Accueil Opinion Dernier gouvernement de Blaise Compaoré : le procès de la vérité

Dernier gouvernement de Blaise Compaoré : le procès de la vérité

1
Amadou Traoré, juriste (DR)

« Mieux vaut être vaincu en disant la vérité que de vaincre avec le mensonge. » Un proverbe italien, cité par le juriste burkinabè Amadou Traoré qui donne ici sa lecture du jugement du dernier gouvernement de l’ancien président du Faso, Blaise Compaoré, procès qui a débuté le 27 avril 2017.

 

INTRODUCTION

Le 27 avril 2017 s’est ouvert le procès de 32 ministres du dernier gouvernement du Président Blaise COMPAORE devant la Haute Cour de Justice dont 25 comparants, poursuivis pour complicité de coups et blessures volontaires et complicité d’homicides volontaires.

La Haute Cour de Justice est une juridiction politique d’exception et il n’est pas excessif de penser que dans le schéma retenu par les tenants du pouvoir, les ministres seront jugés et condamnés à des peines privatives de libertés pour de longues périodes.

Mais dans un contexte impartial, ce procès pourrait être celui de la vérité où les responsabilités réelles des comparants seront situées.

A l’entame de mon écrit, je m’incline devant les morts et compatis à la douleur des familles des victimes des 30 et 31 octobre 2014. Je parlerai droit et règles. Si nous voulons la vérité, ayons le courage d’aller au-delà de nos convictions.

Les faits en cause sont simples : les 30 et 31 octobre 2014, les manifestants, mis dans la rue à l’appel du Chef de File de l’Opposition (CFOP) pour contester la modification de l’article 37 de la Constitution se sont attaqués aux édifices publics, aux symboles de l’Etat et aux biens privés qui ont été incendiés et pillés. Au cours de l’intervention des forces de sécurité pour contenir les manifestants, il y a eu des pertes en vies humaines. Les ministres sont cités à comparaitre pour en répondre.

Le droit applicable est tout naturellement le droit pénal burkinabè même s’il est administré aux justiciables d’un jour par cette juridiction politique qu’est la Haute Cour de Justice.

Vu sous un angle global, trois ordres de responsables sont concernés par les évènements des 30 et 31 octobre 2014. Ce sont :

  • l’autorité civile administrative que représente le Gouvernement avec à sa tête le Premier Ministre ;
  • les forces de sécurité, chargés de la mise en œuvre et de l’opérationnalisation des mesures de sécurité ;
  • les organisateurs et responsables des manifestations de rue ayant occasionné les dégâts et la chute du pouvoir.

De ces trois, seuls les ministres ont comparu ce 27 avril 2017. Cette poursuite partielle pose un réel problème d’égalité des citoyens devant les lois, parce la condamnation éventuelle des ministres, qui ne sont qu’un maillon de la chaîne, n’assouvira pas la quête de justice et de vérité du peuple.

 

I- LE STATUT LEGAL ET PROTEGE DES MINISTRES

Les ministres comparaissent devant la Haute Cour de Justice en application de l’article 76 de la Constitution, pour répondre des crimes et délits commis par eux dans l’exercice de leurs fonctions.

Dans l’acte d’accusation de la Haute Cour de Justice, il est reproché au Gouvernement du Premier Ministre Luc Adolphe TIAO d’avoir procédé lors du Conseil des ministres du 21 octobre 2014 à l’adoption du projet de loi portant modification de la Constitution en son article 37 et porté le 30 octobre 2014 devant l’Assemblée nationale pour être voté.

Les ministres sont également poursuivis pour complicité de coups et blessures volontaires et complicité d’homicides volontaires pour avoir pris la décision de faire appel à l’armée lors du Conseil des ministres extraordinaire du 29 octobre 2014.

Il est aussi reproché au Premier Ministre la signature d’une réquisition spéciale ayant pour but de permettre l’intervention de l’armée afin de maintenir l’ordre et à Monsieur Jérôme Bougouma, en sa qualité de ministre de la sécurité, la répression des manifestations.

Certains ministres sont enfin poursuivis pour détournements de deniers publics ; mais ce chef d’inculpation ne nous intéresse pas ici.

Sur l’adoption du projet de loi portant modification de la Constitution

L’article 61 de la Constitution fait du Gouvernement l’organe de l’Exécutif chargé de la conduite de la politique de la nation, saisi à ce titre des projets et propositions de lois ainsi que des projets de textes règlementaires.

De par ses attributions constitutionnelles, le Gouvernement a une compétence de principe pour la conduite de la politique de l’Etat à travers des décisions concertées ou des actes d’initiative. Le Conseil des ministres est le carde privilégié de cette concertation gouvernementale.

Le Gouvernement était donc formellement dans son rôle en adoptant le projet de loi contesté, étant entendu que cela n’était qu’une étape et que la finalité était le référendum.

Sur la mise en œuvre des mesures de sécurité

La loi n°032-2003/AN du 14 mai 2003 relative à la sécurité intérieure définit les principes généraux de la sécurité intérieure. Il ressort de l’article 2 de ladite loi que la sécurité intérieure a pour objet d’assurer la protection permanente des personnes et des biens sur toute l’étendue du territoire national, de veiller à la sûreté des institutions de l’Etat, de veiller au respect des lois et au maintien de la paix et de l’ordre publics.

