Accueil L'ENTRETIEN Immigration: des migrants «dans la misère dans leur pays d’accueil»

Immigration: des migrants «dans la misère dans leur pays d’accueil»

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Sakina Cylia Lateb, écrivaine, cheffe d'entreprise algérienne et conférencière internationale

Dans le monde, il est dénombré plus de 63 000 morts, sur les routes migratoires ces dix dernières années, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). En 2023, cette structure rattachée aux Nations unies, a recensé 2 498 personnes décédées ou disparues en tentant de traverser la Méditerranée centrale. Cette situation qui prend de plus en plus de l’ampleur préoccupe plus d’un, notamment Sakina Cylia Lateb, écrivaine, cheffe d’entreprise algérienne et conférencière internationale. Après avoir eu à échanger avec des migrants dont leur condition de vie dans leur pays d’accueil est peu enviable, elle a, de retour au pays, entrepris de mener des sensibilisations auprès, notamment, des candidats à l’immigration. Avec son agence Talwith Mediacom, elle vient en aide aux jeunes africains en difficulté et qui nourrissent l’ambition d’aller en aventure. Présent à Ouagadougou dans le cadre d’un salon du livre, nous l’avons rencontré, le 19 avril 2024, pour parler des causes, des conséquences et des éventuelles solutions pour la question de l’immigration.

Wakat Séra: Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire une œuvre sur l’immigration ?

Sakina Cylia Lateb: Après des études dans des universités algériennes, je suis allée en France pour compléter mes études. Lorsque j’ai été sur place, j’ai rencontré des jeunes venant divers pays d’Afrique, qui y sont dans la quête d’un bonheur que je qualifierai d’éphémère. Ils sont partis en France pour chercher du travail, un mieux vivre. Mais dans la plupart des cas, des jeunes ont été confrontés à de nombreux déboires, de nombreuses difficultés. Lorsque je leur ai posé la question, en leur demandant ce qu’ils cherchaient en venant en France, ils m’ont dit qu’ils voulaient mieux vivre. Mais malheureusement, ils ont été confrontés à la misère, à la précarité.

Lorsque je suis revenue en Algérie, j’ai eu l’idée d’écrire une nouvelle «Les chemins raisonnés» pour parler un peu de cette immigration acharnée des jeunes à la recherche d’un eldorado qui n’existe pas en réalité en Occident. Donc, je me suis dite pourquoi pas faire un travail psychosocial sur l’immigration, en donnant les causes, les conséquences et pourquoi pas une analyse pour des pistes de solution.

Alors, pourquoi «Les chemins raisonnés» comme titre ?

J’ai choisi «Les chemins raisonnés» parce qu’il faut se pauser un moment, réfléchir et mettre les choses au point pour essayer de s’en sortir dans la vie. Ne pas aller à l’aveuglette. Ne pas réfléchir sur l’immigration va nous conduire à des portes fermées. Donc essayons de se pauser, réfléchissons et analysons les choses de manière raisonnée posée.

Quelles sont les conséquences les plus fâcheuses de l’immigration au niveau des pays d’accueil ?

Lorsque j’ai fait le tour des associations qui viennent en aide aux jeunes migrants, dans la plupart des cas, il ressort qu’ils n’arrivaient pas à s’inscrire au chômage, ils n’arrivent pas à trouver du travail parce qu’ils n’ont pas, la plupart, des diplômes. Ils n’arrivaient pas non plus à trouver du logement parce qu’ils étaient dans une situation d’irrégularité. Après avoir bravé le désert et la mer, et voir certains de leurs camarades de voyage y restés parce que noyés ou qui ont été victimes des dures réalités de la traversée, les voilà toujours dans la misère dans leur pays d’accueil.

Lorsque j’ai demandé comment ils essaient de régulariser leur situation, ils m’ont dit qu’ils n’arrivent pas à trouver des organismes qui leur venaient en aide pour pouvoir les régulariser et traiter leurs dossiers parce qu’ils étaient très très nombreux. Cette situation qu’ils qualifient d’échec, fait que la plupart d’entre eux ont honte de revenir dans leur pays d’origine.

Donc c’est là que l’idée de création de votre agence est née ?

Oui ! Je me suis dite pourquoi pas essayer de créer une agence en Afrique. Une agence qui justement conseille ces jeunes sur leurs projets en Europe. Donc il faudrait essayer de préparer en amont ces projets avant de partir pour ne pas être confronté à cette précarité une fois sur place.

Depuis votre arrivée à Ouagadougou, vous avez eu à sillonner dans des établissements pour sensibiliser les élèves sur les questions de l’immigration, pourquoi une telle initiative ?

