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Affaire Thomas Sankara et 12 compagnons: «On ne nous volera pas le droit d’enterrer nos pères»

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Cécile Bamouni "Mma famille et moi, nous ne sommes pas concernées par cette demande de pardon"

Céline Bamouni c’est la fille de son père. Un père normal, ni «papa poule» ni «père fouettard». Mais elle aurait bien voulu profiter davantage de cette présence paternelle si les auteurs du coup d’Etat sanglant du jeudi 15 octobre 1987 ne s’étaient livré à un carnage qui a rendu, elle, sa sœur aînée, son frère cadet et bien d’autres familles orphelins. En effet, avec le père de la Révolution burkinabè d’Août 1983, et 11 autres de ses compagnons de lutte, Paulin Babou Bamouni est passé de vie à trépas, fauché par les balles assassines d’un commando, ce jeudi noir, au siège du Conseil de l’Entente à Ouagadougou. Dans cette interview qu’elle a accordée à Wakat Séra, Céline Bamouni, aujourd’hui responsable d’une société de Pompes funèbres, et les autres familles des victimes du 15 octobre 87, refusent que leurs pères et fils soient encore enterrés à la sauvette après l’exhumation des restes mortels, le 25 mai 2015, pour des tests ADN et balistiques. «Le procès n’est pas totalement fini» affirme celle qui ne comprend pas la précipitation soudaine avec laquelle la ré-inhumation est programmée. Quid de l’indemnisation des familles et du message envoyé par l’ancien président Blaise Compaoré pour demander pardon à la famille de son «frère et ami» Thomas Sankara et au peuple burkinabè? «Il s’avère que ma famille et moi ne sommes pas concernées». Et elle s’en explique. Entretien

Wakat Séra: Les restes mortels du Président Thomas Sankara et de ses douze compagnons ont été exhumés le 25 mai 2015 pour des tests ADN et balistiques en prélude au procès qui s’annonçait.  Le 4 août prochain serait la date retenue pour leur ré-inhumation…

Nous ne sommes pas prêts à accepter cette décision d’inhumer les restes de nos défunts sans notre consentement

Céline Bamouni: En effet nous avons été surpris d’apprendre, il y a très peu de temps, que les inhumations auront lieu en ce mois de juillet. Par la suite, c’est une autre date celle du mois d’août 2022 qui est avancée. Sachant que les accusés ont fait appel du verdict rendu le 6 avril 2022, à mon avis le procès n’est pas terminé. Pourquoi donc envisager des inhumations sans le verdict final?

Nous ne sommes pas prêts à accepter cette décision d’inhumer les restes de nos défunts sans notre consentement.

A la suite des investigations pour les besoins de l’enquête et avant l’ouverture du procès, nous pensions que les restes allaient nous être restitués individuellement mais ça n’a pas été le cas, il semblait plutôt que des obsèques nationales avaient été prévues pour toutes les victimes.

Longue fut cette attente sans que nous ayons étés informée de quoi que ce soit concernant ces restes. Maintenant, nous aurions souhaité disposer de plus de temps pour nous préparer pour accompagner nos pères à leur dernière demeure, participer aux prises de décisions, pouvoir nous concerter entre familles des victimes et également avec nos proches et que cela ne se fasse pas dans la précipitation ou sous contrainte, comme c’est le cas en ce moment. Il y a 35 ans qu’ils ont été ensevelis dans des conditions inhumaines, comme des bêtes! Nous avons l’impression que les faits se répètent. Et nous n’accepterons pas que cela se reproduise aujourd’hui.

On ne nous volera pas ce droit!

Savez-vous au moins où est-ce qu’ils seront enterrés? Au Conseil de l’entente ou au carré militaire du cimetière de Gounghin?

Non, nous n’avons pas été informés du lieu retenu par les initiateurs des inhumations mais nous aurions souhaité être associés à l’identification du site qui leur serait dédié, afin que nous tous puissions valider ce choix.

Mais le 4 août, la date qui est avancée, est déjà arrivé…

Oui, comme je vous le disais, nous avons été mis devant le fait accompli d’une date arrêtée et il se trouve que le délai est très court. Et comme le procès n’est pas fini totalement pour que les inhumations soient précipitées, nous demeurons convaincus que le procès suivra son cours normal jusqu’à son aboutissement final. En un mot le fait préoccupant du moment, c’est que nous sommes toujours dans l’attente d’une décision de justice, c’est-à-dire le second volet du procès qui est l’Appel interjeté.

Nous n’inhumerons pas dans ces conditions! Notre avis compte avant tout!

Paulin Bamouni (micro) le journaliste en entretien avec feu JJ Rawlings

Pour ma part je ne me laisserai pas être privée une seconde fois de mon devoir d’accompagner mon père avec les honneurs dus à un père.

Qu’on nous explique à quoi rime cette précipitation! A quel calendrier cela répond!

Par le choix de la date du 4 août (le 4 août 1983 marque l’avènement de la Révolution burkinabè, NDLR) pour son symbolisme fort, j’imagine que c’est un honneur qu’ils veulent leur rendre. Comme je le disais, c’est une date symbolique et bien choisie pour les révolutionnaires que nos pères ont été. Elle correspond aux idéaux qu’ils ont défendus pour leur pays et pour lesquels ils sont tombés. Mais des 4 Août il y’en aura bien d’autres après le verdict final et l’histoire demeure! Cela fait bien 7 ans qu’ils ont été exhumés et nous pouvons encore prendre le temps de nous accorder sur les détails.

Il a été dit publiquement que toutes les familles ont été indemnisées…

Je ne peux pas répondre au nom des autres mais ce n’est pas le cas pour la mienne.

