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Burkina: quel apport des langues nationales dans la qualité de l’éducation

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Image d'élèves en salle de classe utilisée à titre illustratif

Ceci est un écrit de Amado Kaboré, Chargé de recherche, Institut des Sciences des Sociétés (INSS)/CNRST Zomenassir Armand Bationo, Attaché de recherche, Institut des Sciences des Sociétés (INSS)/CNRST et de Felix Ouédraogo, Chargé de recherche à l’Institut des Sciences des Sociétés (INSS)/CNRST/Burkina Faso, sur l’apport des langues nationales dans la qualité de l’éducation au Burkina Faso.

INTRODUCTION

Au Burkina Faso, l’enseignement est caractérisé par un système d’unification linguistique. C’est une situation héritée de la colonisation dont l’objectif était de former des cadres bureaucrates en vue de suppléer le colon blanc. Comme l’affirme Napon (1992, p.9), le français a été imposé par la France à ses colonies dans le cadre de sa politique d’assimilation des populations indigènes. De nos jours, cette forme d’éducation se révèle être inadaptée aux préoccupations réelles des populations. En effet, l’école actuelle basée sur l’enseignement en français rencontre d’énormes difficultés avec des taux d’échecs élevés, des redoublements et des abandons de classe très significatifs. Le gouvernement burkinabè a tenté de résoudre le problème en vain par la mise en œuvre de plusieurs reformes dont les plus important sont entre autres, le Plan Décennal de Développement de l’Education de Base (PDDEB, 2000-2010) et le Programme de Développement Stratégique de l’Education de Base (PDSEB 2012-2021). Cependant, on assiste depuis 1994 à une autre forme d’éducation qui s’appuie sur les langues nationales : l’éducation bi-plurilingue.  Toutefois, cette formule rencontre des difficultés en termes de généralisation. Face à cette problématique des questions de langues nationales à l’école, une recherche documentaire suivie d’une enquête de terrain ont permis de faire une analyse objective de l’apport des langues nationales dans la qualité de l’éducation au Burkina Faso.

  1. PROBLÉMATIQUE

A l’instar de ce qui se passe dans la plupart des pays d’Afrique francophone, l’enseignement classique favorise une politique d’unification linguistique. C’est un système qui a montré ses limites en termes sélectivité, et qu’il reste inadaptation aux véritables besoins et réalités des populations. Le constat est qu’il génère des redoublements et des abandons et surtout favorise le déracinement culturel et des disparités selon les régions et les sexes. Ce système est également marqué par une durée de scolarité longue de 6 ans à l’école primaire. C’est pourquoi pour attirer l’attention sur les inconvénients de l’enseignement classique, L. Dabene (1991, p. 57) affirme que l’institution scolaire traditionnellement fondée sur l’inculcation de modèles standards monolingues impose inévitablement aux sujets issus de milieux plurilingues de censurer une partie de leurs potentialités linguistiques. 

Par contre, l’éduction bi-plurilingue a fait ses preuves sur plusieurs plans dans notre pays. Car elle tient compte des facteurs scolaires, sociaux, culturels et rend opérationnel les apprenants. En outre, elle a fini par convaincre les décideurs des biens faits de cette forme éducation. A ce titre A. BRAZ (2007, p.12) n’affirme t-il pas que :

La visée, à travers l’enseignement bilingue, est de lutter contre la vision ethnocentrique, de façon à ne pas confondre l’étranger avec l’étrangeté. La confrontation de deux cultures doit se révéler comme une source d’enrichissement et non comme une source de conflits ou un prétexte pour formuler des jugements dépréciatifs sur ce qui est autre. L’enseignement bilingue devient un formidable moyen pour appréhender le véritable sens de l’altérité : comprendre l’autre pour s’appréhender soi-même (Somé Z. Maxime, 2003). 

Au regard de ce qui précède, un certain nombre d’interrogations s’imposent : comment se présentent les résultats de l’éducation bilingue au Burkina Faso ? En quoi cette éducation est-elle la plus adaptée dans le système éducatif burkinabè ?

  1. MÉTHODOLOGIE

La méthode de recherche a consisté dans un premier temps à une recherche documentaire et dans un second temps à une enquête de terrain. L’enquête de terrain a été de type qualitatif. En effet, des entretiens semi-directifs ont été réalisés auprès de personnes de ressources clés du domaine de l’enseignement bilinguisme et de l’éducation.

