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Otages français au Burkina Faso: interdit d’interdire le tourisme dans le Sahel

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Louis Magloire Keumayou (Ph. twitter.com)

Depuis le retour des touristes français qui avaient été pris en otage dans le Parc béninois de la Pendjari, avant d’être ensuite libérés au Burkina Faso, une polémique est née autour de l’idée que les voyageurs français ne respectent pas scrupuleusement les consignes du Quai d’Orsay, qui leur indique les endroits dans le monde où il est parfois dangereux de se rendre.

Le rôle de tout Etat, la France incluse, est de veiller à la sécurité de ses citoyen(ne)s, tant sur son territoire qu’au-delà de celui-ci. C’est ce que fait la France à travers le ministère des Affaires étrangères dont les sections «Conseils aux voyageurs» et «Ariane» du site internet sont des outils mis à la disposition des Français.e.s pour déterminer les dangers auxquels ils pourraient faire face, dans leurs projets de voyage. Surtout dans le contexte de lutte contre le terrorisme qui est devenu une menace globale. Les pays africains subissent un préjudice considérable à cause de l’insécurité et du climat de crainte générés par la présence des forces terroristes qui opèrent souvent sur leurs territoires. L’Algérie en a payé le prix fort durant les années de braise. Entre 1991 et 2002, le conflit entre gouvernement algérien et les divers groupes islamistes a fait entre 60 000 et 150 000 victimes. C’était bien avant les attentats du 11 septembre 2001. Des ponts ont été établis entre ces groupes, notamment le GSPC – Groupe salafiste pour la prédication et le combat – et les terroristes islamistes d’Al-Qaïda, ce qui a donné naissance à AQMI – Al-Qaïda au Maghreb Islamique. AQMI étant le socle de la déstabilisation des pays du Sahel qui sont aujourd’hui en proie à une instabilité et, surtout, à un islamisme terroriste qui ont pris une ampleur inquiétante depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011. En 2013, une colonne djihadiste, partie du nord du Mali, avait commencé à descendre vers Bamako, en vue d’établir un califat islamiste dans ce pays d’Afrique de l’ouest. Grâce à l’intervention de l’armée française, ces djihadistes ont été mis en déroute. Ils continuent d’être combattus par la France et ses partenaires au sein du G5 Sahel, mais le nord du Mali reste aujourd’hui une zone de guerre. Même si elle ne s’est pas étendue vers le sud du pays, elle a atteint des pays voisins comme le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire ou encore le Niger.

Avec l’enlèvement de deux ressortissants français dans le Parc de la Pendjari au Bénin, qui n’a pas une frontière commune avec le Mali, les groupes terroristes dans le Sahel semblent avoir élargi leur périmètre d’action aux pays côtiers. Cela s’était déjà vérifié avec l’attentat de Grand-Bassam en Côte d’Ivoire, cela se vérifie cette fois encore, avec cet enlèvement survenu au nord-est du Bénin. Face à cette situation, la tentation de placer tous ces pays en zone rouge écarlate est très forte. Pourtant c’est une fausse bonne solution. Tout d’abord parce que ces pays ont subi une forte cure d’austérité dans les années 1980, pour réparer les effets de la mauvaise gouvernance de certains de leurs dirigeants. Les dommages collatéraux des programmes d’ajustement structurel et de la dévaluation à 50% de la monnaie de ces pays ont été dramatiques. L’Etat, ne disposant plus de fonds pour assurer ses missions régaliennes, s’associe de plus en plus au secteur privé pour tenir une partie de ses engagements, dans le cadre des partenariats public-privé. C’est ce qui s’est passé dans la gestion du Parc national de la Pendjari. En 2017, le gouvernement béninois et African Parks se sont associés pour réhabiliter le Parc. Un an plus tard, ce même gouvernement béninois a conclu un accord de partenariat, à hauteur de 23 millions de dollars américains, avec National Geographic, Wyss Foundation, Wildcat Foundation… pour protéger le parc. Il y a probablement eu un problème de coordination entre ces intervenants privés et les forces de défense et de sécurité, pour que les assaillants puissent traverser le (cours d’eau) Pendjari qui sert de frontière naturelle entre le Burkina Faso et le Bénin, et dont le niveau a baissé avec la saison sèche, rendant son franchissement plus facile, y compris pour des terroristes. Dans cette Afrique de l’ancien pré-carré colonial français où la coopération militaire a pris une importance disproportionnée, la France ne peut pas être aux côtés de ses partenaires africains militairement, et absente sur le terrain de toutes les autres coopérations, notamment celui de la coopération scientifique et de la coopération au développement de façon plus globale.

