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Burkina: marchera ou marchera pas?

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Le convoi de l'armée française bloqué lors de son passage au Burkina, selon les autorités.

Après 96 heures de coupures de l’Internet, le gouvernement vient de remettre le couvert pour 96 autres heures, sans tenir compte des désagréments que cette mesure fait subir aux populations, en plus d’être une atteinte à la liberté d’expression. Le gouvernement, toujours lui, a également décidé de la fermeture des écoles pour deux jours, c’est-à-dire vendredi et samedi, en prévision d’une marche prévue pour ce même samedi pour appeler à des mesures fortes contre l’insécurité. Comme si la coupe n’était pas assez pleine, le maire de la capitale, Ouagadougou, dans un communiqué, a invité le commandant du groupement de la Gendarmerie départementale de Ouagadougou et le directeur général de la Police nationale et celui de la Police municipale de Ouagadougou «à prendre toutes les dispositions utiles pour qu’aucune manifestation illégale ne puisse se dérouler sur le territoire communal».

Il faut dire que, les jours précédents, comme une mise en jambes, tant à Ouagadougou que dans plusieurs autres villes à l’intérieur du pays, des manifestants avaient, pris d’assaut les rues. Ils ont marché, certains pour s’indigner contre la traversée du Burkina, en direction de Gao au Mali, via le Niger, d’un convoi de véhicules de l’armée française transportant de la logistique pour la lutte contre le terrorisme dans le Sahel. D’autres pour crier leur ras-le-bol contre les attaques armées qui endeuillent au quotidien les familles des Forces de défense et de sécurité et les populations civiles. D’autres encore pour exiger le départ du président du Faso dont ils accusent le régime de mal gouvernance et de ne pas être en mesure d’assurer la protection des Burkinabè qui tombent comme des mouches sous les balles assassines des «hommes armés non identifiés». Comment sortir de la quadrature du cercle? Et ce n’est plus possible de faire la politique de l’autruche, car l’équation est bien complexe pour le Burkina.

Certes, trop de sang a coulé dans ces assauts menés au quotidien contre les militaires et les populations civiles qui n’arrêtent pas de compter leurs morts! Certes le sentiment anti-français n’a cessé de monter, surtout au Sahel, parfois à raison, la France portant le péché indélébile d’ancien colonisateur, mais le plus souvent entretenu par des dirigeants en manque de vision, en accablant le bouc-émissaire tout désigné qu’est Paris, et des activistes manipulés par des individus ou pays étrangers aux desseins cachés.

Certes, le pouvoir de Roch Marc Christian Kaboré, après une «insurrection populaire» n’a pas répondu aux attentes des Burkinabè épris de paix, de justice et d’intégrité, versant plutôt dans les tares séculaires de mal gouvernance, de chasse aux sorcières et surtout d’absence de vision de développement équitable pour tous et partout sur le territoire. Toutes choses qui sont à l’origine de ce déficit criard de confiance entre les gouvernants et des gouvernés contraints aux deuils, à l’exil dans leur propre pays et aux lendemains incertains.

C’est donc tout à fait normal que le peuple use de son droit constitutionnel pour manifester et dire son mécontentement. Mais ce n’est sans doute pas le moment idéal pour fragiliser, voire anéantir les efforts de lutte des partenaires étrangers comme la France, dans le Sahel où les djihadistes et bandits se sont enkystés et sèment malheur et désolation. Il ne faut pas se tromper d’adversaire, si après des décennies d’indépendance, ceux qui nous gouvernent ne sont toujours pas en mesure d’assurer gîte, couvert et sécurité à leurs concitoyens. La lutte contre le CFA et les pratiques néo-colonialistes doivent se mener sans passion et avec méthode, pratiques qui ne doivent pas qu’être l’apanage des anciens ou futurs maîtres.

C’est aussi normal que les Burkinabè demandent la démission de leur président. Mais le timing est-il le meilleur pour le faire? Non, peut-on répondre sans hésitation, car ce serait favoriser le chaos qui guette le Burkina qui fait face à une crise sécuritaire inédite. Par contre, le chef de l’Etat doit se débarrasser des poids morts et autres esprits clivants qui empêchent la marche indispensable vers la réconciliation et la cohésion nationale dont le Burkina a, plus que jamais, besoin. A ce titre, Roch Marc Christian doit faire preuve de courage et de fermeté pour favoriser le retour de la paix qui passe par des mesures fortes.

Le Burkina doit être en mesure de réunir tous ses enfants, qui, pour une raison ou une autre, ont dû partir de ce pays, où y sont ou s’y sont mis, en retrait de la vie civile ou militaire. Le pardon est au-dessus de tout et constitue le passage obligé pour parvenir à la paix dans un Burkina où le dicton du «mauvais arrangement» qui «vaut mieux qu’un bon procès» est bien connu. La justice doit être la boussole qui conduit le pays, mais elle peut bien passer par des formules qui ont fait leur preuve ailleurs.

Le Burkina se trouve à un tournant décisif de son avenir et mal négocié, ce passage charnière peut être fatal pour le pays. Or, ce n’est dans l’intérêt d’aucun Burkinabè que ce pays brûle. Alors, à l’endroit des manifestants à qui l’on ne saurait dénier le droit constitutionnel de battre le pavé, il est important pour eux de le faire dans l’ordre, sachant que c’est dans l’union et l’unité que le Burkina se construira dans la paix. En attendant, il faut que les autorités mettent fin aux mesures liberticides comme la coupure de l’Internet mobile qui porte énormément préjudice au Burkinabè lambda. Le salut du Burkina passe par tous les Burkinabè.

En attendant de mesurer l’impact sur le discours à la nation prononcé par le président du Faso, dans la nuit de ce jeudi, avec l’espoir que les décisions annoncées par Roch Marc Christian Kaboré auront l’effet escompté, l’interrogation qui est sur toutes les lèvres est bien la suivante: marchera demain en faisant fi de la décision de l’autorité municipale ou ne marchera pas? Pour l’instant, c’est la course effrénée à l’approvisionnement en vivres et en carburant pour les véhicules et les conseils à la prudence qui rythment la vie des Burkinabè.

Par Wakat Séra