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Sanctions de banques: les éclairages d’un ancien banquier et expert en finance internationale

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Dans des publications, la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), a sanctionné deux banques burkinabè pour manquements et infractions à la réglementation en matière de Lutte contre le Blanchiment de Capitaux et du Financement du Terrorisme (LBC/FC). Mais, ces manquements et infractions ne sont nullement liés à un quelconque financement du terrorisme comme l’a excessivement titré dans une de ses parutions, Wakat Séra. Dans cet entretien, Talata B. Sibidou, ancien banquier et expert en finance internationale montre en quoi il est erroné de considérer que des manquements à la réglementation en matière de LBC/FT à un lien avec le financement du terrorisme. « Les populations doivent retenir qu’aucune banque au Burkina Faso n’a financé le terrorisme ou n’a favorisé le financement du terrorisme », s’est-il voulu formel.

Quel commentaire faites-vous de la polémique née à la suite de notre publication du 3 octobre dernier jugée excessive ?

Merci pour votre approche ! C’est le mérite de votre journal de chercher à s’approcher d’une source pour bien comprendre réellement de quoi il en retourne. C’est vrai que nous avons tous été désagréablement surpris de constater l’information erronée, fausse qui a été balancée à l’opinion avec bien entendu des conséquences qu’on peut avoir à redouter. De quoi il s’agit exactement ? C’est une situation de contrôle habituel du régulateur qui est le système de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) notamment par l’entremise de la Commission bancaire. Cette Commission a périodiquement des contrôles sur l’ensemble du secteur bancaire de la zone UMOA (Union monétaire ouest-africaine). Ces contrôles de la Commission bancaire se font suivant des thèmes et le dernier contrôle suivi de sanctions de deux banques burkinabè, dont on parle actuellement portait sur la thématique de la conformité des dispositifs de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.

Le contrôle porte sur quoi exactement ?

Comme je l’ai dit, tout dépend de la thématique du moment objet du contrôle de la Commission bancaire. Le contrôle dont il s’agit ici, il a porté sur la thématique de l’application effective de la loi 016-2016 relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme au Burkina Faso. Il faut noter que le secteur bancaire est un secteur extrêmement normé et cela se comprend aussi. Pour l’application de cette loi, il y a un dispositif imposé à chaque banque de l’espace UMOA et sa conformité doit être constamment suivi, contrôlé, évalué et corrigé éventuellement. Ce travail se fait au quotidien par l’organisation interne de la banque et périodiquement par la Commission bancaire et le Trésor public. Les questions de conformité aux normes au niveau des banques, sont des questions très rigoureuses. Et c’est à ce titre que justement sur le dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, il y a une mission de la Commission bancaire qui est venue au Burkina Faso au mois de novembre 2021. Cette mission a décelé un certain nombre de manquements ou insuffisances au dispositif. Les manquements au dispositif, ça peut être quoi ?

De façon concrète comment la Commission procède ?

De façon concrète, quand la Commission bancaire vient trouver par exemple au niveau d’une banque, que par exemple les normes de connaissance d’un client ne sont pas correctement respectées, alors ces insuffisances doivent être relevées et éventuellement sanctionnées. Toute entrée en relation avec un client doit commencer par un bon remplissage de la fiche KYC (Know Your Customer) ou Connaissance du Client et les pièces nécessaires à une bonne identification du client doit être collectées et régulièrement mises à jour. Ce processus d’identification et de vérification de l’identité du client dans lequel une série de contrôles sont appliqués, ont pour but d’éviter que les relations avec des personnes liées au terrorisme, à la corruption ou au blanchiment de capitaux. Cette fiche KYC comporte des points qu’il faut obligatoirement renseigner. Et si elle n’est pas intégralement ou correctement renseignée, ce sont des manquements qui peuvent vouloir des sanctions. On vous dit par exemple que le client qui veut ouvrir son compte chez vous, vous devez prendre une copie de sa pièce d’identité, la pièce d’identité a un délai de validité. Donc, dès que ce délai de validité expire, vous devez forcément contacter le client pour avoir sa nouvelle pièce qui est valide et si la Commission bancaire vient trouver que vous n’avez pas récupéré la nouvelle pièce alors un c’est un manquement ou une insuffisance qu’on relève contre vous en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Un autre exemple d’information à donner et qui fait malheureusement des gorges chaudes entre les agents de banques et les clients, c’est l’obligation de renseigner la fiche KYC avec le nom de la mère. Combien de clients acceptent facilement donner le nom de leur mère ?

