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Procès Sankara: ce que Rawlings, son aide de camp et l’ex-ambassadeur ghanéen savaient du coup

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Jerry Rawlings

Les Procès-Verbaux de trois anciennes autorités à savoir feu, le président ghanéen, John Jerry Rawlings, son aide de camp, l’officier militaire à la retraite, Kodjo Sikata et l’ancien ambassadeur ghanéen au Burkina Faso sous la Révolution, Kelly Nordor, ont été lus le mercredi 5 janvier 2022, au cours de l’audience du procès du coup d’Etat du 15 octobre 1987 au cours duquel le père de la Révolution burkinabè, Thomas Sankara et 12 personnes ont été tués. Les déclarations de ces trois témoins convergent. Selon eux, les divergences, exacerbées par les tendances politiques des civiles, ont été les éléments catalyseur du drame du 15 octobre. Ces trois témoins ont déploré le fait que le régime de Blaise Compaoré a tenté « d’effacer la mémoire de Thomas Sankara » malgré le rôle important qu’il a joué sous l’avènement du Conseil national de la révolution (CNR). Ils ont aussi souligné avec insistance les implications étrangères dans l’assassinat du capitaine Noël Isidore Thomas Sankara qui « était le symbole d’une révolution ».

Le Ghana a joué une part active dans la mise en œuvre de la Révolution d’août 1983 au Burkina Faso. Le président ghanéen au moment des faits, John Jerry Rawlings, était un fidèle ami du président Thomas Sankara et à ce titre, a beaucoup soutenu le Burkina. A la période où la fusillade du 15 octobre 1987 a été faite au Conseil de l’Entente, l’ambassadeur ghanéen au Burkina Faso était Kelly Nordor, un médecin-Gynécologue-obstétricien de formation. Kelly Nordor était le doyen des diplomates au Burkina à cette époque.

«J’ai été choqué, en colère et amer quand j’ai appris la mort de Thomas Sankara »

«Blaise Compaoré et Thomas Sankara étaient de très bons amis. Pas l’amitié superficielle. Leur amitié était profonde et ça se voyait en chacun d’eux », a affirmé le regretté Jerry Rawlings au juge d’instruction. Il dit les avoir connus avant qu’ils n’accèdent au pouvoir. Pour Rawlings, il y a la main des anciens colons africains notamment la France et les Etats-Unis dans la mort de l’ex-président burkinabè. Ces puissances occidentales dont les révolutions gênaient « beaucoup », ont divisé les deux amis pour casser la Révolution qui était en ordre et marche dans la sous-région où la « plupart des chefs d’Etat régnaient sans partage ».

Il a indiqué qu’avec les divergences de point de vue entretenues par des civils, des militaires burkinabè et des mains extérieures, « Thomas Sankara craignait que Blaise Compaoré l’attaque et le mette hors-jeu. Il voyait leur relation désespérée. Blaise Compaoré avait le même pouvoir que Thomas Sankara en tant que le numéro 2 de la Révolution », a-t-il estimé, ajoutant que le ministre de la Justice à l’époque, « Blaise Compaoré, régnait par la peur alors que Sankara était adulé par le peuple dont il était proche ».

Il dit avoir été « choqué, en colère et amer » quand il a appris la mort de Sankara. Quelques jours après le drame, sur invitation du colonel Mouammar Kadhafi, ex-président de la Libye, il s’est rendu à Tripoli. A son arrivée, il a trouvé Kadhafi et Blaise Compaoré assis côte à côte. L’objet de la rencontre était de faire en sorte que la Révolution du Burkina puisse continuer. Et dans ce sens, à la fin de leur entrevue, le Guide libyen a demandé qu’ils fassent ensemble, eux trois, une photo de famille pour rassurer les populations que les autorités burkinabè ont leur soutien. Proposition qu’il a déclinée car cela allait comme si eux, ils étaient complices puisque le coup d’Etat venait d’être fait. A cette rencontre, selon ses déclarations, il a tout fait pour que Blaise Compaoré avoue qu’il a tué Thomas Sankara mais il a nié malgré ses multiples questions.

L’ex-président ghanéen John Jerry Rawlings a laissé entendre que même s’il n’a pas des preuves irréfutables, de façon affirmative, il est clair pour lui que les puissances étrangères ont travaillé à le (Thomas Sankara) liquider. La mort du père de la Révolution burkinabè selon lui, « est un complot de la puissance impérialiste». Il a rappelé que des chefs d’Etat dont Gnassingbé Eyadema, Houphouët Boigny et François Mitterrand étaient contre Thomas Sankara qui n’hésitait pas à parler de leurs agissements. Pour lui, ce qui était incroyable, c’est le fait que « certains sous le régime de Blaise Compaoré voulaient effacer la mémoire de Thomas Sankara ».

Blaise Compaoré « avait ses objectifs dès le départ »

L’ex-ambassadeur ghanéen au Burkina Faso au moment de la tuerie du 15 octobre 1987 a été très virulent dans sa déposition qui charge Blaise Compaoré. « Mon amitié avec Thomas Sankara a été spontanée vu comment il m’a accueilli à mon arrivée. Par contre, je connais très peu Blaise Compaoré qui était fuyant. Même quand j’avais besoin de son service, j’étais plus en contact avec ses collaborateurs. Mes relations avec lui étaient limitées », a déclaré Kelly Nordor.

