Accueil A la une 27è Fespaco: pari réussi mais avec une morosité des affaires

27è Fespaco: pari réussi mais avec une morosité des affaires

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Burkina Faso. Ouagadougou. La capitale du cinéma africain, ouvre ses frontières aux amoureux du septième art, en ce temps de Covid-19 et de menaces terroristes. Sur son sol, comme tous les deux ans, se tient le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO), la 27e édition. Les festivaliers ont failli ne pas vivre cette édition du fait du coronavirus qui a confiné le monde, avec ses corolaires de milliers de morts et d’économies au ralenti. Prévu se tenir du 27 février au 6 mars 2021 c’est finalement du 16 au 23 octobre 2021 qu’il s’est tenu. Il faut vivre avec, dit-on. Et cela, le Burkina Faso l’a compris en tenant sa promesse d’organiser, chaque deux an, cette rencontre qui draine des milliers de festivaliers. Cette année, si des férus du cinéma se félicitent de la tenue de cette biennale, malgré le contexte, il n’en demeure pas moins que la plupart fait face à la morosité des affaires qui s’y greffent.

Samedi 16 octobre 2021. Un soleil nouveau s’est levé. Ouaga la belle se réveille, scintillante de mille feux. Elle déroule, du 16 au 23 octobre 2021, le tapis rouge aux cinéastes, acteurs, réalisateurs, exposants, acheteurs et autres professionnels du 7e art, venus des quatre coins du monde. Durant une semaine, la capitale du pays des Hommes intègres a vibré au rythme de la 27e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco).  

Rien ne présageait un bon déroulé du plus grand festival de cinéma africain et de la diaspora. Depuis 2015, le Burkina Faso est en proie à des enlèvements et des attaques armées qualifiées de terroristes. Il a au comptoir, des milliers de morts, des blessés, des écoles fermées et des déplacés internes évalués à plus d’un millions de personnes. Et cela, du fait de ceux qu’on appelle «les fous de Dieu». Les clichés désolants et les échos médiatiques ont peint le pays des Hommes intègres en rouge et certaines chancelleries déconseillent des localités à leurs ressortissants. Mais déjouant touts pronostics, le Fespaco, dont la cérémonie d’ouverture a convaincu plus d’un, a refermé ses rideaux, sans incident, de la plus belle des manières avec la récompense des lauréats de la 27e édition.

27e Fespaco: « La Femme du fossoyeur » remporte l’Etalon d’or de Yennenga

Pour Sylvain Kabré, artisan bronzier à la vitrine du bronze en face de l’Institut français à quelques pas du rond-point des cinéastes, le fait de pouvoir tenir le Fespaco cette année, dans ce contexte sanitaire et sécuritaire est une bonne chose, même si ses articles ne sortent pas comme il le souhaitait. Le manque de visiteur à sa boutique durant notre passage étaye ces propos. C’est également le cas de ses collègues des boutiques voisines. Ici, place est à la causerie entre artisans.

VIDEO-Le Fespaco vu par Sylvain Kabré, artisan bronzier à la vitrine du bronze, boutique n°3

«Avec mes sœurs et frères ivoiriens, on est venus exposer notre savoir-faire. Ça attire des visiteurs mais le marché est un peu lent», nous confie Moulaye Diakité, artisan ivoirien installé à la galerie marchande à l’espace ex-Camp Fonctionnaire en face de la Cathédrale de Ouagadougou. A notre présence, plusieurs femmes admiraient les œuvres de M. Diakité. Il présente, entre autres, à ce festival, des louches, des plats et des gobelets fait à base de bois. «Ce sont de beaux ustensiles», lâche la jeune dame Rabiatou Tiendrebéogo, très admirative devant les articles de M. Diakité.

Vêtu d’un teeshirt accompagné d’un jean et coiffé de chapeau, M. Diakité ne désespère pas. Même s’il n’a pas assez vendu ses articles comme lors des éditions précédentes, il s’est tout de même fait des contacts. Cela fait 25 ans que cet exposant d’ustensiles de cuisine, fabriqués à base de bois, participe au Fespaco. Sourire aux lèvres, il exprime sa joie d’être à la 27e édition du Festival panafricain du cinéma et télévision de Ouagadougou.

De gauche à droite, Moulaye Diakité vendeur d’ustensile de cuisine et Abdoul Kader Traoré, artiste peintre

Comme Diakité, Abdoul Kader Traoré, dans son t-shirt à l’effigie du père de la Révolution burkinabè, Thomas Sankara, et porteur de dreadlocks coiffé de chapeau traditionnel, se plaint du marché qu’il qualifie de «nul». Artiste peintre, M. Traoré a exposé ses tableaux d’art à quelques jets de pierre du stand de l’exposant d’ustensiles de cuisine.

