Accueil A la une 3-Janvier 1966: la première Insurrection populaire au Burkina

3-Janvier 1966: la première Insurrection populaire au Burkina

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Le Burkina Faso commémore, ce 3 janvier 2024, le 58e anniversaire du Soulèvement populaire qui a fait chuter, le 3 janvier 1966, son premier président Maurice Yaméogo, accusé de mauvaise gouvernance. Le pays des Hommes intègres devenait ainsi le premier pays africain à chasser son premier dirigeant au lendemain des indépendances. Wakat Séra vous propose un rappel historique des évènements qui ont conduit à la manifestation populaire qui a forcé le départ de Maurice Yaméogo du pouvoir.

Après avoir remporté, en 1965, l’élection présidentielle avec 99,97%, Maurice Yaméogo devient le premier président de la Haute Volta, aujourd’hui Burkina Faso. Le président élu décide alors de mettre en place des mesures restrictives et d’austérité, notamment, le blocage des avancements des fonctionnaires pendant deux ans, la réduction des allocations familiales et l’abattement des salaires de 20%. Le président Yaméogo avait en plus supprimé les subventions des écoles privées et ses rapports avec les autorités religieuses du pays n’étaient pas non plus au mieux. Il avait également interdit les réunions syndicales et le droit de grève. Toutes les classes sociales avaient des revendications par rapport à la gestion du pays.

Face aux mesures d’austérité prises par le chef de l’Etat et une gestion du pouvoir de plus en plus critiquée par une certaine opinion, les syndicats se sont révoltés et ont décidé de se faire entendre. Les évènements du 3 janvier 1966 sont partis des mouvements de syndicats qui ont fait front commun pour mener leur lutte. En effet, bien qu’officiellement dissous depuis mai 1964, les centrales et syndicats autonomes se rassemblent fin décembre 1965 au sein d’un front intersyndical présidé par Joseph Ouédraogo. L’objectif était de dénoncer le plan d’austérité du président Maurice Yaméogo.

Ainsi, le 31 décembre 1965, alors que le président Maurice Yaméogo était en Côte d’Ivoire pour discuter de la double nationalité, l’intersyndicale organise un meeting à la Bourse du travail où cette coalition de syndicats appelle à la grève générale pour le 3 janvier 1966. Le meeting interdit par le ministre de l’Intérieur d’alors, Denis Yaméogo, est finalement dispersé par les forces de police. Le même 31 décembre 1965, Maurice Yaméogo rentre de son déplacement en Côte d’Ivoire.

Le lendemain 1er janvier 1966, le chef de l’Etat décide d’agir, et proclamant l’état d’urgence. Toute manifestation est interdite, les grèves sont déclarées illégales. Dans le but de discréditer l’intersyndicale, Joseph Ouédraogo, leader de l’intersyndicale, est accusé d’espionnage au profit des communistes. Les fonctionnaires, eux, sont menacés de licenciement collectif en cas de participation au mouvement syndical.

Malgré ces résolutions prises, le président Yaméogo ne semble pas rassuré au regard de l’évolution des événements. Afin d’apaiser la situation, il est demandé aux autorités religieuses d’intervenir. Celles-ci refusent, fragilisant davantage le président Maurice Yaméogo. Avec la chefferie traditionnelle, les religieux vont même apporter leur soutien au mouvement d’humeur.

Mais les journées du 1er et du 2 janvier vont être relativement calmes. C’est dans la nuit du 2 au 3 janvier 1966 que les événements commencent à se précipiter. Maurice Yaméogo échoue dans sa tentative d’arrêter les meneurs de l’intersyndicale qui se sont réunis, le 31 décembre 1965, à la Bourse du travail. Comme mesures conservatoires, le président ordonne l’installation de plusieurs automitrailleuses aux alentours du palais présidentiel et le renforcement de la sécurité des principaux bâtiments publics dont celui de la radiodiffusion.

Le 3 janvier 1966 au matin débute la manifestation. Près de 50 000 personnes sont sorties dont de nombreux fonctionnaires qui appellent au retrait de l’abattement de 20% des salaires. La manifestation n’est pas violente. Les Forces de l’ordre auraient même pris fait et cause pour les manifestants.

Acculé, Maurice Yaméogo fait savoir en fin d’après-midi aux manifestants, par le biais de son chef d’état-major, le lieutenant-colonel Aboubacar Sangoulé Lamizana, qu’il retire l’abattement de 20% et maintient le taux des allocutions. En ce moment, la situation avait dépassé les simples syndicalistes comme Joseph Ouédraogo. La foule menée par l’historien Joseph Ki Zerbo avait désormais comme mot d’ordre la démission du président de la République qui s’était retranché dans le camp militaire Guillaume Ouédraogo.

Burkina: les autorités « n’ont pas tiré leçon » de l’insurrection du 3 janvier 1966 et d’octobre 2014 (Centrales syndicales)

Afin de débloquer la situation, les meneurs appellent l’Armée à prendre le pouvoir. Après des négociations, Maurice Yaméogo annonce, dans la soirée, par radio, sa décision de remettre le pouvoir au lieutenant-colonel Aboubacar Sangoulé Lamizana. Le Burkina Faso devenait ainsi le premier pays africain à chasser son premier président au lendemain des indépendances.

Depuis lors, le pays des Hommes intègres s’est habitué aux soulèvements populaires. En octobre 2014, son peuple est sorti une nouvelle fois, à travers une insurrection populaire, et a chassé le président Blaise Compaoré qui avait pourtant passé près de 27 années au pouvoir. Aussi, lors du dernier coup d’Etat du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR II), le 30 septembre 2022, des manifestants sont sortis nombreux pour témoigner leur soutien aux militaires, empêchant toute riposte pour faire échouer le putsch.

Par Wakat Séra