Accueil Opinion Égypte : Faut-il sacrifier la démocratie au nom de la stabilité ?

Égypte : Faut-il sacrifier la démocratie au nom de la stabilité ?

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Le Parlement égyptien vient d’autoriser des modifications de la récente Constitution de 2014. Les pouvoirs du Président sont désormais accrus ainsi que la durée de son mandat. Il a aussi été autorisé à nommer des magistrats. La séparation des pouvoirs s’efface. Ce contexte pourrait bien découler sur un scénario à l’algérienne ! Dans son article publié en collaboration avec Libre Afrique Kassim HASSANI, Journaliste béninois. Le 8 avril 2019Kassim HASSANI, décortique le projet d’amendement de la Constitution égyptienne et met en garde contre les graves abus qui pourraient être constitutionnalisés. Les Égyptiens pourront-ils accepter cet effritement de leur démocratie fragile ?

Le 14 février 2019, 486 députés égyptiens sur 596 ont donné leur accord pour le projet d’amendement de la Constitution de 2014 actuellement en vigueur. Parmi les amendements proposés : faire passer la durée du mandat présidentiel de quatre à six années, renouvelable une fois. Ceci permet au Président Abdel Fattah Al-Sissi de rester au pouvoir jusqu’en 2034 et d’étendre les pouvoirs présidentiels. Cette réforme est justifiée par le souci de stabiliser le pays, mais qu’en est-il vraiment ?

Arbitraire et  insécurité juridique

La révolte de 2011 et la crise de 2013 ont engendré une instabilité politique mais également constitutionnelle. Dans ce chaos, le besoin de retour à la stabilité est réel, mais la révision constitutionnelle, telle qu’amorcée, ouvre la voie à un affaiblissement de la Constitution et crée un précédent inquiétant. En effet, cette opération envoie à toute la classe politique égyptienne, le signal de la possibilité de modification opportuniste de la Constitution, ce qui ouvre la voie à une instabilité constitutionnelle pour les années à venir. Cela en dépit l’existence de l’article 226 de l’actuelle Constitution, qui interdit explicitement toute modification des dispositions constitutionnelles relatives à la réélection présidentielle et à la limitation de la durée du mandat. C’est donc la remise en cause des acquis de la contestation populaire de 2011 et des aspirations du peuple égyptien à la démocratie et à l’inclusion politique.

Aussi, la constitutionnalisation du pouvoir unilatéral octroyé au Président pour nommer une autorité judiciaire (notamment le Procureur général et le Président du tribunal suprême) consacre l’affaiblissement total du pouvoir judiciaire et sa politisation. Cela ouvre donc la voie à l’impunité pour les partisans du pouvoir alors que la situation des droits de l’homme est préoccupante. Le cas de l’avocat spécialisé dans les droits humains Ezzat Ghoneim, qui est réapparu le 13 février dernier après plusieurs mois de détention secrète, a conduit le Parlement Européen à adopter une résolution d’urgence. Ces dérives pouvant faire naître  de nouvelles frustrations et donc des tensions et soulèvements, comme celles qui ont conduit à la révolte de 2011.

Instabilité économique

Les amendements de la Constitution égyptienne contiennent certes des risques juridiques mais ils en contiennent autant pour l’économie du pays qui recommence à peine à être attractive. Par l’anéantissement de la séparation des pouvoirs, notamment de l’indépendance de la justice, la révision constitutionnelle représente un risque pour la stabilité de l’économie égyptienne. En effet, les investisseurs pourraient se retrouver méfiants par rapport à la protection de leurs biens, capitaux et profits, qui pourrait être éventuellement expropriés au gré des autorités. Dans le classement Doing Business2019, et précisément sur l’indice d’exécution de contrats qui mesure, entre autres,  la qualité des procédures judiciaires et l’état de droit, l’Egypte est mal classée avec une 160ème place sur 190 pays. De même, avec la concentration d’un grand pouvoir de décision entre les mains du Président, le risque de multiplier les changements de politiques économiques s’accroit. Un tel environnement instable génère de l’incertitude et, le manque de visibilité décourage les investissements productifs pourtant créateurs de richesses et d’emplois. Avec moins d’opportunités économiques, le risque d’instabilités politique et sociale n’en est que plus amplifié.

Par ailleurs, l’introduction d’une nouvelle chambre au Parlement aura inévitablement une incidence sur le budget de l’Etat et les dépenses publiques. Cela, sans compter l’augmentation probable du budget de l’armée à qui il est confié le devoir de protéger « la Constitution, la démocratie, la cohésion fondamentale du pays et sa nature civile ». Une telle réallocation des fonds vers le secteur militaire ne peut que consolider l’économie rentière et décourager une nouvelle fois la diversification de l’économie avec des activités plus productives. Il en résultera une instabilité économique accrue car l’économie égyptienne sera plus vulnérable aux aléas de la conjoncture internationale. Or, l’instabilité économique est l’antichambre de l’instabilité politique.

Personnification du pouvoir et affaiblissement des institutions

La démocratie est caractérisée, entre autres, par l’alternance afin d’assurer l’existence d’un pouvoir et d’un contre-pouvoir plébiscités par le peuple. Les réformes tendant à concentrer les pouvoirs républicains entre les mains du Président Sissi compromettront fortement la stabilité du pays à moyen et long terme. En effet, elles encouragent le culte de la personnalité et la dépendance des institutions vis-à-vis du Chef de l’Etat.

Ainsi, les institutions ne sont pas résolument engagées dans la consolidation des principes démocratiques en Egypte. Si le Président Sissi restait au pouvoir jusqu’à 2034, l’on pourrait s’attendre à un nouveau basculement voire une perte de repères en 2034, comme ce fut le cas avant et après le départ de Mubarak Hosni. Le choix de sacrifier la démocratie pour préserver la stabilité pourrait aboutir à de l’instabilité. En témoigne le cas récent de l’Algérie où Abdelaziz Bouteflika a fini par céder à la pression populaire après plusieurs révisions constitutionnelles lui permettant de rester au pouvoir, justement au motif d’être gage de stabilité.

Enfin, au nombre des amendements proposés figure le retour du bicamérisme, précédemment aboli par la Constitution de 2014, avec la création d’une Chambre basse. Notons que le Président nommera un tiers des 250 membres que devrait abriter cette chambre du Parlement. Cette mesure fragilise la représentation populaire dans les instances de décisions. Pourtant, la population aspire à donner son avis sur les orientations majeures du pays. Cette marginalisation pourrait bien être une source de contestation et d’instabilité politique.

Ainsi, une nouvelle Constitution égyptienne rédigée dans des conditions hâtives, et qui plus est servant surtout des intérêts particuliers, en l’occurrence ceux du Maréchal Al-Sissi, ne peut être considérée comme un gage de stabilité. Seuls, la séparation des pouvoirs, l’état de droit, et des contre-pouvoirs effectifs ainsi que des politiques saines sécurisant les droits de propriété et incitant à la création de richesse, pourraient garantir la stabilité politique, économique et sociale via un inclusion politique et économique globale.