Accueil A la une Le capital social influence-t-il l’engagement communautaire à la santé?

Le capital social influence-t-il l’engagement communautaire à la santé?

0
La confiance entre individus est indispensable dans la constitution et le fonctionnement des réseaux.

Résumé

Cet article présente une partie des résultats d’une recherche portant sur la dynamique de l’engagement communautaire aux actions de santé. De façon précise, le document analyse les relations entre le capital social et l’engagement communautaire à la santé. Il montre comment la présence des réseaux(associations, tontine, structures religieuses, etc.) pourtant considérés comme des espaces qui facilitent l’établissement des liens sociaux donc la confiance, ne suffit pas à amener les individus à coopérer, à collaborer dans le cadre des actions collectives. La faiblesse du leadership des responsables d’association, le déclin de la confiance interpersonnelle et aux structures communautaires sont autant de facteurs qui influencent négativement les relations entre le capital social et l’engagement communautaire à la santé.

Introduction

Le capital social, écrivait Coleman, «est défini par sa fonction. Il ne s’agit pas d’une entité unique, mais d’une variété d’entités différentes ayant deux caractéristiques en commun: elles consistent toutes en un aspect de la structure sociale, et elles facilitent certaines actions des individus qui sont dans la structure» (Coleman 1994:302). Le célèbre sociologue Pierre Bourdieu a défini le capital social ainsi: «c’est l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui liées à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées d’interconnaissance et en d’autres termes à l’appartenance à un groupe(…) comme ensemble d’agents unis par des liaisons permanentes et utiles» (Bourdieu 2008:102). L’auteur distingue quatre formes de capital: capital économique, capital culturel, capital symbolique et capital social. Le capital social favorise l’inscription des individus dans des réseaux, des groupes qui sont au fondement de la solidarité, de l’entraide. Robert Putman (Putnam 2015) indique que «le capital social se réfère à la valeur collective de tous les réseaux sociaux et les inclinations qui résultant de ces réseaux pour faire des choses l’un pour l’autre». Il poursuit en soulignant que le capital social est un élément essentiel de l’établissement et du maintien de la démocratie. Il relève que la diminution du capital social dans un pays entraine systématiquement une baisse de la confiance dans le gouvernement et de la participation civique. Le capital social n’est ni une propriété individuelle, ni une propriété collective mais plutôt une propriété de l’interdépendance entre les individus et les groupes au sein d’une communauté (Gouvernement du Canada 2005). Il est ce qui permet aux membres d’une communauté de déclencher une action collective, de se mettre ensemble pour atteindre un objectif. C’est cet élément qui facilite la mobilisation, l’engagement, l’élan de solidarité. C’est cette ressource qui établit la confiance, instaure la solidarité et nourrit la réciprocité. C’est dans ce sens que cet article analyse les relations entre le capital social et l’engagement communautaire à la santé. L’objectif de vérifier si le capital social considéré comme une ressource qui facilite la coopération et la collaboration contribue à l’amélioration de la mobilisation des populations en faveur des actions collectives de santé.

Méthodologie

Les données ont été collectées dans trois villages du district (Soumangou, Loanga, Ouéguédo). Ce sont environ 69 personnes composées des membres des comités de gestion des centres de santé (CoGes), des responsables de structures communautaires, des chefs de ménages. Les informations ont été recueillies à travers des entretiens individuels. Tous les entretiens ont été enregistrés avant d’être transcrits et saisis dans des fichiers world. Par la suite ces fichiers ont été importés dans le logiciel pour être traités et analysés. C’est la technique d’analyse de contenu qui a été utilisée. Dans chaque entretien, des éléments de sens ont été extraits en fonction des différents thèmes abordés par l’étude.  Pour étayer et renforcer les analyses, des extraits des discours (verbatims) sont utilisés dans le texte et mis en italique. Le capital social peut influencer l’engagement communautaire et à certaines conditions.