La lutte contre le terrorisme, qu’il soit islamiste ou pas, ne peut pas être que militaire et sécuritaire. Elle doit aussi tenir compte des impératifs économiques, culturels et scientifiques des pays dans lesquels cette lutte est menée. Il est certain que ces jeunes pays, qui sont des caricatures africaines de la France, tant par la forme très centralisée de l’Etat que par la monnaie coloniale qu’ils continuent d’utiliser sans une réflexion profonde sur l’(in)adéquation de celles-ci avec leurs aspirations propres et la volonté d’intégration politique et économique des pays africains, sont tiraillés entre plusieurs impératifs contradictoires, en plus de l’instabilité politique à laquelle ils font face. Il convient de noter que les assaillants, même s’ils semblent ne pas être très professionnels, n’ont pas choisi leur itinéraire par hasard. Entre le Bénin qui est en crise politique depuis les élections législatives du 28 avril dernier, et le Burkina Faso où la relation entre les forces de défense et de sécurité et les autorités politiques ne se distingue pas par sa sérénité, depuis la chute de Blaise Compaoré, les preneurs d’otages ont, dans une certaine mesure, pu échapper aux radars des pays, jusqu’à ce que l’intervention militaire américano-franco-burkinabè les mette en échec. Certaines personnes s’en prennent aux ex-otages qui ont bravé l’interdiction du ministère des Affaires étrangères français en se rendant dans une zone dangereuse. D’autres vont plus loin en les rendant coupables de la mort des deux soldats français (mais pas du guide béninois) morts pour les libérer. D’une part, il convient de rendre hommage à tous les héros (vivants ou morts) qui ont rendu la libération possible, mais aussi de rappeler que parmi les risques du métier de soldat, il y a celui de mourir sur un terrain d’opération. Pour mieux protéger leurs vies, la France devrait revoir sa doctrine sur les prises d’otages. Elle a déjà fait un grand pas en annonçant qu’elle ne versera plus de rançon aux preneurs d’otages. Elle devrait en faire de nombreux autres en évitant de faire une communication excessive sur les prises d’otages, et de ritualiser de façon trop solennelle leur retour. Car cela crée un appel d’air encore plus important que celui créé par la régularisation des sans-papiers. Pour finir, si l’Europe a du mal à gérer ses frontières, malgré Frontex, ce ne sont pas les pays africains qui vont y arriver avec moins d’effectifs militaires déployés et moins de moyens financiers. A force de les placer en zone orange ou rouge, les pays riches leur appliquent une double peine qui rend leur décollage économique ainsi que la lutte contre la pauvreté et les inégalités impossible. C’est pourquoi le bon réflexe serait de refuser la stigmatisation de ces pays frappés par la double violence du terrorisme et de la mise au ban de la communauté internationale en interdisant d’interdire que l’on y aille. Nous avons su être Charlie et Américains, sachons nous montrer généreux et humainement solidaires : soyons Maliens, Burkinabè, Béninois, Tchadiens, Nigériens, Tunisiens, Camerounais chaque fois que ces pays sont frappés par la folie meurtrière des barbares. L’humanité est une et indivisible.

Louis Magloire Keumayou (Twitter: @keumayou)

 Journaliste et président du Club de l’Information Africaine