Vous avez dû constater que beaucoup de banques ont recruté des agents qui passent permanemment le temps à rappeler certains clients pour leur demander Monsieur X, votre CNIB a expiré, est-ce que vous pouvez le copier ou scanner et nous l’envoyer. Imaginez le travail colossal avec des milliers voire des millions de clients. Ce n’est pas facile mais l’objectif c’est d’obliger les banques à avoir un portefeuille clientèle permanemment fiabilisé. Que ce soit pour les clients personnes physiques ou morales (registre de commerce, identités des dirigeants, etc), les informations collectées doivent complètes, correctes, à jour et justifiées ou prouvées pour avoir un portefeuille viable.

« Il est très difficile de financer le terrorisme que vit le Burkina par le circuit formel des banques de la place »

Des manquements ou insuffisances peuvent être recensés au niveau du système d’information de la banque. Vos manuels de procédures et vos logiciels doivent être paramétrés de sorte à vous permettre de déceler toute opération peu ordinaire voire suspecte. Par exemple, un ancien client de plusieurs années qui ne reçoit jamais de sommes de plus 100 000 FCFA sur son compte et puis un coup, il reçoit 10 000 000 FCFA, cette opération doit alerter, elle doit être immédiatement checkée et déclarée à la Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières (CENTIF). Cela ne veut pas forcément dire qu’il y a blanchiment ou financement du terrorisme, mais il faut se rassurer quand même. Si une banque oublie ou néglige de le faire, c’est un manquement qui peut être sanctionné sur le plan disciplinaire par la Commission bancaire.

Les systèmes d’informations des banques et leurs manuels de procédures doivent strictement respectés et surveillé permanemment pour éviter que des esprits malveillants, ceux qui veulent blanchir l’argent, ceux qui veulent faire du financement du terrorisme ne passent pas le système bancaire. C’est pour cela que la Commission bancaire est très regardante sur ce secteur qui relève de son champ de compétences. Et cela m’amène à dire qu’il sera très difficile de financer le terrorisme que vit le Burkina par le circuit formel des banques de la place.

Avant l’intervention de la Commission bancaire, est ce qu’au niveau de chaque banque, il y a un comité ou une commission interne qui veille à ne pas tomber dans ces manquements ?

Absolument ! Chaque banque a tout un dispositif organisationnel. Il y a un organigramme qui prévoit par exemple que vous devez avoir en fonction de votre taille des départements ou directions distincts qui s’occupent : de la conformité ou compliance ; de l’audit ; du contrôle interne ou contrôle permanent ; du risque. Toutes ces directions distinctes appartiennent à ce qu’on appelle la fonction contrôle. A côté de cette organisation interne, il y a les Commissaires aux comptes et le Conseil d’Administration qui assurent une mission de contrôle. C’est en parallèle à ce dispositif organisationnel que la Commission bancaire passe périodiquement faire son contrôle thématique. Le but est pour verrouiller autant que possible tout le système pour minimiser les failles parce que le système parfaitement inviolable n’est pas. La banque, malgré que ce soit un secteur réglementé, verrouillé et discipliné en termes de rigueur à observer, n’est pas pour autant à l’abri des activités malveillantes de toutes natures.

Est-ce que le Burkina de par le passé a déjà connu des cas de sanctions d’une de ses banques ?

Oui ! De mémoire comme ça, je ne peux pas vous donner des noms précis de banques. Mais cela a toujours existé et ça existera toujours. Chaque année, il y eu et aura des banques de la zone qui ont pris ou prendront des sanctions pour X ou Y raisons au niveau de la Commission bancaire. Ce qui est arrivé aux deux banques burkinabè et dont les raisons officielles de la sanction ont été malheureusement déformées et détournées pour faire du sensationnel, du scoop et les choux gras au niveau d’une certaine presse actuellement, ce n’est pas quelque chose de nouveau. La coïncidence de cette actualité avec l’autre actualité qui est plus préoccupante liée au terrorisme, c’est ça qui désole et qui peut laisser penser qu’il y a véritablement d’autres visées ou d’intentions dissimulées. Ce que les acteurs du secteur ne comprennent pas, c’est que pour des sanctions liées à une thématique qui est générale : « Lutte contre le blanchiment de capitaux et financement du terrorisme (LBC/FT) » que dans l’intitulé on ait occulté tout le volet lié au blanchiment de capitaux pour ne retenir que le financement du terrorisme en insinuant que ces banques ont été sanctionnées pour financement du terrorisme.

En réalité, on doit retenir qu’aucune banque au Burkina n’a financé le terrorisme ou n’a favorisé le financement du terrorisme. Parce que soutenir le contraire, c’est grave.