Résultats

 Un engagement communautaire à géométrie variable

Les résultats informent que la dynamique de mobilisation communautaire n’est pas la même dans les trois villages. Elle varie d’un village à un autre. On se pose la question de savoir, qu’est ce qui pourrait expliquer cette utilisation différentielle des réseaux. Qu’est ce qui faciliterait la mobilisation des réseaux comme ressource dans la mobilisation collective? Les résultats de l’enquête indiquent une plus grande implication des populations du village de Ouéguédo. Il ressort que ce soit l’école, le centre de santé ou les forages, les communautés ont toujours participé par une mobilisation financière et une mobilisation de la main d’œuvre. On informe qu’il existe une tradition de participation dans le village de Ouéguédo même si certains estiment qu’elle a baissé d’intensité contrairement aux années antérieures. Les données collectées informent que le rôle des organisations communautaires est déterminant dans l’engagement des populations.

S’agissant du village de Loanga, les données collectées indiquent des difficultés majeures dans la mobilisation communautaire. En effet, le bureau du CoGes qui devrait être le fer de lance pour la mobilisation en faveur des actions de santé peine à fonctionner. Même si le bureau a pu être mis en place, il éprouve d’énormes difficultés à fonctionner. Les réunions statutaires ne sont pas tenues, tous les membres ne participent pas aux activités de l’instance communautaire. Le président déclare:

«Vous savez, ici à Loanga, ce n’est pas simple. On a de sérieux problèmes pour mobiliser les gens. Ça ne va pas du tout. Regardez au niveau du bureau du CoGes, on ne peut même pas tenir les réunions.  On fait tout pour informer les populations, mais les gens ne viennent pas. Au niveau du CoGes, on ne peut rien faire du tout à cause de la faible mobilisation de la population. Depuis notre élection en 2019, on fait tout pour que les gens comprennent que le CoGes , c’est l’affaire de tout le monde mais vraiment, il faut être honnête, la mobilisation ne marche pas. (CoGes)

L’existence de réseaux sociaux à Loanga n’a pas impacté sur la mobilisation des populations à participer aux actions de santé. Le tissu associatif ne semble pas être une ressource suffisante de mobilisation dans le processus d’engagement des communautés à accompagner le CoGes pour la réalisation des actions de santé en faveur des populations du village. Contrairement à Ouéguédo, on relève qu’en dépit de la présence de réseaux sociaux, la participation communautaire tant souhaitée est très difficile à mettre en place.

A la recherche d’explication

Dans cette section, nous essayons d’expliquer les variations dans les pratiques de participation entre les trois villages en dépit de la présence des réseaux. On note que tous les trois villages comptent des réseaux(Associations, groupes d’entraide et tontine). Le bon fonctionnement de ces structures devrait créer les conditions d’une bonne collaboration et coopération entre les populations et faciliter leur implication dans les actions communautaires. On note qu’en dépit de la présence de ces structures dans certains villages, l’engagement communautaire a du mal à se concrétiser. Les populations n’arrivent pas à initier des actions collectives pour défendre les intérêts de tous et faciliter la vie du groupe. Les actions communautaires souffrent de la faible participation et implication des populations dans les actions de promotion de la santé. Quels sont les facteurs qui expliquent ces situations variables?

Le faible fonctionnement des réseaux

Pour qu’un réseau puisse servir d’espace qui crée des opportunités d’une franche et fructueuse coopération entre les individus, il reste que le réseau, lui, doit avoir un niveau de fonctionnement acceptable. Les réseaux comme les associations, les tontines, les association religieuses, reposent sur une organisation, des règles, des principes, des compétences qui constituent les éléments essentiels pour son efficacité. Il a été constaté au cours de l’étude que les réseaux disponibles dans les villages de Soumangou et de Loanga rencontraient beaucoup de difficultés dans leur fonctionnement. En effet, il est ressorti des enquêtes que le processus de mise en œuvre de certains réseaux n’avait pas respecté les règles. Un interviewé s’exprime:

«Lorsqu’il a été question de créer la tontine, il y’a eu une première réunion au cours de laquelle, des gens ont soulevé un certain nombre d’inquiétudes portant sur le choix des responsables. Car dans le village, il y’a des gens qui n’ont pas une bonne réputation, donc si ces personnes occupent des responsabilités, cela va être un frein à l’adhésion des populations et au bon fonctionnement. A notre grande surprise, une seconde réunion a été faite par quelques personnes et un bureau a été mis en place. Comme les gens n’étaient pas d’accord avec le processus, beaucoup se sont retirés et la tontine ne marche plus. C’est le cas avec beaucoup d’associations dans le village. Ce sont les mêmes personnes, parce que proches de certaines autorités coutumières, qui veulent être partout. C’est une raison qui fait que les choses bougent difficilement dans notre village. Je ne pense pas qu’il y a encore une seule tontine qui fonctionne bien à Loanga» (Homme, 32 ans).

C’est la même situation qui a été dépeinte dans le village de Soumangou, où une responsable d’association féminine relève:

«Ici dans notre village, les associations rencontrent beaucoup de difficultés dans leur fonctionnement. Tout le problème réside dans le choix des premiers responsables. Dès qu’on dit qu’on met en place une association, ce sont les mêmes personnes qui veulent occuper les postes de responsabilités. Avec l’aide de certaines autorités locales, elles font tout pour intégrer le bureau. Alors que leur seule présence constitue un obstacle, car ces personnes n’ont pas une bonne réputation. Une fois que le bureau est mis en place et qu’ils en sont membres, c’est fini les gens ne s’intéressent plus. Il faut noter que ces personnes se sont très mal comportées par le passé. En tout cas c’est une des raisons qui perturbe le fonctionnement des associations dans notre village. Tout ce qu’on tente de mettre en place ne marche pas.» (Femme, responsable d’association, 42 ans)

On note que le processus de mise en place des associations rencontre des difficultés dans certains villages. Il ressort qu’il y’a des groupes de personnes qui utilisent leurs relations avec certains tenants du pouvoir pour intégrer les bureaux des associations et autres organisations communautaires dans le seul but d’assouvir leurs intérêts personnels.  Un responsable coutumier se prononce:

«Avec les associations, les tontines, les groupements, il y a eu beaucoup de problèmes dans ce village. On a tenté plusieurs choses qui n’ont jamais marché. Cela est dû aux comportements des gens. Des responsables ont détourné de l’argent des associations, détourné des semences, des engrais, qu’ils ont vendus alors que c’était destiné aux membres de l’association. Et ce sont ces gens qui veulent toujours être devant. C’est difficile mais c’est la réalité. Ce qui fait que les gens préfèrent ne pas s’engager.» (Responsable coutumier, 56 ans).

Le leadership des responsables

On peut pourrait définir le leadership comme la capacité d’un individu à mener ou conduire d’autres individus ou organisations dans le but d’atteindre certains objectifs. On dira alors qu’un leader est quelqu’un qui est capable de guider, d’influencer et d’inspirer (Bagnasco 2012). Pour qu’un réseau fonctionne, il est indispensable qu’il dispose de leaders à même d’impulser la dynamique. Il ressort des résultats de l’étude qu’un élément qui fait la différence entre les différents réseaux repose sur les capacités de mobilisation, de conduite des membres vers l’atteinte des objectifs du groupe. Dans le village de Ouéguédo, les résultats de l’enquête montrent que le bon fonctionnement des structures communautaires repose essentiellement sur le leadership des premiers responsables. Une personne ayant participé à l’enquête donne son point de vue:

« Il faut dire que si les choses marchent bien ici dans notre village, cela est dû au comportement du chef. C’est quelqu’un qui est à l’écoute de tout le monde, il est toujours disponible. C’est quelqu’un qui, malgré sa fonction, est resté humble et proche des gens. Il est très intègre et se contente de ce qu’il a . Il gère beaucoup d’associations (CoGes Santé,  CoGes Forage, Association des parents d’élève, etc.), et tout se passe bien. A travers son comportement, sa façon de se comporter, il mobilise facilement les gens. Regardez, au niveau du CSPS, on a pu construire le magasin. Lorsqu’on a convoqué la population et qu’il a expliqué, les gens ont rapidement cotisé et les travaux ont été engagés. C’est vraiment un homme exceptionnel». (Chef de famille, 54 ans)