L’article 11 de cette loi dispose que « Le maintien de l’ordre est une mission de police administrative qui a pour but de prévenir les troubles. Il comporte des mesures destinées à rétablir l’ordre si celui-ci est troublé. Il relève en temps de paix de la responsabilité de l’autorité civile. »

L’article 15 de la loi ajoute que « Un décret détermine l’organisation du maintien de l’ordre, précise les modalités de la participation des forces armées, ainsi que l’usage de la force et des armes au maintien de l’ordre. »

Le décret n°2005-025/PRES/PM/SECU/MATD/DEF/MJ du 31 janvier 2005 portant organisation du maintien de l’ordre au Burkina Faso est pris à ce propos. Il prescrit les conditions et modalités de recours à la gamme des forces pour assurer la sécurité.

Le rappel de ces dispositions a pour effet de souligner que du point de vue formel, l’autorité gouvernante était dans son rôle en prenant des dispositions de maintien et de rétablissement de l’ordre.

Au regard des évènements, il est évident que tout gouvernement responsable se serait vu en devoir de faire appel aux forces de sécurité pour rétablir l’ordre.

L’article 3 dudit décret ajoute « Qu’il s’agisse des mesures préventives ou des mesures d’intervention, l’autorité civile ne peut mettre en action l’autorité militaire qu’en vertu d’une réquisition. »

Il apparait ici également que dans le principe, la réquisition spéciale dont la signature est reprochée au Premier Ministre Luc Adolphe TIAO était conforme aux textes.

Au regard du droit positif et du développement qui précède, le Gouvernement avec à sa tête le Premier Ministre Luc Adolphe TIAO est couvert par les dispositions du paragraphe premier de l’article 70 du Code pénal qui dispose que « N’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires….. ».

 

II- LE ROLE DES FORCES DE SECURITE INTERIEURE DANS UN ETAT DE DROIT

La sécurité intérieure vise à assurer la protection des personnes et des biens, à maintenir l’ordre public et à préserver la continuité de l’action gouvernementale.

Ce sont les forces de sécurité intérieure qui sont chargées de la mise en œuvre des décisions de l’autorité civile en matière de sécurité, à charge pour elles d’appliquer le dispositif convenable au regard des nécessités.

Dans la situation présente, les premiers responsables des forces de sécurité qui sont impliquées dans le maintien d’ordre des évènements d’octobre 2014 ne sont toujours pas poursuivis. L’on peut comprendre qu’ils ne le soient pas devant la Haute Cour de Justice dont la compétence est limitée à l’exécutif ; mais l’on comprend difficilement l’absence totale de poursuite à leur encontre dès lors que certains acteurs, les ministres, encourent de lourdes condamnations dans le procès en cours.

Cela est d’autant plus vrai que dans le rapport desdits évènements, le Premier Ministre de la Transition politique, Monsieur Yacouba Isaack ZIDA est abondamment cité comme un acteur essentiel du maintien d’ordre et de la répression des manifestants.

Par ailleurs, un problème fondamental se pose : ceux qui ont géré la transition politique ne se sont nullement souciés de procéder à l’autopsie des victimes pour déterminer avec exactitude les causes des décès. En pareil cas, une telle mesure est de rigueur. Ceci explique peut-être cela ! Mais le problème se posera tôt ou tard dans la recherche de la vérité qui nous préoccupe.

 

III- LA RESPONSABILITE DES ORGANISATEURS DES MANIFESTATIONS

La loi n°026-2008/AN du 8 mai 2008 portant répression des actes de vandalismes commis lors des manifestations sur la voie publique met à la charge de la personne qui organise une manifestation sur la voie publique la responsabilité des dégâts.

En l’espèce, les manifestations ont été organisées par le Chef de File de l’Opposition Politique (CFOP) de l’époque, avec la participation active des partis affiliés, dont certains sont au pouvoir aujourd’hui. Elles ont occasionné des pertes en vie humaine et des dégâts importants au préjudice de l’Etat et des personnes privées. Des personnes et groupes politiques qui ont prémédité, préparé et dirigé l’exécution de ces saccages, accompagnés d’actes de violence délibérés, certains sont connus, puisque les intéressés en ont revendiqué la paternité. Ainsi, deux responsables du Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP), SANON Djedjouma, et plus précisément le Président du Groupe parlementaire MPP le député Alassane SAKANDE ont déclaré de façon ostentatoire courant année 2016 que le complot contre les institutions de la république a été ourdi par la direction de leur parti.

Pour le cas où ces déclarations seraient avérées, les dirigeants du MPP tombent sous les chefs d’inculpation des crimes et délits prévus au LIVRE III du Code pénal. Il s’agit entre autres de l’article 109 du Code pénal relatif au complot en vue de changer par la violence le régime légal, d’exciter les populations à s’armer contre l’autorité légale de l’Etat ou à s’armer les unes contre les autres, de porter atteinte à l’intégrité du territoire national.