Quand on dit qu’une banque pour des failles dans son organisation n’a pas pu cerner certaines opérations qu’on pourrait soupçonner d’être liées à des activités illicites et criminelles, c’est grave. Et si c’est vrai, on doit sanctionner sévèrement une telle banque. A plus fort raison, dire, qu’une banque finance le terrorisme alors que cela n’est pas vrai, voilà le caractère gravissime d’une telle accusation.

« Les terroristes vont apporter quoi en retour aux banques si ce n’est que massacrer les populations qui sont ses clients »

Ce serait d’ailleurs aberrant qu’une banque prenne l’argent des populations pour aller financer des terroristes contre ces mêmes populations. C’est une situation qui me paraît curieuse car la banque a pour vocation de vendre de l’argent pour faire du profit. C’est ça sa vocation. Elle a été mise en place pour ça. Mais financer du terrorisme en contrepartie de quoi ? Ces terroristes vont lui apporter quoi en retour si ce n’est que massacrer les populations qui sont ses clients et bousiller toute l’économie du pays. Vous voyez, c’est de la pure aberration. La banque vit justement que par rapport à ce que ses clients peuvent lui apporter en termes d’épargne et de façon générale des produits de leurs activités économiques. Si par extraordinaire, une banque doit se livrer à ce type d’opération pour aller massacrer ses propres clients, elle court véritablement à sa propre perte. Ça c’est quelque chose qu’on doit déplorer dans l’information erronée et grave de conséquences qui a été balancée par le journaliste.

Si ceux qui ont balancé ce titre avaient pris le temps de lire la publication sur le site de la BCEAO ou de la Commission bancaire, ils auraient compris ce qui en est exactement parce que la décision qui a été publiée sur ces deux sites, même si ce n’est qu’un extrait, est aux antipodes ces journalistes ont écrit. C’est une décision et pour ceux qui ont eu l’avantage de lire intégralement, elle est d’environ une dizaine de pages avec tout ce qu’il y a comme considérants, griefs et motivations juridiques, avant d’en arriver à la décision finale. Il faut déplorer la légèreté avec laquelle une telle question sensible a été traitée.

Malgré la bonne foi du journal en publiant l’article qui jasé, selon les acteurs du domaine, cela est beaucoup préjudiciables aux banques. Quelles peuvent-être les conséquences que peut causer notre écrit ?

Avec ce que nous voyons à travers cet article, c’est que mine de rien, on ne se rendent pas compte qu’à travers ce type d’informations, on peut entrainer le pays dans l’abîme. Au-delà du secteur bancaire que l’on fragilise gravement, le pays tout entier peut s’effondrer. Les Burkinabè ne doivent pas se permettre ces genres de situations. Déjà le pays est ciblé au niveau du Groupe d’Action Financière (GAFI). Vous savez que depuis un certain temps que le pays est inscrit sur la liste grise. Si nous nous amusons, on va nous mettre sur la liste noire et ça sera la catastrophe. Aujourd’hui le pays est déjà pénalisé du fait qu’on est inscrit sur la liste grise parce qu’un certain nombre de partenaires et d’institutions financières refusent de collaborer avec nous.

Donc, cela fait des pertes financières énormes pour l’économie nationale. Que des journalistes burkinabè aggravent cette situation avec ces genres d’informations inexactes, on est fondé à s’interroger sur leurs motivations. Ces journalistes qui ont véhiculé ces fausses informations ont leurs parents et amis qui travaillent dans les banques. Qu’est-ce qui pourrait arriver si certains esprits faibles prennent cette information, au pied de la lettre. Ils vont s’attaquer à des banques innocentes. C’est combien de Burkinabè qu’on va mettre dans la rue en termes d’emplois directs et indirects. L’autre conséquence que ces journalistes n’ont pas vue c’est que cette fausse information peut amener certains clients, qui peuvent prendre cette information pour argent comptant, s’indigner que leurs banques financent des terroristes, d’autres clients peuvent avoir peur parce que leur banque risque d’avoir des problèmes et ils décident aller retirer leur argent pour le sécuriser ailleurs. Vous savez, les conséquences peuvent être terribles. Donc, ce type d’information peut engendrer la catastrophe pour une banque, tout le secteur bancaire ou toute l’économie d’un pays.

Image d’archive guichet automatique de banque

C’est pour cela qu’il est prudent de vérifier au préalable ce type d’information. Si c’était vrai, personne ne peut s’en plaindre quelles que soit les conséquences. On peut les déplorer mais personne ne peut être fondée à soutenir une banque qui se livre effectivement à des activités de financement du terrorisme. Elle doit être dénoncée, sanctionnée et fermée. Et si cette histoire devait être vraie, on ne va pas s’arrêter à des sanctions purement disciplinaires comme celles de la Commission bancaire. La CENTIF devait s’en saisir pour enquêter et ensuite saisir les juges compétents parce que c’est criminel. Mais, on n’a pas vu une décision pénale condamnant une banque ou un client d’une banque pour financement du terrorisme et voilà qu’un journal voit autre chose là où il n’en est rien.