Il faut noter que les associations féminines sont très actives à Ouéguédo. Lors de l’enquête, nous avons pu le constater. En effet, c’est une responsable d’une association féminine qui a assisté l’équipe de recherche dans la mobilisation de population. Sa parfaite proximité avec les populations, sa disponibilité, son sens de l’anticipation font d’elle une femme très respectée et appréciée par les populations. Responsable de deux associations, cette responsable reste une personne ressource importante pour le village. Elle a une capacité de mobilisation exceptionnelle. Grâce à son leadership, elle arrive à mobiliser les femmes et à faire travailler ensemble dans l’intérêt du village et de toute la population. Une femme interrogée lors de l’enquête déclarait:

«Vous savez, c’est grâce à Madame Zoundi que les femmes arrivent à travailler ensemble. Il faut remarquer que ce sont les trois associations où elle est premier responsable qui fonctionnent bien dans le village. Les autres rencontrent beaucoup de difficultés de mobilisation. Elle su s’imposer par son honnêteté, son sens de compromis, sa transparence dans la gestion, sa façon de se comporter vis-à-vis des autres. C’est ce qui fait que les femmes se sentent à l’aise à travailler avec elle. Les femmes savent aussi qu’elle ne détourne pas l’argent et le matériel des associations à son propre profit. Et puis, il faut dire qu’elle est toujours disponible, elle aide les femmes lorsqu’elles ont des problèmes.» (Femme, membre d’une association)

Le leadership des responsables d’associations peut être considéré comme un facteur explicatif de la dynamique des actions collectives dans les différents villages. Comme indiqué plus haut, le village de Ouéguédo se distingue des autres par une meilleure organisation et une plus grande implication des structures communautaires dans les actions collectives. Dans ce village on constate que les associations facilitent la coopération entre les populations, mobilisent les populations pour leur participation aux activités du village.  Le leadership de certains responsables d’association facilite la mobilisation des populations. Par contre, on relève que dans les villages de Soumangou et de Loanga, les associations bien qu’existantes n’arrivent pas à jouer un rôle dans la dynamique de coopération entre les populations. Les premiers responsables de ces structures manquent de leadership comme certaines personnes interviewées l’ont signifié.

Le déclin de la confiance sociale

Comme le notait le sociologue Georges Simel (1991), la confiance sociale, c’est-à-dire le sentiment lié aux relations, émane des interactions individuelles et collectives. C’est à partir d’elles que les individus sont capables de créer des liens et de coopérer, collaborer avec les autres. Selon Putman (2000), la confiance sociale facilite les relations et pousse à la coopération. Comme l’écrivait Blésin(2009): «quand les personnes se mettent ensemble, elles se sentent davantage en condition de passer à l’action, car c’est «la prise de confiance dans son pouvoir de prendre la parole et d’agir, de changer l’ordre des choses, de passer de l’émotion à l’action, en somme, une confiance qui renforce la croyance dans le fait que le jeu social mérite d’être investi et joué» (Blésin, 2009, p.:148).

D’une manière générale, les résultats de l’étude indiquent un déclin de la confiance sociale. Les personnes interrogées ont laissé entendre que les gens ne se font plus confiance comme avant. Lorsque les gens s’engagent dans des interactions, ils ne donnent plus le meilleur d’eux mêmes, ils sont prudents et s’engagent à petit pas. Ils ont peur d’être trahis, que les autres ne jouent pas franc jeu avec eux. Un enquêté explique:

«Il faut reconnaitre, et c’est dans la tête des gens, que les individus ne sont plus sérieux, les gens ne respectent pas la parole donnée. Ce qui fait qu’il est difficile de faire confiance tout de suite aux gens. Il faut du temps pour observer et se faire une idée sur la personne. Même avec ça, ce n’est pas une garantie. On a du mal à saisir et à comprendre les gens. Comme il y a de plus en plus de trahison, chacun se méfie. Les déceptions venant de personnes à qui on faisait confiance, souvent à des proches collaborateurs, finissent par dissuader les populations dans leurs comportements de collaboration. Les gens se retiennent et ne s’engagent pas résolument». (Enquêté 12, 37 ans)

