principal parti d’opposition Al-Oumma Sadek al-Mahdi, demandait au « président Béchir de démissionner, de dissoudre toutes les institutions constitutionnelles et de former un conseil de 25 membres pour gouverner le pays ». Omar El-Béchir a toujours refusé de quitter le pouvoir, malgré le soulèvement de la population, qui a bravé la peur de la violence policière et militaire.

Trop tôt pour tirer des conclusions

Il est trop tôt pour tirer des conclusions de cette gestion, aussi bien en Algérie qu’au Soudan. Elle n’est qu’au tout début. On est encore sur la gestion de la fin du régime. En Algérie, face à la pression populaire, Bouteflika annonce sa non-candidature, annule les élections et promet une transition, qui serait menée par une conférence nationale. C’est un moyen, qui s’il est bien utilisé, peut aider la sortie de la crise et la mise en place d’un processus pour un autre régime plus ouvert et surtout participatif comme celui qui a eu lieu au Bénin et au Mali au début des années 1990. Mais pour cela il faut la concordance de beaucoup de facteurs tant politiques et de responsabilités collectives et personnelles: un régime qui accepte de déléguer ses pouvoirs, une opposition politique sérieuse et une société civile forte. Au Soudan, ce sont les hauts cadres de l’armée qui ont créé un conseil militaire pour gérer le pays. Un général proche du président déchu a pris la présidence dudit conseil. Mais c’est sans compter sur la détermination des manifestants, qui ont rejeté le coup du général Awad Ibn Auf. La question est de savoir si ces facteurs sont réunis actuellement en Algérie et au Soudan.

Certes une opposition existe dans les deux pays. Un régime illégitime, mais qui contrôle encore la vie politique et une société civile, peut-être peu organisée et peu structurée, mais qui exprime des demandes politiques et sociales. Dans les deux pays, ce sont des membres des anciens régimes qui assurent la gestion de la fin du régime. Si en Algérie, on ne sent pas le risque d’une main de l’armée sur le pouvoir, au Soudan les militaires occupent le pouvoir et proposent une transition qui dure deux ans. Les manifestants rejettent une telle proposition en maintenant la pression sur les militaires. Et sous la pression tant des manifestants que de l’Union Africaine, qui a menacé « la suspension de la participation du Soudan à toutes les activités de l’UA jusqu’au rétablissement de l’ordre constitutionnel », les dirigeants militaires changent en demandant à l’opposition de présenter un Premier ministre.

L’Afrique subsaharienne a encore beaucoup de régimes comme ceux de Bouteflika et d’El-Béchir. Le courage des populations et des diasporas algérienne et soudanaise peut-il servir d’exemple à suivre par d’autres peuples?

Par Mohamed Abdillahi Bahdon