«Ça ne va même pas. On espère qu’à la prochaine édition, qu’il y ait plus d’amélioration», soutient-il avec un air triste. Cet artiste qui est à sa deuxième participation au Fespaco affirme avoir reçu «beaucoup de visiteurs» à son stand, mais le chiffre d’affaires ne reflète pas les visites.

«Des secrets de femme et d’homme» exposés au Fespaco

De la rue marchande du siège du Fespaco, à la Maison du peuple en passant par l’espace de l’ex-Camp Fonctionnaire, le constat est le même. La plupart des exposants affirme ne pas faire de bonnes affaires. Mais parmi les exposants, il y a ceux qui arrivent à tirer leur épingle du jeu. C’est le cas de la Malienne Alima Aïdara, venue de Tombouctou. Assise au milieu de son stand de «Secrets de femme et Secrets d’homme», de Bazin, de perles et des nuisettes, entre autres, Mme Aïdara, sereine, dit n’avoir pas de problèmes de clients. Chez cette festivalière particulière, qui participe au Fespaco depuis 17 ans, les articles sortent comme de petits pains.

Sous le soleil ardent ou à l’ombre de la petite bâche installée entre les étales pour recevoir la clientèle en quête d’intimité, les articles de Mme Aïdara s’écoulent. Au passage de notre micro, certains clients détournent subtilement le visage. Un signe parmi tant d’autres pour indiquer simplement qu’ils préfèrent garder leur langue loin de notre enregistreur. Qu’à cela ne tienne, dame Zalissa Sawadogo, cliente d’un jour, dit être de passage dans ce stand par curiosité. «J’entends les gens parler de secrets de femmes, donc je me suis arrêtée pour regarder. Même si je ne vais pas acheter, regarder ne coûte rien du tout», lance-t-elle, les deux mains tenant une bouteille d’encens. 

Chez d’autres vendeurs, les réalités évoluent parfois. Devant le stand de Ibrahima Djiga dont la spécialité est la vente de pagnes traditionnels, Faso-Danfani, au chapiteau du Marché international du cinéma et de l’audiovisuel africains (MICA) au siège du Fespaco. Ici, la clientèle afflue et le marché donne le sourire au vendeur. M. Djiga reçoit plusieurs visiteurs par jour et la plupart repart après avoir acheté des produits. Sans s’étaler sur les chiffres, car «la journée n’est pas encore terminée», M. Djiga a du mal à cacher ses dents du fait de son sourire. «En tout cas, si ça continue, on sera très content», s’exclame-t-il.

Vidéo-Alima Aïdara et Ibrahima Djiga ne se plaignent pas de la morosité des affaires

De la musique distillée, du fumet de poulets rôtis, poulets fumés et de brochettes pimentées et autres mets accueillent les visiteurs des sites de la rue marchande où l’accès est soumis à des fouilles corporelles effectuées par des agents des Forces de l’ordre et au port de bavettes. Ce sont des milliers de festivaliers qu’accueillent ces lieux de réjouissance et d’affaires. A côté, de ces sites et des salles de ciné, des parkeurs, des vendeurs de cache-nez et autres gadgets qui ne cessent d’accoster les visiteurs, font de bonnes affaires.

Parking en face du ciné Nerwaya

Issa Zougrana, parkeur que nous avons rencontré au cinquième jour du festival devant le Ciné Nerwaya autour de 18h, visiblement débordé et qui n’avait plus de place pour parquer de motos, rejette les «clients retardataires». «Nous n’avons plus de place, allez devant pour voir», lance-t-il aux nouveaux venus qui poursuivent désespérément leur chemin. Les motos parquées à perte de vue sur ce site de projection de film étaient gardées par plusieurs parkeurs.    

La fête du cinéma africain fut belle pour la plupart des festivaliers qui ont eu droit, en plus des films projetés, à des prestations d’artistes durant toute la semaine du festival.

VIDEO-Images du Fespaco

Créé en 1969, le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou s’est tenu cette année 2021 sous le thème: «Cinémas d’Afrique et de la Diaspora. Nouveaux regards, nouveaux défis» et le Sénégal, «pays de la Teranga» en est l’invité d’honneur. C’est au total 239 films qui étaient en compétions à ce festival qui est un carrefour de rencontres, d’échanges d’expériences, de partenariats.

Tenu dans un contexte de Covid-19 où beaucoup d’activités culturelles n’ont pas pu se tenir et de récurrentes attaques terroristes, ce festival est la bienvenue. Elle a permis aux festivaliers de se libérer un tant soit peu.

Par Daouda ZONGO