Dans les interactions individuelles, si les gens font confiance à l’autre, c’est parce qu’ils sont certains que l’autre poursuit les mêmes intérêts qu’eux et qu’il est digne de confiance (Bagnasco 2012; Nooteboom 2007). Ce principe de réciprocité est de plus en plus mis à mal tant dans les interactions individuelles que collectives (Abbott et Freeth 2008). Pendant que certains s’engagent dans la relation en y jetant tout leur dévolu, d’autres utilisent les liens de confiance pour se détourner des objectifs collectifs et s’orienter vers des intérêts personnels. On fait croire aux autres qu’on va dans la même direction alors qu’on utilise la relation pour faire des choses qui ne rentrent dans les attentes des autres. On utilise ainsi les ressources constituées avec d’autres personnes pour assouvir ses propres intérêts. Cette situation d’égoïsme participe au déclin de la confiance interpersonnelle. Ayant vécu de nombreuses situations désagréables, les individus sont de plus en plus réservés, utilisent beaucoup de retenue dans les interactions, ce qui ne facilite pas l’établissement rapide des liens de coopération, de collaboration, de co-construction. Chacun s’attribue un temps d’observation de l’autre de sorte à identifier des signes qui peuvent le convaincre de la sincérité des autres. La coopération devient ainsi difficile, voire problématique. Un responsable coutumier soulignait:

« Ce sont des risques qu’on prend chaque fois qu’on s’engage dans les interactions avec les autres. Le manque de sincérité des gens oblige à être prudent et à ne pas se laisser aller dans la relation sans retenue. La collaboration tend à devenir difficile» (Responsable coutumier 2, 64 ans).

Les normes de réciprocité qui devraient guider les actions des uns et des autres et renforcer la confiance entre les individus, sont mises à rude épreuve par certains au nom des intérêts personnels. Comme disait Thiébault, 2003), ces normes réduisent les insécurités, les risques et renforcent le sentiment d’appartenance de la communauté.

Les structures communautaires (associations, tontine, etc.) jouent un rôle important dans la dynamique de la participation et de la mobilisation d’une communauté. Ils sont considérés comme un espace qui contribue au développement de l’identité du citoyen et qui renforce les liens de confiance et de coopération. On pourrait dire comme bon nombre d’auteurs (Blésin 2009; Nooteboom 2007; Putnam 2000; Thiébault 2003) que les structures communautaires sont des réseaux qui jouent un rôle crucial dans les actions collectives.

Les résultats de l’enquête montrent que les structures communautaires dans les trois villages font face à une crise de confiance. En effet, il ressort que depuis plusieurs années, le nombre d’adhérents aux associations et aux tontines ne fait que baisser. D’une centaine de membres à la création, des structures communautaires fonctionnent avec une dizaine de membres dont les plus actifs ne dépassent pas cinq personnes. Un responsable d’association précise:

«Lorsque notre association a été créée en 2015, elle comptait 77 membres. On a même établi des cartes pour les membres. Et, chacun doit payer sa cotisation. Depuis 2019, on a constaté que les membres ne s’intéressaient plus aux activités. De nos jours, si on convoque une réunion, les membres qui vont prendre part ne vont pas dépasser 10 personnes. Lorsqu’on a essayé de comprendre les raisons de cette situation, des anciens membres disent que l’association ne répond pas à leurs attentes, qu’ils n’ont plus confiance aux responsables. Certains trouvent que certains responsables utilisent l’association pour s’enrichir et d’autres estiment que l’association ne leur apporte rien.  Donc ils préfèrent se retirer.» (Responsable d’association, 38 ans).  