Il peut également être invoqué à leur encontre l’article 115 dudit code qui est relatif à la sanction de mouvements insurrectionnels visant à occuper des édifices publics ou des propriétés privées, à ériger des barricades et à s’opposer par la violence. L’on sait que des édifices publics ont été incendiés et pillés au cours des évènements de 2014.

L’article 116 du Code punit d’emprisonnement à vie tout individu qui incendie ou détruit par engin explosif des édifices, magasins, arsenaux ou autres propriétés appartenant à l’Etat. Il ajoute que « Si la mort s’en est suivie, le coupable sera puni de mort. »

Je fais référence à ces articles pour souligner la gravité des présomptions qui pèsent essentiellement sur les dirigeants du MPP. Malgré une demande de mise en accusation introduite contre SANON Djedjouma et le député Alassane SAKANDE par une organisation de la société civile en novembre 2016, le parquet n’a toujours pas donné de suite connue à ce jour.

Même s’ils ne l’avaient pas fait, ces actes délictueux aux conséquences extrêmement graves auraient dû donner lieu à l’ouverture d’une enquête judiciaire, décidée de son propre chef par le parquet burkinabè. En un mot, les organisateurs de ces manifestations devraient être auditionnés sur les circonstances des débordements qu’elles ont entraînés, afin d’établir, le cas échéant, leur part de responsabilité. Mais rien n’est fait dans ce sens à ce jour.

Lorsque les justiciables ne semblent pas être logés à la même enseigne, le citoyen s’interroge à juste titre sur l’impartialité de la justice. A l’Etat de lever ces doutes.

En tout état de cause, ceux qui assimilent l’insurrection à la désobéissance civile font fausse route, parce qu’il n’y a pas de place pour l’insurrection dans un système démocratique respectueux de la suprématie du droit et de la Constitution. La désobéissance civile est légale et régie par l’article 167 de la Constitution. Mais l’insurrection est une infraction pénalement punie par les articles 115 et suivants du Code pénal.

Que les responsables de l’insurrection ne soient pas cités à comparaitre devant les juridictions compétentes au regard des pertes en vies humaines et les dégâts importants est un déni de droit et de justice.

 

IV- LA QUESTION DE L’EGALITE DES CITOYENS DEVANT LA LOI

En droit positif burkinabé, les poursuites pénales sont engagées en application des dispositions du Code pénal.

S’il est vrai que la justice pénale de droit commun, la justice militaire et la Haute Cour de Justice sont des ordres de juridictions différents et séparés, elles ont en commun le Code pénal comme texte de base des poursuites et la Cour de Cassation comme juridiction de vérification du droit appliqué.

L’article 4 du Code pénal dispose que « La loi pénale s’applique à toute infraction commise sur le territoire national quelle que soit la nationalité de son auteur….. »

Il n’y a donc pas de raison que les ministres du dernier Gouvernement du Président Blaise COMPAORE soient les seuls à comparaitre pour répondre des évènements d’octobre 2014, surtout qu’ils sont poursuivis en tant que complices et non comme auteurs principaux.

Ensuite, l’on sait qu’en matière pénale, les peines des auteurs principaux servent de repères pour la fixation des peines des complices. Dans le cas présent, quel intérêt peut-il y avoir de juger les ministres pour complicité alors que le procès des auteurs n’est même pas à l’ordre du jour ?

Enfin quelles que soient les poursuites éventuelles des auteurs à l’avenir, la séparation des ordres de juridictions ne permettra certainement pas de loger toutes les parties prenantes à la même enseigne pénale.

Ceux qui disent que le procès des ministres du dernier Gouvernement du Président Blaise COMPAORE n’a d’autre objectif que de divertir les populations ne doivent pas avoir totalement tort.

 

CONCLUSION

Les poursuites des ministres du dernier Gouvernement du Président Blaise COMPAORE trouvent leurs sources dans l’adoption en Conseil des ministres du 21 octobre 2014 du projet de loi portant modification de la Constitution. Pourtant, à ce jour, aucune instance qualifiée n’a déclaré formellement la modification inconstitutionnelle.

L’Assemblée nationale qui s’apprêtait à accomplir les formalités de convocation du constituant originaire, le peuple, a été incendiée, mettant fin au processus légal de la modification.

Le Conseil constitutionnel, qui devrait mettre en œuvre les dispositions de la Constitution en cas de vacance totale du pouvoir n’a pas exercé ses compétences.

Des personnes non qualifiées ont mis la Constitution sous boisseaux et ont fait procéder à la modification de l’article 37 de la Constitution par le Conseil National de la Transition (CNT), preuve qu’il était bel et bien modifiable.

Dans l’ordre des valeurs, le CNT était-il plus souverain que le Peuple ou l’Assemblée nationale dont la saisine a été empêchée par la violence ?

C’est au regard de ces incongruités que je me convaincs que le procès des ministres du dernier Gouvernement du Président Blaise COMPAORE peut être celui de la vérité, pour peu que les juges s’assument.

Toutes les parties prenantes doivent veiller à ce que le droit soit dit et que la vérité triomphe. Il y va de la paix et de la cohésion sociale.

Amadou TRAORE

Juriste