Accueil A la une Mali: la guerre des vainqueurs aura-t-elle lieu?

Mali: la guerre des vainqueurs aura-t-elle lieu?

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Des rues de Bamako noires de monde lors d'une manifestation contre IBK (Ph. d'illustration)

Ils visaient la même cible qu’ils ont réussi à toucher. Si les uns ont secoué l’arbre jusqu’à ce que les autres viennent en cueillir le fruit qui n’a pu tenir plus de trois mois, l’heure semble virer aux querelles de coépouses autour du pouvoir. Nous l’avons dit dans un de nos éditoriaux, citant un adage bien connu, si «la défaite est orpheline», c’est loin d’être le cas de la victoire qui, elle, «a plusieurs pères». Et, sans que nous soyons dans une famille de parents du même sexe, les «pères» de la chute de l’ancien chef de l’Etat malien, Ibrahim Boubacar Keïta, commencent à aller vers le désamour, après une lune de miel qui aura été de bien courte durée. Le Comité national pour le salut du peuple (CNSP), au pouvoir au Mali, après le coup d’état du mardi 18 août 2020 et le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) ne sont plus trop sur la même longueur d’onde.

Visiblement, les hommes du colonel Assimi Goïta, portés en héros en son temps, et ceux de l’influent imam Mahmoud Dicko qui ont chauffé la place de l‘Indépendance, d’où est partie la déferlante qui a fait tanguer, jusqu’à ce qu’il coule, le navire battant pavillon IBK, voient, chacun, midi à sa porte. Si les militaires entendent mener la barque en solo, le M5-RFP, ne perd pas la moindre occasion pour leur rappeler qu’ils sont juste venus parachever leur action. Même si dès les premières heures euphoriques qui ont précédé l’arrestation et la démission de IBK, le M5-RFP a dit toute sa disponibilité à accompagner la junte militaire au pouvoir, l’imam Mahmoud Dicko n’a pas manqué de prévenir les «jeunes» que personne ne leur signera un chèque en blanc. Cette première sortie de l’homme de Dieu tirait sans doute son opportunité du fait que la junte a fait de Kati, le nouveau centre de décisions du Mali, et s’est érigée en seule interlocutrice de la crise, dans les négociations avec la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO).

Pire, lors de la première convocation des acteurs politico-civils du Mali autour des échanges sur l’organisation de la transition, les «jeunes» avaient royalement ignoré les «aînés» du M5-RFP, toute chose qui a fait avorter cette rencontre qui a mué en un «face to face» entre les «pères» de la «libération» du pays des mains du régime IBK. La marmite des mésententes ne saurait être pleine, si, ne s’ajoutait aux ingrédients, la volonté des militaires de conduire la transition à leur guise, eux qui ont, du reste, constitué la short list des membres du comité auquel revient la tâche de scruter à la loupe, l’ensemble des contributions, et d’en faire le tri, pour élaborer les «termes de référence consolidés» qui serviront de base à la suite des concertations nationales, fixés, en principe, de jeudi à samedi prochain.

Il n’en fallait pas plus provoquer l’ire du M5-RFP qui exige à nouveau d’être associé à l’organisation de la concertation nationale, au même niveau que la junte. Dans cette logique où, de façon sibylline et par des moyens anodins, ceux du M5-RFP qui craignent d’être boutés totalement hors du jeu, usent de tous les moyens pour désormais suggérer que le pouvoir soit remis le plus vite aux civils, le clash sera bien difficile à éviter entre les deux «pères» de la démission de IBK. De source proche de Kati, le désormais ancien président qui s’est envolé vers Abu Dhabi aux Emirats arabes unis pour des soins, aurait, d’ailleurs, conseillé aux militaires de prendre leurs distances de ces civils qui n’ont d’autre but que de parvenir au pouvoir par tous les moyens. De quels civils parlait IBK? Enigme très facile à résoudre, quand on connaît la longue dent que l’ex homme fort de Bamako a contre les cadres du M5-RFP, singulièrement, l’imam Mahmoud Dicko. Même qu’au sein du M5-RFP, la scission se précise entre les partisans d’une transition dirigée par un militaire et les contres. Comme quoi, chasser un régime semble bien plus facile que gérer le pouvoir d’Etat!

Le bout du tunnel pourrait donc bien s’éloigner pour le Mali, avec cette crise dans la crise. Sauf si, les deux camps se rabibochent au plus vite, et aplanissent la route devant eux. C’est tout le malheur qu’on peut souhaiter au Mali, déjà endeuillé au quotidien par les attaques terroristes et toujours sous embargo et sanctions d’une CEDEAO, déterminée à faire payer aux auteurs de la chute de IBK, leur témérité.

Par Wakat Séra