Accueil A la une Zéro corvée d’eau : le courage politique de reconnaître l’échec

Zéro corvée d’eau : le courage politique de reconnaître l’échec

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Triste sort qu'est celui des populations du Burkina, privée d'eau (Ph. abb-burkina.org)

«Je veillerai à la réalisation de la vision zéro corvée d’eau». Le message est sans ambiguïté. Il est si bien formulé qu’il a suscité, a raison, beaucoup d’espoir chez des millions de Burkinabè qui n’en finissent plus de compter les jours et nuits de galère avec les coupures d’eau, pour les citadins, et les dizaines de kilomètres de pistes avalées chaque jour pour atteindre le seul forage du coin et à trimbaler les bidons jaunes, pour les ruraux. Clair comme l’eau de roche, «Zéro corvée d’eau», un message bien pensé et conçu dans une simplicité qui a dû faire pâlir de jalousie tous ces grands experts au langage ésotérique, seulement compréhensibles des seuls initiés, cadres des ministères en charge de l’eau.  Ce message sorti du laboratoire de campagne de Roch Marc Christian Kaboré, avait fini par ravir la vedette à ces formules trop abstraites et «bateaux» du genre «eau potable pour tous» ou «accès universel et durable à l’eau», etc. Un message qui a pris de la hauteur sur les promesses politiques moins créatives ou moins ambitieuses des adversaires. Mieux, le slogan principal de campagne du candidat «Roch la solution», ne laissait la place au moindre doute sur sa capacité de réalisation, tellement le futur président semblait savoir très clairement le destin qu’il voulait pour les Burkinabè.

Une tâche trop pénible?

Mais ce message qui était clair comme l’eau de roche, deviendra aussi sombre que l’eau des mares dans sa phase de réalisation. Dès la sortie du Plan national de développement économique et social (PNDES), quelle ne fut la surprise de constater la disparition littérale de la formule gagnante. Comme si brutalement,  l’équipe technique qui devrait aider le président à concrétiser son engagement politique avait jugé l’engagement initial trop pénible pour leurs épaules ou leurs méninges. En lieu et place, on retrouve une formule plutôt classique: «Porter le taux d’accès de 71% en 2015 à 79% en 2020». Ce fameux taux d’accès que tous les citoyens peinent à comprendre, étant donné que la ville de Ouagadougou est à 100% comme 22 autres villes du pays depuis plusieurs années malgré l’ampleur de la corvée d’eau. Visiblement, l’engagement politique n’a pas trouvé de porteurs techniques. L’ambition du président du Faso était peut-être partagée par lui et lui seulement. A l’heure du bilan, les exécutants du PNDES verront, évidemment, le verre à moitié plein. On résume l’engagement zéro corvée d’eau, à la réalisation de 7500 forages dont 7200 seraient déjà livrés à fin 2019 soit un taux de réalisation de 96%. Difficile à avaler, car nul ne peut défendre publiquement avoir fait régresser la corvée d’eau de 96% au Burkina de 2015 à 2019. On nous promet que l’objectif fixé sera atteint en 2020. Mais de quel objectif parle-t-on? Parce que ce que les grands fonctionnaires de l’eau refusent de comprendre que l’eau, loin de se résumer à des milliers de forages ou des kilomètres de tuyaux, est un service. Qui se permettrait au 21è siècle de mesurer les progrès en matière d’éducation au nombre de classes d’écoles construites, sans tenir compte des enseignants, des programmes scolaires, des manuels didactiques, des examens, des mesures comme la gratuité de l’éducation de base pour les pauvres? Qui oserait mesurer les progrès en matière de santé au nombre de bâtiments hospitaliers construits, sans tenir compte des médecins, des infirmiers, de l’accès aux médicaments et aux soins essentiels pour les pauvres? Seuls les fonctionnaires de l’eau du Burkina peuvent continuer à se féliciter de leurs taux d’accès. Le service de l’eau est mal assuré et par conséquence, les coupures d’eau et pannes de forages sont massives, mais personne ne veut les quantifier et s’y attaquer sérieusement.

Pratiquement, rien n’a changé !

En tout cas, même s’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, vu que des forages ont quand même été construits, le schéma de la solution n’a guère évolué en comparaison de ce qui se fait depuis des décennies. Comme depuis la nuit des temps, des forages sont construits par millier, sans que soit apporté une plus-value pertinente dans la gestion quotidienne qui doit déterminer la qualité du service, la réduction des pannes, la réduction des coupures. C’est ainsi que l’inauguration de Ziga 2 ou celle de châteaux d’eau, tout comme la pose de kilomètres de tuyaux, ne peuvent être la panacée contre les coupures d’eau. Les villes s’étendent et l’Office national d’eau et d’assainissement (ONEA) peine véritablement à supporter le rythme de la demande. Même si les techniciens continuent de bombarder le public de chiffres astronomiques de réalisations, d’informations abstraites pour mettre en exergue leurs efforts, la réalité des défaillances  du service d’eau potable, pointe comme le nez au milieu du visage. Et c’est avec raison, et peut-être la mort dans l’âme, que le chef de l’Etat, lors de sa conférence de presse d’après 11-Décembre 2019, à Tenkodogo, a dû reconnaître que pour son engagement  «Zéro corvée d’eau», les fruits n’ont pas tenu la promesse des fleurs. Tout en saluant le courage politique du président du Faso, il faut regretter que les mesures pertinentes n’aient pas encadré ce beau message porteur d’espoir. A l’évidence, l’engagement «Zéro corvée d’eau» a été un échec. Mais les populations attendent bien de pied ferme l’avènement de «Zéro corvée d’eau», un beau jour, comme la disparition de la poliomyélite ou du ver de guinée… Aucun candidat sérieux aux élections politiques de 2020 ne peut se soustraire à cette attente forte de toute la population. La compétition se fera donc sur la nature des solutions. Les aveux de Roch Marc Christian Kaboré peuvent donc sonner comme une volonté de repenser en profondeur sa solution au problème crucial de la corvée d’eau. Car le constat est sans équivoque, il faut bien plus que des milliers d’ouvrages et d’équipement pour faire reculer la corvée d’eau. Il importe, pour ne pas dire qu’il urge, de penser à une gouvernance professionnelle du service d’eau potable au profit de toutes les couches sociales, dans les villes comme dans les zones rurales.

Par Wakat Séra