La recherche documentaire a permis de découvrir un certain nombre de travaux sur l’enseignement des langues nationales à l’école, les résultats obtenus et l’impact positif que cet enseignement a généré. Quant à l’étude de terrain, elle a concerné les résultats récents des écoles primaires bilingues  mooré/français des villages de Taré et Lué dans la province du Ziro,  région du Centre-Ouest du Burkina Faso.

  1. DISCUSSIONS DES RÉSULTATS

En 2016, une étude comparative a été menée par la Direction du Continuum de l’Education Multilingue (DCEM) sur les résultats de l’enseignement bilingue et de l’enseignement classique au Burkina Faso. Ces résultats ont surtout concerné le Certificat d’Etude Primaire (CEP) de 1998 à 2016.

Au Burkina Faso, on constate que le taux de succès le moins élevé pour l’enseignement bilingue primaire est de 52% obtenu en 1998 contre 48% pour l’enseignement classique pour la même année. En revanche, le taux de succès le plus élevé pour l’enseignement bilingue est de 94% en 2004 contre 82,20% pour l’enseignement classique. Le taux moyen de succès au CEP sur la période de 1998 à 2016 pour un cursus de 5 ans est de 70,77% contre une moyenne nationale de 66,62% pour un cursus de 6 ans. Au regard de ce qui précède, nous constatons  que les taux de succès à l’examen du CEP sont plus élevés au niveau des écoles bilingues. Toute chose qui témoigne que le système est plus adapté aux réalités de l’environnement scolaire des élèves.

En plus de ces résultats à l’école primaire, nous constatons qu’au niveau des collèges d’enseignement multilingue spécifique (CMS), on relève qu’en 2014, le taux de succès au BEPC a été 35,84% contre un taux de succès national de 28,62%.  Ce taux de succès est passé à 51% En 2015 pour les CMS (SOLIDAR Suisse, 2016).

Tous ces résultats sus mentionnés viennent révéler que sur le plan scolaire, l’enseignement bilingue s’intègre mieux dans nos sociétés. En plus de ces résultats, une enquête de terrain a permis d’obtenir les informations suivantes dans deux écoles bilingues qui se localisent dans la province du Ziro. Ces écoles sont celles de Taré et de Lué.

 Situées dans sont situées dans la province du Ziro, les écoles de Taré et de Lué sont implantées dans les villages de Taré et de Lué et héritent de leur nom. Elles ont été créées respectivement le premier octobre 2002 et le quinze septembre 2005 sous le régime de l’enseignement classique c’est-à-dire du système éducatif d’émanation coloniale. Elles relèvent de la Circonscription d’Education de Base (CEB) du département de Cassou.

 La CEB de Cassou compte en tout vingt et une (21) écoles dont deux (02) écoles bilingues. C’est en 2009 que les deux écoles de Taré et Lué sont passées de l’enseignement classique en écoles bilingues mooré/français. Elles sont régulièrement fréquentées par la population. En 2018, les effectifs des écoles de Taré et Lué sont respectivement de deux cent huit (208) élèves et deux cent (200) élèves.  Le taux de succès au CEP en 2018 est de 97% pour l’école de Taré et de 100% pour l’école de Lué (CEB de Cassou, 2018).

Ces résultats ainsi réalisés sont tributaires de plusieurs facteurs tel que l’enseignement bilingue utilise généralement la langue nationale maîtrisée par l’enfant et le français. Ce qui permet un accès facile aux contenus des enseignements par les apprenants car ils ont déjà la définition des concepts dans leur langue.  C’est pourquoi Maurer (2010 : 3) affirme : « La langue première de l’élève exerçant une influence déterminante sur son développement cognitif et affectif, son utilisation dans l’enseignement primaire favorise les apprentissages fondamentaux et rend plus aisée l’acquisition progressive d’une langue seconde ou étrangère ».

 De plus dans le déroulement du programme, l’enseignement crée un lien entre l’éducation et la production. Par exemple, la langue nationale permet d’avoir plus facilement accès au français. Car, elle facilite l’acquisition des compétences de base de la lecture, de l’écriture et du calcul dans les premières années de scolarisation. En plus de cela, les élèves mènent des activités manuelles liées à l’économie locale. Ces activités alimentent les cours et constituent aussi des champs d’application des enseignements. A ce titre on peut citer entre autres l’élevage, le théâtre, le jardinage, la valorisation du champ scolaire.