Selon lui, la Révolution a pris un coup dur quand les divergences ont commencé. « Thomas Sankara apparaissait désarçonné (déjà) en août 1987 » quand il l’a vu à une rencontre. « Thomas Sankara s’attendait à un coup d’Etat », a-t-il soutenu. Dans son propos, il souligne que le président Sankara « soupçonnait fortement Blaise Compaoré de vouloir le renverser et prendre le pouvoir ». Il a témoigné qu’à maintes reprises, quand il a abordé le cas Blaise Compaoré, « Thomas Sankara disait » que si le numéro 2 de la Révolution « voulait le pouvoir, il suffisait qu’il le dise et venir s’asseoir à sa place ».

L’ambassadeur Kelly Nordor est sans équivoque. « La mort de Thomas Sankara procède de la volonté préméditée de Blaise Compaoré », avouant que l’ancien président du Faso était dans «une impasse politique ». A cet effet, il a dit que son pays, le Ghana et les autorités d’alors n’ont pas pris l’alerte et l’appel de Sankara au sérieux puisque le chef de l’Etat burkinabè a plusieurs fois rencontré les autorités ghanéennes notamment Rawlings pour lui parler des mésententes qu’il y avait dans son pays. « Nous sommes responsables de sa mort. Avec un recul, je me rends compte que Thomas Sankara appelait au secours même s’il ne le disait pas clairement », a regretté le diplomate qui a quitté le Burkina une année après la mort de son ami personnel.

Il a affirmé que vu les réactions de certaines puissances extérieures en son temps, le président français, François Mitterrand, Félix Houphouët Boigny, le colonel Kadhafi, les pays comme les Etats-Unis d’Amérique (USA), l’Algérie, entre autres, ne sont pas étrangers aux évènements tragiques du 15 octobre 1987. Le métronome de la diplomatie française, « Jacques Foccart n’aimait pas la Révolution burkinabè », a-t-il renchéri.  Il a souligné par la suite, le « rôle trouble et mystérieux » qu’a surtout joué le guide libyen dans cette tuerie qui a coûté la vie à plusieurs personnes dont le président Sankara et douze de ses proches camarades.

Les explications de Blaise Compaoré pour justifier la mort de Thomas Sankara « n’a pas satisfait » le président Rawlings

L’officier militaire à la retraite, aide de camp au moment des faits de Jerry Rawlings, a dit que « avant son assassinat, Thomas Sankara est venu au Ghana » pour rencontrer les autorités. « Il nous a parlé des mésententes mais visiblement il n’a pas été pris au sérieux » jusqu’à ce que le coup d’Etat du 15 octobre ait lieu. A cette rencontre, s’est-il rappelé, « malgré les divergences entre lui et Blaise Compaoré, ce qui le préoccupait, Thomas Sankara était plutôt triste pour les mouvements syndicaux qui s’agrandissaient ».

Mais, « trois à quatre jours » des tirs qui ont lieu au Conseil de l’Entente, a poursuivi Kodjo Sikata, Blaise Compaoré est venu en cachette au Ghana rencontrer l’ambassadrice du Burkina, Maïmounata Ouattara, une de ses fidèles. « Il n’a pas cherché à rencontrer une autorité » mais à son retour, on lui a fait savoir qu’on était au courant de son passage, a-t-il fait noter. Dans son PV lu à la barre du Tribunal militaire, il a aussi souligné que ni Thomas Sankara ni Blaise Compaoré ne voulaient réellement reconnaître que ça n’allait plus entre eux. « Les deux refusaient obstinément de reconnaître malgré les rumeurs persistantes qu’il y avait des problèmes entre eux », a-t-il déclaré.

Quand le coup d’Etat a été consommé, les nouvelles autorités du Burkina Faso ont commencé une tournée dans les pays pour expliquer ce qui s’était passé à la base de la Révolution. Si pour certains pays, ce sont des émissaires civils et militaires qui ont été envoyés pour accomplir cette mission, pour le Ghana, c’est Blaise Compaoré lui-même qui est parti rencontrer les autorités ghanéennes. « Les explications de Blaise Compaoré n’ont pas satisfait le président Rawlings qui le lui a fait savoir ». A partir de ce moment, « Blaise Compaoré a compris qu’il ne pouvait plus compter sur le soutien du Ghana », selon l’officier militaire. Mais en tant que pays voisin du Burkina Faso, les deux Républiques avaient travaillé à entretenir des relations cordiales normales.

Pour l’ancien aide de camp de Rawlings, dans cette Affaire, « il y a eu une conspiration pour assassiner le président Sankara ». « Je n’ai aucun élément concret », a-t-il dit au juge d’instruction lors de sa déposition, mais il « pense que la Côte d’Ivoire et la France y ont joué un rôle déterminant ». Il a ajouté que des pays, précisément « la Côte d’Ivoire et le Togo hostiles aux révolutions burkinabè et ghanéennes ». Si fait que lors des rencontres de la CEDEAO, en l’absence de Sankara et de Rawlings, des sujets étaient débattus sur les deux révolutions.

Par Bernard BOUGOUM