Accueil A la une Wagner et l’Afrique: est-ce vraiment un mariage d’amour?

Wagner et l’Afrique: est-ce vraiment un mariage d’amour?

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Illustration/l'afriqueadulte.com

Sortie du carcan de colonialisme dans les années 1960, l’Afrique cherche légitimement à se frayer un chemin pour son épanouissement parmi le concert des nations. Or, cela ne se réalise pas sur une voie royale. D’où, pour elle, peut-être, le recours aux coups d’Etat, dictatures et autres comportements politiques. Auxquels s’ajoute, aujourd’hui, la présence de la société privée paramilitaire russe, dénommée Wagner. Mercenariat d’un genre nouveau. En remplacement des forces françaises.

Est-ce une bonne chose, pour l’Afrique, cet ersatz? Ne serait-il pas déshabiller saint Pierre pour habiller saint Paul? En dépit du fait que ces derniers venus prétendent se poser en Robin des Bois pour les Africains? Ils soutiennent leur argumentation, en cela, en évoquant leur «passé immaculé» avec l’Afrique. «Nous ne traînons pas un boulet [colonialiste ndlr] dans nos relations avec le continent», répètent-ils, à satiété.

Avant de revenir sur la controverse que suscite la présence de ce groupe en République Centrafricaine (RCA) et au Sahel (au Mali, en particulier), où opèrent les forces françaises, il ne serait pas inutile de rappeler que Wagner est une société d’origine russe, ce que Moscou ne dément pas. Elle ne serait pas proche du Kremlin (ce qui reste à vérifier) et fonctionnerait avec un budget annuel de quelque trente millions de dollars. On la retrouve dans plusieurs pays, à travers le monde, dans des zones de conflits (Syrie, Libye, Kosovo…). Avec un début de floraison en Afrique subsaharienne, notamment au Mozambique.

La face cachée du Kremlin

De par sa nature même, cette entreprise exerçant le mercenariat et non le bénévolat associatif, ne peut s’intéresser à autre chose qu’au gros sou. Des décennies durant, l’Afrique a été soumise à l’action des mercenaires. Certains groupes ayant eu des liens évidents avec l’Elysée ou Pretoria (du temps d’apartheid), mais pas du genre de Wagner, structuré en institution. Ce qu’après le «sauvetage» – argument massue de diversion qu’ils mettent en avant -, ne verrons-nous pas la face cachée du Kremlin, en quête d’influence? Dans ses visées d’immenses bénéfices, par le biais des relations bilatérales?

La France est directement impliquée dans cette affaire. En ceci qu’elle est présente au Sahel, particulièrement au Mali, à travers les forces d’intervention baptisées Barkhane, pour endiguer les djihadistes. Paris entretient aussi, en République Centrafricaine, une bonne poignée de conseillers militaires. Déjà, en Centrafrique, les éléments de Wagner combattent les rebelles, en soutien à l’armée locale. Pour la France, sa présence ne peut pas être en phase avec celle des mercenaires. D’où un thème de débat avec ses deux pays amis. Qui semblent vouloir coopérer «également» avec Wagner. Question de souveraineté!

Quelle en serait l’issue? La France déciderait-elle de se laisser dévaliser son pré carré par des Russes? Le questionnement est autant valable pour l’Afrique, qui doit comprendre que les Russes ne visent pas le continent pour des œuvres philanthropiques. Ce n’est pas pour un mariage d’amour. Les règles du donnant-donnant doivent jouer. Sans complaisance.

Autre chose. Il y a lieu que le continent réfléchisse, par deux fois: entre un ami qu’on connaît et celui que l’on ne connaît pas. Le choix est peut-être difficile, mais il tromperait moins pour le premier que pour le second. Or, au Mali, il y a une opinion publique, à ce sujet, plus portée visiblement par l’émotion que par la raison. C’est risquant.

Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France