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Un nouvel espoir de paix au Mali ?

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Soumaïla Cissé (à gauche) et Ibrahim Boubacar Keïta (Ph. maliactu.net)

La chargée de communication du secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO/OCDE), Julia Wanjiru, dans cet article analyse la situation socio-politique au Mali dans le contexte de la présidentielle en cours. Elle en vient à se demander si ce processus laisse  penser à un nouvel espoir de paix.

L’élection présidentielle du 29 juillet est considérée par certains comme un « tournant » dans le processus de consolidation politique et institutionnelle qui s’est amorcé depuis le début de la crise de 2012. Pourtant, son résultat ne provoquera probablement pas les changements profonds attendus pour mener à une paix durable. Une grande partie du nord du pays est toujours en proie à l’insécurité, malgré la présence des forces maliennes, françaises et internationales et l’installation récente de la nouvelle Force conjointe du G5 Sahel. Dans ce contexte, la capacité à organiser des élections relativement « paisibles », y compris sur le plan logistique, est déjà une réussite.

Quelque huit millions de citoyens maliens repartis sur 23 041 bureaux de vote avec plus de 3 000 observateurs, ont été appelés à se prononcer pour l’un des 24 candidats (dont une seule femme).  Mais parmi eux, seulement 3.4 millions d’électeurs se sont finalement rendus aux urnes. Compte tenu de cette faible participation, qui s’élève à 43 % contre 49 % en 2013, le vainqueur du second tour des élections, qui se tiendront le 12 août, aura une légitimité politique limitée. La plupart des Maliens sont indifférents ou simplement soulagés que les élections se soient déroulées sans trop de violence. Une proclamation rapide et sans polémique des résultats  contribuerait  sans doute à apaiser le climat social.

 « Les principales priorités des Maliens sont la sécurité alimentaire, la bonne gouvernance, l’accès aux services de santé et l’eau, la réduction de la pauvreté, et la croissance économique » Afro Baromètre

En 2013, le président Ibrahim Boubacar Keita (IBK) avait été élu sur la promesse de résorber la violence et, en 2018, sa campagne a, à nouveau, porté essentiellement sur la sécurité. Pourtant, la grande majorité des Maliens se soucie avant tout de questions économiques vitales. Selon les résultats de l’étude de l’Afro Baromètre 2017, la sécurité alimentaire, la bonne gouvernance, l’accès aux services de santé et à l’eau, la diminution de la pauvreté et la croissance économique font partie des premières préoccupations  de la population. « La grande majorité des Maliens estime que le gouvernement a obtenu des résultats « plutôt mauvais » ou « très mauvais » concernant les questions prioritaires, notamment la stabilité des prix (79 %), la diminution des écarts de revenus (78 %), l’amélioration du niveau de vie des pauvres (75 %), la création d’emploi (74 %) et la garantie que chacun puisse se nourrir suffisamment  (66 %) (Afro Baromètre du 4 juillet  2018).

Défis démographiques et spatiaux

De toute évidence, le gouvernement malien n’a pas avancé assez vite dans la mise en œuvre de son plan de développement intégré pour les régions du nord.  La population qui y vit ne ressent pas (encore) l’impact des actions menées pour développer les services sociaux de base. Étant donné l’immensité des attentes et des besoins, il est difficile d’établir des priorités. Le gouvernement a par exemple décidé de créer deux nouvelles régions, Ménaka et Taoudéni. Cette dernière est une immense zone désertique peu peuplée, et abrite probablement quelques dizaines de milliers de personnes seulement. La région sera désormais représentée à Bamako par six députés. L’infrastructure administrative doit encore être créée, ce qui nécessitera des dépenses supplémentaires en salaires, en équipement, etc.

Par ailleurs, un grand nombre d’objectifs sociaux sont compliqués par le processus démographique. À ce jour, près de la moitié de la population du Mali a moins de 15 ans (8.3 millions d’enfants). D’ici 2050, le nombre d’enfants de moins de 15 ans atteindra 13.4 millions d’individus.[1] Un État fragile comme le Mali fait déjà face à de nombreuses difficultés pour gérer les besoins croissants en services sociaux de base, dans le domaine de l’éducation et de la santé notamment. Par exemple, seule une fille malienne sur deux s’est rendue régulièrement à l’école primaire entre 2011 et 2014. Le planning familial, l’espacement des naissances et la santé reproductive demeurent souvent des sujets tabous dans le pays. De même, beaucoup de progrès restent à faire dans les domaines de l’égalité des sexes et de l’autonomie des femmes.