Je me suis dite qu’à travers mon expérience dans le domaine de l’immigration, pourquoi pas en faire profiter aux autres ? pas uniquement aux jeunes au niveau de mon pays d’origine, mais de toute l’Afrique. Je voudrais généraliser ce programme-là que j’applique en Algérie avec les jeunes à d’autre pays africains parce qu’ils en ont beaucoup besoin.

Que retenez-vous des rencontres avec les élèves ?

Au cours des rencontres avec les élèves, je reçois une certaine demande de la part de ces enfants, notamment au Burkina Faso lorsque j’interviens avec les élèves au niveau des établissements scolaires. Je retiens que la plupart de ceux-ci aspirent à aller à l’extérieur soit pour des études ou pour y travailler. Ils m’ont dit qu’ils voulaient partir en occident, mais ils ne savent pas comment faire. Donc dans les échanges, j’essaie de leur apporter mon expérience pour que ça puisse leur servir, afin qu’ils ne se retrouvent pas dans une situation de misère du fait de leur envie d’aller à l’aventure.

Vous qui êtes en contact avec ces jeunes pour leur expliquer les conséquences de l’immigration, comment expliquez-vous l’envie de ces enfants de vouloir quitter leur pays pour traverser la mer ou le désert ?

C’est le fait de construire cet imaginaire selon lequel on va réussir coût que coût en Occident. Pour ces jeunes, l’Occident est un eldorado, où on peut réussir facilement. Ce n’est pas vrai. C’est une minorité de jeunes qui réussissent. Comme je le disais un peu haut, il y a des migrants, une fois dans leur pays d’accueil, n’arrivent pas à s’en sortir. Ils essuient des échecs. Et quand c’est comme ça, il y a d’autres qui ont honte de revenir dans leur pays d’origine, parce qu’ils considèrent que ne pas réussir en Europe par exemple, c’est un échec. Alors que ce n’est pas un échec. Quand tu pars en aventure et que ça n’a pas été comme tu le voulais, il faut revenir.

On peut, même, tout à fait bien réussir en Afrique. On n’a même pas besoin de braver la mer et le désert pour se réaliser. Il y a de la richesse en Afrique.

Vous l’avez si bien dit. Quand les jeunes quittent chez eux, c’est pour aller chercher mieux ailleurs. Comment peut-on rester chez soi si, dans son propre pays, on peine à avoir du travail ?

Je suis consciente du fait que les pays africains sont en retard par rapport à l’Occident. Ça, c’est un fait. On ne peut pas le nier. Mais il est possible d’améliorer les choses. Ce n’est pas en fuyant, ce n’est pas en partant vers l’Europe qu’on va régler la situation de l’Afrique. Si ces jeunes-là arrivent à trouver le moyen de partir, s’ils arrivent à trouver l’argent pour payer à des arnaqueurs dans le but de quitter leurs pays pour l’Europe, en risquant leur vie en méditerranéen, c’est qu’ils ont du potentiel pour faire quelque chose dans leur pays.

On ne peut pas trouver des moyens pour partir, avec toutes ces difficultés, sans pour autant trouver des moyens sur place dans son pays pour améliorer ses conditions de vie. Les jeunes ont du potentiel. Je crois en cette jeunesse. C’est pour ça que j’invite les autorités publiques, les autorités africaines à travailler main dans la main pour essayer de solutionner cette question d’actualité. Pourquoi pas travailler ensemble sur des projets communs, des projets d’intérêt général pour améliorer les conditions de vie en Afrique. L’Afrique n’est pas uniquement le réservoir de l’Europe, de l’Occident. L’Afrique a des richesses, l’Afrique a du potentiel, l’Afrique a des jeunes qui sont des combattants, qui sont résilients, qui veulent se battre. Il faut juste les donner les moyens.

Quels conseils avez-vous à donner aux éventuels candidats à l’immigration ?

Pour les jeunes qui veulent partir, qui en a marre de l’Afrique, je peux comprendre. Mais il faudra partir en ayant un projet, une perspective. Ne partez pas à l’aveuglette. Ne partez pas sans avoir préparé votre avenir là-bas, sinon vous allez, dans tous les cas, essuyer des échecs. Il faut partir avec un projet. Par exemple il y a des sociétés, des ONG qui recrutent, qui ont besoin de main d’œuvre. Il faut les contacter pour trouver un contrat de travail en amont. Ne partez pas directement sans avoir tout réglé dès le départ. Si vous avez des moyens aussi de faire des projets dans votre pays, pourquoi vouloir à tout prix partir ? il y a des choses à faire en Afrique. Le mieux c’est d’y rester et chercher à se réaliser.

Entretien réalisé par Daouda ZONGO