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Burkina: des maires dénoncent des manœuvres politiques visant à les destituer

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Des maires frappés de la mesure de destitution du MATD

Un collectif de maires et conseillers municipaux, a animé ce mardi 18 mai 2021, au Centre national de presse Norbert Zongo, une conférence de presse, pour dénoncer des manœuvres politiques de la majorité visant à les destituer. Selon les conférenciers qui invoquent une mesure « illégale » du ministère en charge de l’Administration territoriale, « il y a près 800 conseillers et 15 communes qui sont touchés » par la disposition.

Les maires, Désiré Traoré de la commune de Solenzo, Dissan Boureima Gnoumou de la commune de Houndé et Jérémie Sawadogo de l’arrondissement 10 de Ouagadougou, ont échangé à cœur ouvert et sans langue de bois avec les femmes et hommes de média sur la situation du remplacement de conseillers municipaux et régionaux par le ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation (MATD).

Pour les orateurs du jour, « l’action engagée par le gouvernement manque de base légale, elle méprise les décisions de justice, elle entraîne une dégradation de l’autorité de l’Etat par un exemple d’incivisme inqualifiable qui est ici donné, elle met à mal la cohésion sociale et aura une répercussion très négative sur le processus de réconciliation nationale actuellement en cours » au Burkina ». A ceux-ci, ont continué les conférenciers, « il faut ajouter une volonté manifeste d’appliquer de façon volontairement maladroite les différents textes du Code électoral et du Code général des collectivités territoriales entrainant la prise d’actes administratifs irréguliers par les autorités administratives déconcentrées ».

Pour eux, c’est clair, le ministre Clément Sawadogo via son ministère fait une « application discriminatoire et tendancieuse de la mesure de sanction des élus locaux qui cache mal une vengeance à l’endroit de certains élus locaux ».

Des manœuvres politiques au sommet de l’Etat…

A les en croire, la majorité est en train de comploter pour régler leurs comptes. « Ce sont des règlements de compte constatés au sein d’un certain nombre de partis notamment le Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP), l’Union pour le Changement et le Progrès (UPC) et l’Union pour la /Partis sankaristes (UNIR/PS) qui veulent régler leurs comptes à certaines personnes qui ont exprimé leur ras-le-bol de la gouvernance des partis politiques », a déclaré le maire de l’Arrondissement 10 de Ouagadougou, Jérémie Sawadogo, qui, sur le cas du nomadisme politique évoqué par le MATD qui ne voudrait admettre que ce qui pose problème c’est la « gouvernance au sein des partis politiques. Est-ce qu’il y a de la démocratie dans la gouvernance au sein des partis politiques ? », s’est interrogé l’élu du MPP.

« Les guéguerres politiques, c’est normal. Lorsqu’on est ministre d’Etat, ministre du parti au pouvoir, il est difficile de se départir de son costume politique pour peut-être régler des problèmes politiques. C’est clair que lors des élections de novembre 2020, nous nous sommes tous engagés à accompagner son excellence Roch Marc Christian Kaboré dans son élan de développement du Burkina. Et aujourd’hui nous sommes déçus de certains qui veulent prendre les guéguerres internes aux partis politiques pour déstabiliser des communes au profit de quoi on ne sait exactement », a soutenu le député-maire Dissan Boureima Gnoumou. Il a jugé « grave » que les autorités dans cette crise ne prennent pas en compte les électeurs à la base. « Vous pensez que c’est facile d’aller remettre un mandat et venir se balader au village ? Les gens ont fait des pieds et des mains pour te suivre et t’élire », a-t-il réagi à un journaliste qui demandait pourquoi les élus municipaux ne veulent pas démissionner de leur parti d’origine s’il y a des brouilles.

