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Procès Thomas Sankara: le jugement suspendu reprend ce mercredi

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Le Tribunal militaire a suspendu le procès de l’ancien président Thomas Sankara et douze autres jusqu’à nouvel ordre, le lundi 31 janvier 2022 à la demande de la partie civile. Les Conseils des victimes ont évoqué un vide constitutionnel à la suite des mutineries du 24 janvier dernier qui a abouti à un putsch du Mouvement patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration (MPSR), tombeur de Roch Kaboré, qui a proclamé la suspension de la Constitution. Aux dernières nouvelles, le jugement devrait reprendre ce mercredi 2 février à 9h.

Le procès Thomas Sankara qui n’a pas pu reprendre lundi passé conformément au calendrier établi par le Tribunal militaire à cause du coup d’Etat militaire contre le pouvoir du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), a finalement repris le lundi 31 janvier 2022 à la salle des Banquets qui accueille le jugement du dossier emblématique en lien avec l’assassinat du président Thomas Sankara et certains de ses collaborateurs. Mais, à peine repris que l’audience a été suspendue selon le souhait des avocats des victimes de cette affaire.

« La Chambre de jugement a examiné les différents arguments des différentes parties. Le procès est donc suspendu pour une bonne administration de la justice », a affirmé le président du Tribunal militaire, Urbain Méda qui avait suspendu l’audience afin que les membres du Tribunal se concertent.

Les avocats de la partie évoquent un vide constitutionnel

Après avoir ouvert l’audience, le président Urbain Méda a donné, comme déjà arrêté, la parole aux avocats de la partie civile pour leurs plaidoiries. Les Conseils des victimes ont soutenu que la reprise du procès a une semaine de la suspension de la Constitution qui n’est toujours pas rétablie pose problème.

Leur doyen, Me Prosper Farama, qui a pris en premier la parole, a d’abord dit son « soulagement » de constater « la reprise » du procès malgré les rumeurs qui ont couru sur la libération de certains accusés ou de la non poursuite du jugement de l’affaire qui dure 34 ans. « Nos inquiétudes sont purement juridiques et techniques » vu que les nouvelles autorités ont dissout le Texte fondamental du Burkina Faso, a-t-il enchaîné, fondant son inquiétude sur le fait que les décisions peuvent être « attaquées par une des parties pour irrégularité » devant des juridictions internationales.

Me Prosper Farama a évoqué les articles 121, 125, 129 et 131 du Code de la justice militaire pour soutenir ses arguments sur la garantie des droits et libertés individuels dont se fait garant la Constitution qui elle-même n’existe pas actuellement. « Vu la situation nationale, aujourd’hui, un problème de droit s’impose. Nous ne voulons pas d’une Justice rapide, une justice expéditive », a-t-il martelé, estimant qu’au regard de la suspension de la Constitution, « le droit n’est pas garanti » puisque le « Conseil constitutionnel ne peut pas se saisir des questions de constitutionnalité ».

Le doyen des avocats de la partie civile a répété que « notre souhait n’est pas de faire un procès pour un procès. Notre volonté est qu’on n’aie pas d’irrégularités » à l’issue de la prise des décisions. « Nous allons prendre un peu de temp mais si c’est pour gagner en crédibilité, nous sommes partants », a-t-il réitéré.

« Ce n’est pas de gaieté de coeur que nous demandons la suspension du procès. Nous ne pouvons pas faire comme si rien ne s’était passé ou comme si de rien n’était. Nous voulons une sécurité juridique », a déclaré Me Anta Guissé inscrite au barreau de Paris, avocate de la famille Sankara. Son confrère Me Ferdinand Zepa, a souligné qu’avec la suspension de la Constitution, toutes les institutions sont dissoutes. Alors pour lui, se pose naturellement « la légalité des décisions » que la Chambre jugement du Tribunal militaire viendrait à prononcer. C’est pourquoi il rejoint sa consœur Anta Guissé pour affirmer qu' »il est plus sage de suspendre » l’audience pour s’assurer de « l’inattaquabilité » du procès en attendant une clarification de la situation nationale.

Le juge Karfa Gnanou, Agent Judiciaire de l’Etat (AJE), a soutenu la position de la partie civile en partageant ses inquiétudes. « Nous soutenons fermement la demande de suspension de l’audience », a demandé l’AJE.

Des avocats de la défense partagés sur la demande de suspension au regard du vide constitutionnel

Les Conseils des accusés étaient partagés sur la demande formulée par la partie de voir suspendre le jugement pour attendre le retour à un ordre constitutionnel normal. Le premier groupe, la majorité, disent s’en remettre au Tribunal qui devra apprécier et statuer selon ce que recommande le droit en pareille circonstance. Mais, l’autre partie qui souhaite que le jugement se poursuive a fait valoir ses arguments juridiques.

« Vous rendez la justice au nom du peuple burkinabè et non de la Constitution », a affirmé Me Mamadou Sombié, l’aîné de la confrérie des Conseils des accusés. Me Sombié a ajouté que cela fait le sixième ou le septième coup d’Etat mais il « n’a jamais vu un procès parce qu’on a suspendu la Constitution ». Selon Me Ollo Larousse Hien, avocat de l’accusé Tondé Ninda Pascal dit « Mããng Naaba », le Tribunal militaire doit « purement et simplement rejeter » la demande la partie civile.

« Il n’est pas bon que cette audience soit suspendue car la loi n’est pas suspendue », a proféré Me Hien qui a estimé que la suspension de la Constitution « ne met fin à la vie de la nation ». « Est-ce que le Code militaire est suspendu », s’est interrogé Me Ollo Larousse Hien, signifiant que « la question de la partialité de la Chambre de jugement qui est posée est un faux débat car rien n’a changé dans l’équipe qui conduit ce procès depuis son début ».

Le parquet est allé dans le même sens que la deuxième tendance des avocats de la défense en demandant au Tribunal militaire de poursuivre le jugement. « C’est un débat politique » que la partie civile fait, a indiqué le procureur militaire qui s’est dit d’ailleurs étonné de cette attitude des avocats des victimes car « le pouvoir judiciaire est indépendant ». Le parquet militaire pense que « ce n’est pas le lieu ni le moment de débattre de la suspension de la Constitution à ce procès car il ne voit pas sa nécessité ».

Constitué de 20.000 pages, le dossier de l’affaire du panafricaniste, Thomas Sankara et douze autres, est très attendu par l’opinion nationale et internationale. Quatorze personnes dont l’ex-président Blaise Compaoré et son fidèle, le général Gilbert Diendéré, ex-chef d’état-major particulier, sont poursuivis dans cette affaire pour « attentat à la sureté de l’Etat, complicité d’assassinat, recel de cadavres et subornation de témoin ».

Aux dernières informations, le procès reprendra ce mercredi 2 février.

Par Bernard BOUGOUM