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RD Congo: la «fuite en avant» de Kamerhe

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L'ancien directeur de cabinet du chef de l'Etat de la RD Congo, Vital Kamerhe

Connaissez-vous Vital Kamerhe? Tous les Congolais le connaissent, même les enfants en bas âge. Eh bien, cet homme d’Etat, jugé et condamné en juin 2020, à 20 ans de prison, pour «détournement» de près de 50 millions de dollars du Trésor public et de «corruption aggravée», s’est envolé «officiellement», le mardi 4 janvier pour une destination inconnue. Après avoir bénéficié, un mois auparavant, d’une liberté provisoire.

Et pour cause. Le prisonnier, qui jouissait d’une santé céleste avant son emprisonnement, serait tombé fort malade, juste deux mois après son incarcération. Dès lors, Il devrait recevoir des soins appropriés dans une clinique à l’étranger, spécialisée en «maladie imaginaire». En l’apprenant, Molière ne manquerait pas de se retourner dans sa tombe.

La genèse a tout d’un roman politique croustillant. Malgré la gravité de l’affaire, et les détails l’ont bien démontré à travers une série d’audiences foraines tenues à la prison centrale de Makala (ville de Kinshasa), les astuces propres au «génie congolais» ont permis, d’abord, sa mise en liberté provisoire. Ensuite, l’autorisation de sa pérégrination dans une île idyllique, à travers le monde, dont le nom reste encore caché.

Ce qui se pensait chez des personnes taciturnes, ce qui se disait tout bas, entre les individus indiscrets et ce qui se clamait par des bavards impavides, a fini par se réaliser: «L’Affaire Kamerhe est une distraction de mauvais goût; on finira par le libérer», imaginait-on, avec conviction. On en est à cette vérité, moins de deux ans après.

Les rêves et le serment brisés

«L’Affaire Kamerhe!». Dès le début, c’est une affaire compliquée, dont l’écume cache le fond. Directeur de cabinet du président de la République et allié de ce dernier par «serment», scellé à Nairobi (Kenya), Kamerhe devait succéder à Félix Tshisekedi à la fonction suprême.  Juste après un mandat exercé par ce dernier. Puis, patatras, tout se brouille, d’un coup! Le rêve… et peut-être le serment du Kenya sont brisés. Kamerhe, l’un des plus pointus politiciens congolais de ces deux dernières décennies, est jeté en prison.

A ce stade, et après un jugement controversé, les nuages restent encore compacts dans la mémoire des Congolais. Pris par les uns (ses adeptes) pour un jugement à caractère politique et par d’autres pour un service équitable -pour une fois-, rendu par la justice congolaise d’ordinaire bancale, contre un fin voleur», le champ d’interrogations s’est largement ouvert. La première pose le postulat qui veut que le chef de l’Etat, Tshisekedi, était au courant du cambriolage effectué par son allié, sinon un «complice actif». Comment un détournement de cette ampleur pouvait se faire à l’insu du chef hiérarchique du directeur de cabinet, qui n’est autre que le président de la République en personne, observait-on, pince-sans-rire?

Cette question n’a été d’ailleurs posée à aucun niveau d’investigation ordinaire, ni à celui de la justice. Pour une certaine opinion, une sorte de mystère continue d’envelopper cette affaire rocambolesque. Que cache l’acharnement, qui a précipité la chute de Kamerhe, jusqu’à l’amener au gnouf, après un procès mené tambour battant par une justice visiblement aux ordres? De fait, on a même entendu un juge vociférer à l’endroit de l’accusé un «tu ne l’échapperas pas». Que cache, encore une fois, cette libération mijotée sans doute de longue main, qui n’aurait pas reçu l’aval du chef de l’Etat? Libération, puis tout de suite après escapade vers des hôpitaux d’autres cieux? Pourquoi tenir secrètes toutes ces manœuvres dignes des républiques bananières? La réponse est classique: «C’est pour le protéger de ses ennemis politique», allègue-t-on.

«Toi aujourd’hui, moi demain»

On se trouve donc devant un beau paradoxe: Tshisekedi présumé l’accusateur, qui aurait orchestré l’emprisonnement de Kamerhe, pour se débarrasser d’un concurrent; en même temps, Tshisekedi -le même-, qui serait à la manœuvre pour sa libération… et même pour sa «fuite», en dehors du pays. A la réflexion, l’hypothèse qui se vérifie sans nuances est qu’une fois arrivé au sommet de l’Etat et obnubilé par les lustres du pouvoir, l’allié de Kamerhe avait vite fait de jeter le serment de Nairobi aux orties. Le fait de s’être déclaré candidat avant la lettre en est un des signes évidents. Le pouvoir ne se partage point de cette manière. Homme à plusieurs diplômes supérieurs, largement plus instruit que son comparse, Kamerhe aurait dû comprendre que le principe de «réciprocité positive» en politique n’est pas de mise: «Toi aujourd’hui, moi demain». C’est une illusion.

Au regard de cette situation, et en guise de conclusion, il faut dire que le vin est tiré pour Kamerhe. Il est déjà mis hors circuit. A tout le moins, dans ce que l’on pourrait appeler une «fuite en avant», car la casserole qu’il traîne -quelles qu’en soient les aménagements à effectuer par son allié pour amortir le choc-, aura une résonance pour des décennies. Tshisekedi, pour autant, est encore loin de gagner la partie. En tolérant la mise en liberté provisoire de Kamerhe, dans le but de bénéficier de la sympathie des habitants des deux provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, fief de ce dernier, est une affaire à vau-l’eau. Dans cette partie de la République, sans doute plus qu’ailleurs, Tshisekedi fait piètre figure.

Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais réfugié en France