Le maire Jérémie Sawadogo pense qu’ il va falloir que tous les acteurs sur la question du nomadisme politique réfléchissent et regardent pour refaire les textes. « Ce serait intéressant qu’on découple l’élection présidentielle et les législatives. Qu’on couple les municipales et les législatives parce que c’est là-bas qu’on va sentir la question de l’élection locale. Comment on finit d’élire les maires et les conseillers municipaux et c’est le Code électoral qui vient les régir pendant qu’ils sont en fonction. Aujourd’hui c’est le Code des collectivités territoriales qui devait régir toutes les actions des maires et des conseillers municipaux », s’est-il expliqué.

L’intervention de la justice dans cette affaire

Les communes touchées par la mesure du MATD sont une quinzaine, a dit le maire de Solenzo, Désiré Traoré, citant « Sapouy, Solenzo, Houndé, Orodara, Téma-Bokin, Tougouri, Pibaoré, Nagréogo et l’Arrondissement 10 » entre autres. M. Traoré a répondu aux journalistes qu’au niveau de l’ensemble des juridictions administratives, lui et ses camarades ont déposé des recours pour l’annulation de la décision du MATD. « A Ouagadougou il y a (déjà) une suspension. Au niveau des juridictions déconcentrées administratives, nous avons déposé deux recours. Un sursis à exécution et un autre pour annuler les notes des Hauts commissaires. Comme suite nous allons attendre que nos avocats fassent le travail et on verra », a-t-il éclairci.

Le maire de Solenzo ayant démissionné de l’UNIR/PS pour les Progressistes unis pour le Renouveau (PUR), a indiqué que « le rapport de Clément Sawadogo (ministre du MATD) a induit le gouvernement en erreur en disant que les conseillers ont posé des actes d’indisciplines. Alors que cela relève des partis. Et c’est pourquoi le Conseil d’Etat leur (gouvernement) a dit de laisser les partis politiques gérer leurs militants ».

Pour le député-maire de Houndé, Dissan Boureima Gnoumou, la sanction du MATD leur est préjudiciable à plusieurs titres. « La première sanction que nous avons subie, c’est le fait que le ministère a torpillé la loi. La deuxième sanction, c’est d’avoir torpillé la loi et de faire croire (à l’opinion) que nous n’avons pas de morale. La troisième sanction, c’est de perturber le bon fonctionnement et l’élan de développement local que nos communes avaient amorcé », a-t-il développé.

A suivre M. Gnoumou du Mouvement pour le Burkina du futur (MBF) et ses camarades qui disent faire « confiance » à la Justice qui dans certaines communes, statuant sur cette affaire, leur a donné raison, elle doit aller au bout et contraindre le gouvernement à appliquer les décisions qu’elle rend. « S’il y a des décisions de justice qui dorment dans les tiroirs, il y a un problème, cela veut dire que le Burkina Faso est dangereux parce que cela voudrait dire que désormais chacun va résoudre ses problèmes avec les moyens dont il dispose », a-t-il mis en garde.

Le collectif des maires et conseillers ont indiqué qu’ils sont « toujours maires tant que la justice n’a pas encore tranché » sur l’affaire.

Les conséquences de la crise au sein de certaines communes du Burkina

Les conséquences de cette crise sont énormes, ont laissé entendre les conférenciers. « Depuis le 4 décembre, il y a eu un télégramme officiel qui suspend la convocation des sessions. C’est une sanction très grave. Donc il y a les dysfonctionnements des communes. Quand vous ne pouvez pas réunir un Conseil municipal, vous ne pouvez pas prendre de délibérations. Les communes comme celles de Orodara et de Pibaoré n’ont pas de budget. Elles fonctionnent actuellement avec des budgets provisoires », a déploré le maire de Solenzo, Désiré Traoré.

Pour Dissan Boureima Gnoumou, la mesure du MATD a naturellement un « impact très négatif » sur les communes. « Peut-être que d’ici là, certaines communes ne pourront plus honorer les salaires de leurs travailleurs. Il y aura une instabilité sociale, c’est très clair. Le troisième impact, c’est le fait de faire comprendre aux populations que les décisions de Justice ne sont pas importantes. Et ça c’est grave aux yeux du justiciable ».

Par Bernard BOUGOUM