Défis des partenaires

Du côté des partenaires du Mali, la situation est également complexe. Au vu de la situation sécuritaire, ils ont beaucoup de difficulté à opérer dans le nord et le centre du pays et leurs interventions manquent de coordination. L’aide au développement reste une source de financement cruciale pour le Mali. Chaque année, le pays reçoit environ 1.3 milliards de dollars US en aide publique au développement (APD), ce qui représente plus de 40 % du budget annuel de l’État. Une meilleure coordination entre les partenaires au développement et plus de transparence (comme par exemple le partage des indicateurs de l’appui budgétaire) sont nécessaires pour améliorer l’efficacité des interventions. La nouvelle Alliance Sahel, qui prévoit la mise en œuvre de 500 projets dans les pays sahéliens devrait permettre d’améliorer la coordination.

Intégrer le septentrion

Un grand nombre de stratégies et de plans d’action ont été développés pour le Mali. D’innombrables pourparlers et négociations de paix ont eu lieu. Les problèmes sont connus, une bonne partie des solutions aussi. Un point critique est l’intégration du septentrion avec le reste du pays, car aucune paix ne sera durable si les régions du nord restent isolées. L’intégration territoriale du septentrion est la condition première de son intégration sociale et économique. Ces régions, Gao, Kidal, Ménaka, Taoudéni et Tombouctou, représentent les deux tiers du territoire national et abritent 1.5 millions de personnes, soit 8.8 % de la population malienne. L’immense majorité de la population est concentrée dans la vallée alors que les espaces désertiques sont peu peuplés, ponctués de quelques centres urbains. Il semblerait logique de porter davantage d’attention au fleuve et à sa vallée à travers un schéma intégré d’aménagement, de préservation et de développement. Il pourrait s’agir par exemple de construire le barrage de Taoussa près de Gao, un projet déjà totalement financé et prêt à être mis en œuvre, mais dont l’exécution a été suspendue en raison de la situation sécuritaire ; ou encore de mettre en place d’autres projets favorables au désenclavement, à l’aménagement urbain, aux services sociaux, à l’agriculture, à l’élevage, à la pêche, et propices à créer des emplois pour les jeunes dans la région. Le gouvernement a mis en place un plan ambitieux pour mettre un terme à l’isolement de la région. Les partenaires peuvent jouer un rôle majeur en soutenant ces projets pour relier ces zones aux couloirs transsahariens. Cette idée  a été abordée plus en profondeur dans une étude de l’OCDE sur Les régions maliennes de Gao, Kidal et Tombouctou et l’Atlas du Sahara-Sahel :

 « Il est nécessaire que le septentrion redevienne un espace central et partagé qui ne soit pas seulement le nord du Mali avec « au-dessus » le sud de l’Algérie. Ceci suppose un projet à long terme –générationnel – de coopération politique, économique et sécuritaire soutenue entre les deux rives du Sahara. »

Ce défi est avant tout une question  de perception. Plutôt que de demander « Que faire pour le septentrion ? », on pourrait retourner la question : « Comment les régions du nord peuvent-elles contribuer au développement du Mali et, ce faisant, dynamiser leur économie locale et améliorer le bien-être des populations ? ».

En savoir plus :

CSAO /OCDE (2015), « Les régions maliennes de Gao, Kidal et Tombouctou, perspectives nationales et régionales »

CSAO /OCDE (2014), Atlas du Sahara-Sahel: Géographie, économie et insécurité, Cahiers de l’Afrique de l’Ouest, Éditions de l’OCDE, Paris.

[1]Estimation prudente, UN World Population Prospects : The 2017 Revision. Ces chiffres pourraient être surestimés, ces modèles prévoient qu’environ 10 % des Sahéliens sont prêts à migrer vers les zones côtières de l’Afrique de l’Ouest.