Pensez-vous qu’il y a un agenda caché derrière cette affaire Thomas Sankara?

Je ne saurais vous dire lequel, mais je pense bien que oui.

Le temps a l’air de courir pour certains ou plutôt ne plus être assez long.

Nous suivons comme tous l’actualité et apprenons comme tout le monde ce qui se prépare.

Comment avez-vous accueilli la demande de pardon de l’ancien président Blaise Compaoré?

Après lecture de ce message, il s’avère que ma famille et moi, nous ne sommes pas concernées par cette demande de pardon adressée à toutes les victimes durant son magistère et ses différents mandats.

Pouvez-vous être plus explicite…

Dans ce message, Monsieur Blaise Compaoré dit qu’il demande pardon aux familles, aux victimes, des actes commis sous son magistère, durant ses mandats pour être plus précise. Or mon père est décédé le 15 octobre 1987 au Conseil de l’entente, soit au moment où Blaise Compaoré occupait le poste de ministre de la Justice au sein du gouvernement du Conseil national de la révolution (CNR).  Il n’a donc pas commandité l’assassinat de mon père pendant son magistère ni ses mandats, contrairement à d’autres. Donc il demande pardon aux personnes tombées sous son magistère et à leurs familles, comme mentionné dans sa missive et non à celles éliminées avant.

Est-ce que le fait qu’il ait nommément cité la famille Sankara sans faire cas des autres familles ne vous a pas un peu frustré?

Pas du tout. Il s’est adressé à la famille Sankara parce qu’il sait qu’il a commis l’irréparable par cet assassinat et peut être bien d’autres trahisons les concernant avant et durant son magistère. Et comme je vous le disais ma famille et moi ne sommes pas concernées. Nous l’aurions été s’il avait mentionné ses actes antérieurs à son mandat de Président. De plus, il ne fait aucune allusion au coup d’état sanglant du 15 octobre1987.

Serez-vous prête à accepter le pardon si d’aventure Blaise Compaoré se présentait à votre famille?

Je ne saurais me permettre de répondre à la place de tous les membres de ma famille. Mais personnellement, je pense que s’il l’avait fait comme il se doit, peut-être que je lui accorderais le pardon. Mais après qu’il se soit moqué de nous sous toutes les formes et qu’il se soit soustrait à la justice, ça risque d’être difficile pour moi.

Il a eu l’opportunité de venir et s’exprimer durant le procès en s’adressant à toutes les familles qu’il a endeuillées avant et après mais il a préféré être absent et garder le silence. Il a été condamné, il y a un mandat d’arrêt qui a été émis à son encontre, ce qui ne l’a pas empêché de fouler le sol burkinabè et de repartir sans être inquiété.  Au vu de tout cela, je me demande finalement s’il faut lui accorder un pardon.

En voulez-vous aux autorités burkinabè pour le fait qu’il soit reparti sans avoir été inquiété?

Je n’irai pas jusque-là mais je me pose la question de savoir pourquoi cette décision de justice n’a pas été appliquée.  Il n’allait certainement pas croupir en prison. Mais ça valait la peine d’exécuter ce mandat d’arrêt et mettre ainsi fin à l’impunité.

Il me semblait que plus rien ne devait être comme avant!

Pensez que tout le monde est sur la même longueur d’onde au sein de l’association des ayant droits des victimes du 15 octobre 87 par rapport à cette demande de pardon?

Honnêtement je n’ai pas connaissance de l’existence de cette association et ma famille et moi ne faisons partie d’aucune association des victimes du 15 octobre 1987.

Certains évoquent de plus en plus l’état de santé déplorable de Blaise Compaoré. Est-ce que pour des raisons humanitaires, on ne pas trouver un moyen de le faire rentrer au pays?

Je ne suis pas concernée par l’état de santé de Blaise Compaoré et ne donnerai donc pas d’avis à ce sujet.

A côté de Thomas Sankara et de ses douze compagnons on parle souvent des causes orphelines, c’est-à-dire que pendant les quatre années de pouvoir du capitaine, des gens ont aussi été injustement fauchés par les révolutionnaires. Qu’en pensez-vous?

Je n’en ai pas connaissance et j’avoue que je ne m’y suis pas intéressée autant que d’autres ne s’intéressent pas forcément au drame que j’ai vécu.

Qui était Babou Paulin Bamouni?

C’était mon père. Il a été journaliste et écrivain engagé. Il défendait ses idées révolutionnaires et a mené un combat aux côtés de Thomas SANKARA et de Blaise COMPAORE à l’époque, pour un Burkina meilleur et libre comme ils le rêvaient tous.

Paulin Bamouni (à gauche) décoré pour services rendus à la Nation

Avez vous des souvenirs de votre père?

Bien évidemment. J’ai eu la chance de le connaître, ce qui ne fut malheureusement pas le cas de mon frère. Car quand il décédait il n’avait que 2 ans ½. Mais ma sœur ainée et moi avons de bons souvenirs de lui, de notre vie de famille, de notre enfance en France avec nos deux parents, avant l’avènement de la révolution. Et même pendant.  C’est vrai que mon père était davantage pris par son travail ici, mais nous avons mes frères et moi pu bénéficier de son affection, pas assez longtemps mais quand même.

Etait-il papa poule ou père fouettard?

Non. Un père rigoureux et très taquin. Notre mère et lui, même s’il n’a pas vécu très longtemps, nous ont inculqué une éducation stricte, à l’ancienne. Je suis ravie d’ailleurs d’avoir bénéficié de ce type d’éducation qui est rare de nos jours.

Par Wakat Séra