« Nous osons croire que c’est juste une simple maladresse et une ignorance de bonne foi qui a conduit à cette information malheureuse »

Aujourd’hui, je crois que les Burkinabè ont compris toute de suite que derrière l’information il y a eu une maladresse et de la naïveté. Certains acteurs du secteur bancaire de façon générale avaient pensé qu’il y avait une sorte de malveillance derrière, car au regard du contexte du terrorisme que le pays vit, il y a légitimement lieu de penser que cette information erronée pouvait être comprise comme le début d’un terrorisme économique et financier que des suppôts des terroristes qui endeuillent le pays, ont déclencher contre le secteur bancaire. Rien n’est à négliger ou exclure.

Mais nous osons croire que c’est juste une simple maladresse et une ignorance de bonne foi qui a conduit à cette information malheureuse. Que les uns et les autres se ressaisissent et travaillent à corriger pour repartir vers la population avec la bonne information. Aucune banque du Burkina Faso n’a jamais été condamnée ou sanctionnée pour financement de terrorisme. C’est ça la vraie information. Il y a eu des sanctions disciplinaires contre des banques pour des manquements ou des insuffisances dans leur dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Le fait d’avoir coupé l’intitulé de la thématique pour ne retenir que cet intitulé tendancieux et incitateur « pour le financement du terrorisme » laisse perplexe, surtout dans ce contexte où le pays souffre atrocement du terrorisme. Cette information erronée est jetée curieusement dans ce contexte aggravé par une actualité socio-politique surchauffé par un nouveau coup d’Etat dont la trame porte sur le terrorisme, il y a comme une volonté manifeste de nuire et ça c’est vraiment déplorable. Nous ne devons pas laisser passer ces genres d’information parce que ça peut nuire fatalement au secteur bancaire.

« Là où il y a le bruit, l’argent n’aime pas ça »

Nous remercions tous les journalistes qui ont été sensibles à cette situation qui ont souhaité comprendre davantage ce qui s’est réellement passé. De tels efforts pour aller à la bonne information, sont importants. C’est vrai que certains considèrent à tort ou à raison que le secteur bancaire est un refermé sur lui-même. Quel que soit le pays du monde, ce n’est pas aussi facile de faire parler les banquiers. Ils gèrent le nerf de la guerre comme on le dit vulgairement et l’argent n’aime pas le bruit. Là où il y a le bruit, l’argent n’aime pas ça.  Il fuit.

Vous voyez aujourd’hui, le bruit qu’on a créé autour du secteur bancaire à travers les banques dites sanctionnées par la Commission bancaire de la BCEAO, ce bruit peut desservir énormément le secteur bancaire et par ricochet le pays. Donc il faut que les uns et les autres aient ce réflexe quand il y a une préoccupation de ce genre, que les médias cherchent véritablement à comprendre pour ne pas surtout verser dans le sensationnel. Il faut aborder les choses avec beaucoup de mesures, prendre le recul nécessaire sinon on ne rend pas service au pays surtout qu’on est dans un contexte très fragile lié au terrorisme et à la liste grise, c’est toute l’économie qui en pâtit et ce n’est pas facile.

Qu’avez-vous à dire sur les acteurs du secteur comme certains des confrères qui mesurant les dommages de l’article incriminé se sont levés pour éclairer la lanterne des populations ?

Je voudrais remercier et féliciter l’ensemble des acteurs de la presse, ceux qui ont compris qu’il faut se lever tout de suite pour repartir à la bonne information pour sensibiliser les uns et les autres par rapport à ce qui s’est réellement passé, c’est-à-dire le contenu de la vraie information. Il faut aussi féliciter les acteurs du secteur, le régulateur BCEAO et le ministère des Finances qui ont vite réagi pour recadrer cette situation. Il y a surtout les acteurs du secteur bancaire lui-même qui à travers sa faîtière qui est l’Association Professionnelle des Banques et Etablissements Financiers du Burkina (APBEF-B) a très vite réagi par un communiqué pour essayer de corriger cette information fausse et rappeler les uns et les autres à leur responsabilité et au calme. C’était important et on peut véritablement féliciter tous ces acteurs pour la prompte réaction qu’ils ont eue. Il faut espérer que les journalistes qui ont diffusé cette fausse information vont prendre la mesure de l’affaire pour éviter à l’avenir une telle situation malheureuse.

Par Wakat Séra