Un autre élément qui fragilise la confiance aux structures communautaires se trouve dans les expériences antérieures. En effet, tous les villages ont déjà connu des expériences de groupement, d’association, de tontine. Les perceptions se forgeront en fonction de ce qui s’est passé. Si ces structures ont bien fonctionné et ont pu permettre aux adhérents d’atteindre les objectifs fixés, il va de soi que les populations seront toujours disponibles pour une nouvelle expérience. Mais si c’est le contraire, cela va créer de la méfiance, et souvent le refus de s’engager. Dans le village de Soumangou, il semble que les expériences de structures communautaires n’ont jamais marché. Toutes les tentatives se sont soldées par des échecs, ce qui n’a pas manqué de créer des mésententes, des suspicions qui empoisonnent les relations individuelles et collectives. Un responsable d’association explique:

«Il y a eu beaucoup d’expériences de création d’associations dans notre village. Cela a commencé depuis longtemps avec les groupements des agriculteurs, des éleveurs, mais ça n’a jamais marché. C’est toujours des problèmes d’accusation de détournement d’argent, de matériel, de semence et autres. A un moment donné, il n’y avait plus d’association dans le village. Avec la lutte contre le Sida et la promotion des activités génératrices de revenus pour les femmes, des tentatives ont été faites et on est parvenu aux mêmes résultats, c’est-à dire l’échec. Ici, il faut dire les gens ne font plus confiance. Chacun pense que si l’autre est devant, c’est pour ses intérêts personnels. Il y a une sorte de méfiance qui ne favorise pas le meilleur fonctionnement des structures communautaires »(Responsable d’association).

La question de la confiance aux structures communautaires reste un problème important dont les conséquences sont déterminantes pour l’action collective dans les villages. Il sera difficile, dans ces conditions, de mobiliser les populations autour des projets collectifs dans une atmosphère de méfiance vis à vis des associations, des tontines et autres organisation communautaires sensées d’être le fer de lance de l’organisation et de la mobilisation des populations. Il faut noter que les structures communautaires trainent beaucoup d’insuffisances qui empêchent leur bon fonctionnement. Les comportements de certains responsables, souvent en complicité avec des bailleurs de fonds finissent par convaincre sur l’impossibilité d’accorder du crédit à ces organisations. Il sera difficile dans ces conditions de créer des liens sociaux solides et durables dans un climat de crise de confiance

Conclusion

Les résultats de cette étude montrent que la seule présence des réseaux ne suffit pas à produire le capital social. Pour que les liens sociaux que ces réseaux créent soient efficaces, de sorte à enclencher la coopération et la collaboration entre les individus, l’environnement social doit présenter un certain nombre de conditions, notamment des responsables crédibles, une meilleure organisation et un bon fonctionnement des réseaux. C’est à ce prix seulement que la confiance peut s’instaurer et faciliter ainsi la mise en œuvre d’actions collectives.

Issa Sombié, Ph D

Institut des Sciences des Sociétés/CNRST – Burkina Faso

Tel: 70 1803 80, Email sombiss@gmail.com

Références

Abbott, Stephen, et Della Freeth. 2008. «Social capital and health starting to make sense of the role of generalized trust and reciprocity». Journal of health psychology 13(7):874‑83.

Bagnasco, Arnaldo. 2012. «Trust and social capital». The Wiley-Blackwell Companion to Political Sociology 252‑62.

Blésin, Laurence. 2009. «De l’affect à l’engagement. Une lecture pragmatiste du courage». Dissensus.

Bourdieu, Pierre. 2008. «The Forms of Capital». Readings in economic sociology 4:280.

Coleman, James S. 1994. Foundations of social theory. Harvard university press.

Gouvernement du Canada 2005, La mesure du capital social: document de référence pour la recherche, l’élaboration et l’évaluation de politiques publiques. Projet de recherche sur les politiques.

Nooteboom, Bart. 2007. «Social capital, institutions and trust». Review of social economy 65(1):29‑53.

Putnam, Robert D. 2000. Bowling alone: The collapse and revival of American community. Simon and Schuster.

Putnam, Robert D. 2015. «Bowling alone: America’s declining social capital». P. 188‑96 in The city reader. Routledge.

Simmel, Georg, Sibylle Muller, et Patrick Watier. 1991. Secret et sociétés secrètes. Circé Paris.

Thiébault, Jean-Louis. 2003. «Les travaux de Robert D. Putnam sur la confiance, le capital social, l’engagement civique et la politique comparée». Revue internationale de politique comparée 10(2003/3):341‑55.