En outre, l’enseignement bilingue mène une politique de revalorisation de la culture. Les programmes tiennent compte de l’introduction des valeurs culturelles positives de l’Afrique qui sont : des contes et des proverbes, des chants et danses, de la musique du milieu et des instruments traditionnels de musique.  De nos jours, la politique du gouvernement burkinabè est la labellisation du patrimoine culturelle. Ce qui justifie le port des costumes produits par du coton du pays. A cela s’ajoute le port du pagne traditionnel du « Faso dan fani ».

Aussi, c’est un enseignement qui prend en considération, l’implication des parents d’élèves. En effet, les parents participent à la définition des curricula et à certains aspects des enseignements à l’école telle que la production et la culture. Cette implication  dans la vie de l’école est un facteur important pour le parcours scolaire des enfants.  A ce titre, A. Napon et  A. Sanou (2005, p.30) affirment que : « ces écoles ont pour philosophie l’intégration de l’école au milieu avec un transfert de compétences techniques et technologiques nécessaires pour un développement local durable et autogéré. Pour ce faire, elles s’appuient sur trois principes fondamentaux : la participation communautaire, l’intégration de l’école à son milieu, un enseignement adapté, pratique, lié à la vie du milieu ».

Enfin, nous constatons la réduction d’une année dans le cycle primaire qui est maintenant de 5 au lieu de 6 ans, ce qui est un avantage économique pour les parents et l’école en terme de scolarité et d’achat de fourniture et de construction de salle de classe.

CONCLUSION

L’enseignement bilingue constitue un tremplin pour une éducation de qualité pour tous en Afrique. Le Burkina Faso en a expérimenté des formules aussi nombreuses que diverses. Depuis, son accession à l’indépendance, la Haute-Volta (actuel Burkina Faso) est passé par des initiatives telles que les Centres d’éducation rurale (CER), l’introduction des langues dans l’enseignement classique, restée au stade de l’expérimentation, l’alphabétisation et l’enseignement bilingue depuis 1996.

Ces initiatives sont la résultante d’un système éducatif peu holistique et inadapté aux besoins réels des populations. Cette réflexion a permis de noter l’importance de l’enseignement bilingue dans l’émancipation des populations et l’atteinte d’une éducation pour tous de qualité au Burkina Faso. En effet, il ressort que l’enseignement bilingue vise essentiellement à l’amélioration de la qualité de l’enseignement et à l’enracinement de l’enfant dans son milieu naturel. Cet enseignement consiste à utiliser les langues nationales comme medium d’enseignement. De plus, l’enseignement rapproche l’éducation à la production, revalorise la culture, implique les parents aux questions de l’éducation et favorise le respect de l’équité entre les genres. La durée de la scolarisation est de 5 ans au lieu de 6 ans à l’école primaire. Les programmes d’enseignement et les emplois du temps sont, en général, ceux de l’école classique mais avec des programmes conçus en langues nationales.

BIBLIOGRAPHIE

CALVET Louis-Jean. (1996).  Les politiques linguistiques, Paris : PUF.

DABENE, Louise, 1991. Quelques aspects du rôle de l’environnement familial dans un contexte multilingue. Enfance, 44(4), 291–295.

Décret n° 99-254/PRES/PM/MEBA du 20 Juillet 1999 portant création du Plan Décennal de Développement de l’Education de Base (PDDEB, 2000-2010)

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ILBOUDO Paul Taryam, 2007. Intervention de Paul Taryam ILBOUDO, représentant de l’OSEO au Burkina Faso. Réseau Education Pour Tous en Afrique (REPTA), Un réseau pour inclure les exclus de l’éducation en Afrique, 2003-2007.

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KABORE Amado, Chargé de recherche, Institut des Sciences des Sociétés (INSS)/CNRST : kabore_amado83@yahoo.fr

BATIONO Zomenassir Armand, Attaché de recherche, Institut des Sciences des Sociétés (INSS)/CNRST : zomenassir@yahoo.fr

OUEDRAOGO Felix, Chargé de recherche à l’Institut des Sciences des Sociétés (INSS)/CNRST/Burkina Faso, felixouedraogo99@gmail.com